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Le témoignage d’un ancien professeur de Villiers-le-Bel

29 novembre 2007

Extrait de « La Lettre d’entre-gens », le 29.11.07 : La lettre émouvante de Mathieu Louis Giorgini : « Dimanche, un de mes anciens élèves est mort... »

L’ex professeur d’histoire de Laramy, l’un des deux jeunes décédés sur une mini-moto à Villiers-le-Bel, raconte dans une lettre émouvante, qu’il a adressée au Parisien.fr, la mort de son ancien élève dimanche.

« Dimanche, un de mes anciens élèves est mort. Un élève sympathique, « bon esprit » comme on dit, aimé de ses camarades et estimé de ses professeurs. Je me revois encore en train de faire devant lui un cours de sécurité routière sur l’usage des deux-roues. Le sort est parfois ironique dans sa cruauté.

Aujourd’hui, je reviens à Villiers-le-Bel. Je n’y enseigne plus depuis un an. Pourtant, je suis né à 500 mètres à peine de là à Sarcelles, de l’autre côté de la nationale 16. J’y ai vécu pendant 33 ans. Sans y être, j’y suis toujours.

Lorsque j’avais 17 ans, je voulais fuir et devenir parisien. A 22 ans, agrégé d’histoire, je suis nommé ici par hasard. Et cette fois, j’aime les lieux et les gens. Pas par hasard, mais parce qu’il faut être adulte pour choisir d’aimer ce qu’on est et d’où on vient. Après 9 ans à enseigner à Villiers, pourtant, je suis parti à nouveau. Envie de passer du collège au lycée... Constat qu’on a plus les moyens nécessaires pour faire réussir autrement les élèves... Constat d’une équipe d’enseignants compétents et inventifs mais démotivés...

Je n’ai jamais cessé de venir à Villiers. J’y ai des amis et des attaches, d’anciens collègues que je reviens voir. Mais là, aujourd’hui je re-viens. Après deux jours d’émeutes. Il est 11h30. Je suis avec Patrice, un ami de Villiers, et Angelo, un pote d’enfance, né aussi à Villiers et instit là-bas.

Impression étrange. Je commence par aller sur les lieux du drame. On ne laisse pas un enfant partir sans lui dire au-revoir. Les corps sont ailleurs. Pas encore de tombe. La mémoire, c’est un réverbère. Quelques rares bouquets de fleurs. Moins que pour les lieux de mémoire des accidentés de la route. Deux dessins, sans plus. Comme si la vraie mémoire circulait par sms ou sur youtube dans les vidéos de l’accident. Une journaliste fait le tapin à côté du réverbère et interviewe exclusivement les gens qui n’ont rien à dire.

En remontant la rue, incroyable. Tout est normal. Seuls restent les marques à terre des objets et véhicules incendiés. Les commerces sont ouverts, même pas une escarmouche. La haine contre les flics dépasse la haine contre les choses. La violence a tourné : en 2005 on s’autodétruisait, là on vise l’ennemi, on préserve son quotidien. Les boutiques côté gare ont, elles, été touchées : vitrines éclatées, avec une savante sélection des commerces qui ont été frappés.

Mais restons au « village ». A Villiers, les cités entourent le village, collées à lui et loin de la gare. Pas comme Sarcelles, avec ses deux gares, sa cité et son village qui s’ignorent. Le village donc, est intact. Papys à béret, mémères à chien-chien, lascars et mamans avec leur progéniture vaquent à leurs occupations. Rien de rien. Ou presque rien.

En remontant encore, je comprends. VLB est aujourd’hui à la fois un festival et un parc d’attraction. C’est là la vraie horreur que j’ai vue. Des hordes de journalistes, quelques élus complaisants, quelques beaux parleurs patentés commentent la nouvelle attraction du jour : la bibliothèque brûlée, éventrée. Un autodafé lié sans doute plus à l’aspect combustible du bâtiment et de son contenu qu’à sa fonction, sans doute hermétique à ceux qui ont commis un tel acte. Consternation mise en scène. Autre attraction : « la benne à ordures cramée ». Certain succès, mais moins que la bibliothèque. Un peu partout dans ce « parc » médiatique, les voitures de police et les policiers en faction, les voitures banalisées de la BAC.

Puis, le palais des festivals, ou, si c’est la métaphore du parc d’attraction que vous voulez filer, le château de Disneyland, en somme le centre absolu de l’attraction médiatique : j’ai nommé la mairie. Cars de télévision, journalistes avec caméras. On attend la sortie des marches. Qui viendra ? le maire ? la procureur ? la ministre ? Le président ? Perdu, aujourd’hui, c’est le premier adjoint. Le casting s’annonce meilleur demain, paraît-il...

Et ensuite, toujours avec mes amis, nous faisons une pause place de l’église. Un lieu agonisant. Ce centre de la ville, voilà la métaphore qui explique tout. Un coeur qui ne bat plus. Un café fermé pour cause de faillite, plus de tabac, plus de PMU. L’autre qui ferme dans une semaine remplacé par une banque. L’église fermée pour travaux (ou plutôt pour absence de travaux). On a enfin commencé à refaire le clocher. Mais ce magnifique vaisseau décrépi est comme Villiers. Une ville qui a été belle, mais défigurée et étayée de partout. Voilà un plan que les journalistes auraient pu prendre.

Je m’en vais. Ce soir, je pense qu’il y aura comme tous les soirs le feu d’artifice de 22 h, suivi de la grande parade. Tout le monde aura tout vu, personne n’aura rien su sur ce que vivent les gens ici. Rien su du fait qu’ici beaucoup de gens pensent se battre pour que tout change, alors que rien ne change. Ni l’impunité, ni l’oisiveté, ni l’argent facile. Ni, non plus, l’énorme gâchis de talents et d’humanisme d’une jeunesse qui a tant à offrir.

Jamais comme à Villiers je n’ai plus croisé d’élèves si attachants, capables à la fois des plus grandes maladresses et des plus beaux témoignages de solidarité. Je rentre chez moi avec cette impression bizarre qu’on ressent en revenant sur des lieux aimés transformés par la douleur.

Je suis pessimiste. Pas parce que les émeutes vont continuer. Mais parce que pour Larami et Moushin, il n’y a toujours que quelques pauvres fleurs. »

Mathieu Lours-Giorgini

L’article du Parisien

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