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Témoignage sur le blog de Libération : "La ZEP reste une très grande expérience pour un prof"

1er décembre 2007

Extrait de Libération.fr du 3011.07 : On nous écrit de province

Pour mettre fin une fois pour toutes aux accusations perfides de « parisianisme », nous ouvrons les colonnes de ce blog à un prof de province. Pas n’importe lequel : Denis.

Quatre ans de ZEP dans notre PEPIV-EP1-RAR du 93 avant de succomber aux charmes monotones d’un lointain département crypto-rural et quasi suisse.

Témoignage.
Allez Denis, à toi !

Guillaume et Jérôme

★ ★

Bref compte-rendu d’une discussion avec un nouveau collègue dans mon nouvel établissement (enfin, pas vraiment, lire plus loin) :

 Ça y est , je reviens du front...
 Ah , tu as passé une année en région parisienne comme presque tout le monde ?
 Euh non, en fait j’y suis resté quatre ans !!!...

Gros blanc... Yeux exorbités, d’entrée de jeu, ça en impose ! Hé, hé !

 Mais alors tu as enfin pu revenir dans ta région d’origine. C’est bien ça ! De toute façon fallait en passer par là.... Enfin... Euh... Quatre ans... Quand même !
 Ben... C’est-à-dire que je suis pas originaire d’ici mais c’est la seule région que je pouvais avoir en rapport aussi avec ma conjointe qui bosse à une heure et demie d’ici...
 Une heure et demie... Ouah, ben dis donc, et ça vous rapproche ça ?
 Ben oui : on peut enfin vivre ensemble dans un même appartement et ne pas passer notre temps dans un train les week-ends !
 Ouais, on peut voir ça comme ça. Mais alors dis donc après... Pfiou... Quatre ans au front... Tu dois avoir obtenu un bon poste fixe ici ?
 Ben non en fait je suis TZR.
 Oh mon dieu (laïque) !!! Eh ben, bon courage...

Mais TZR, ça veut dire quoi ?

Ah... C’est le héros des chefs d’établissements désespérés, c’est la goutte d’huile dans le parfait mécanisme de l’Education assurant la continuité de la transmission des savoirs et du service public...
Bon j’arrête de délirer, TZR = Titulaire sur zone de remplacement. Remplaçant, quoi !

Et pour couper court à toute discussion : le remplaçant est un vrai prof. La preuve : je reviens d’un poste en ZEP, PEP IV, prévention violence, ambition réussite placé en REP... Euh pardon pour les non-initiés : un collège qui craint un max ! Ça veut bien dire que je suis un vrai prof, un prof rodé, un à-qui-on-ne-la-fait-pas, un qui-a-su-s’imposer-et-a-réussi-à-ne-pas-finir-à-la-Verrière (c’est le centre psy des profs !), un qui a vu des situations terribles, qui a risqué sa vie pour la patrie... De l’avis de mes nouveaux collègues, en tout cas.

Titulaire sur zone de remplacement. Késako ?

Ça signifie que je suis rattaché à une zone géographique sur laquelle j’effectue des remplacements.

Mais le souci pour moi, quand personne n’est absent pour maladie ou stage ou maternité dans ma matière, est qu’on peut m’envoyer en dehors de ma zone qui a déjà une échelle de l’ordre de la centaine de kilomètres de large (avec une petite moitié en zone de moyenne montagne).
Et bien sûr c’est ce qui arriva.

Je disais que c’était MON nouvel établissement... Mais à vrai dire pas vraiment. Faute de remplacement à effectuer, je dois me présenter dans ce bahut pour attendre qu’un collègue veuille bien tomber malade. Je suis donc un prof sans emploi du temps, sans sa salle, sans ses listes d’élèves, sans son trousseau de clés, enfin si, une, juste une... « qu’il ne faut surtout pas perdre parce que sinon va falloir changer toutes les serrures de toutes les salles et ça coûte ».
 Oui madame l’intendante, je sais tout ça, ne vous faites pas de soucis !
 Et puis d’abord pourquoi vous avez besoin de clés ? Vous avez besoin d’un casier en plus ?
 Ben euh... Oui...

D’emblée, c’est-à-dire à la pré-rentrée, où l’on se sent complètement à l’écart dans un établissement, on vous annonce que vous n’allez pas y rester :

 Chef (supérieur hiérarchique), vous savez combien de temps ça va durer ?
 Oh ça on ne sait jamais, une heure, un jour, une semaine, un mois... Ahahhahah !
 Hum... Euh oui très drôle en effet... Et... Euh... Qu’est-ce que je fais moi en attendant ?
 Oh ben va bien falloir qu’on trouve à vous occuper !!
 ...

Je me souviens avoir regretté le chaudron bouillant qu’était mon ancien bahut de banlieue dès le premier jour de pré-rentrée. Quel gâchis ai-je même pensé ! L’Education nationale avait fait de moi, à l’insu de mon plein gré (car après tout j’avais accepté ce poste en ZEP avec une certaine philosophie sans rechigner devant l’ampleur de la tâche), un prof qui avait réussi à développer sa méthode de travail avec des classes difficiles et hyper actives.
Je m’étais investi pleinement dans des projets sans compter les heures et les jours passés pour des élèves auxquels je m’étais attaché plus que je n’osais me l’avouer en réalité.
Là, en ce début d’année, je me sentais désœuvré et surtout inutile.
Quel étrange sentiment !

L’école demeure un bon souvenir pour beaucoup d’élèves, la ZEP reste une très grande expérience pour un prof...

Jour de la rentrée des élèves dans mon prétendu nouveau collège :
 Ah monsieur Granite vous tombez bien, je vous présente monsieur Duschmole, un de vos collègues qui part en retraite dans un mois et qu’on occupe déjà à faire le tri dans les archives à jeter... Voilà... Voyez avec lui : il trouvera quelque chose pour vous occuper.
 ...

• Denis •

P.S : Fort heureusement quelques jours après la rentrée, j’ai été affecté dans un établissement avec des vrais élèves et des vrais cours dans ma matière.
J’ai retrouvé enfin ma dignité !

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