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Le malaise de la société ne se réduit pas à la seule question des inégalités sociales

6 novembre 2007

Extrait du « Monde » du 23.10.07 : Combattre le mépris

Une note de lecture de Philippe Arnaud pour « Le Monde » à propos de « La quête de reconnaissance, nouveau phénomène social total », sous la direction d’Alain Caillé, éditions La Découverte, 304 pages, 25 euros.

Lame de fond ou nouveau miroir aux alouettes ? « Les luttes politiques proprement modernes qui, pendant plus de deux siècles, avaient été des luttes de redistribution sont devenues prioritairement des luttes de reconnaissance », écrit Alain Caillé, directeur de la Revue du Mauss (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales), et professeur de sociologie à l’université Paris-X Nanterre. Certes, les conflits de répartition ne sont pas encore caducs. « Mais il devient chaque jour plus clair, poursuit M. Caillé, qu’il ne suffit pas de produire et de redistribuer des biens et des services objectifs, matériels, mesurables, pour espérer surmonter toute une série d’autres conflits sociaux qu’on avait crus longtemps secondaires, solubles dans la lutte des classes économiques, et qui y apparaissent désormais tout à fait irréductibles. »

C’est au sociologue allemand Axel Honneth que l’on doit d’avoir suscité les débats récents autour de la notion de « reconnaissance ». Dans La Lutte pour la reconnaissance (éditions du Cerf, 2000) comme dans La Société du mépris (La Découverte, 2006), celui que l’on présente souvent comme le successeur du philosophe et sociologue allemand Jürgen Habermas, montrait que les « pathologies sociales » ne sauraient se réduire au problème des inégalités ; mais qu’elles sont dues aux conditions fondamentales qui permettent, ou non, « une vie bonne et réussie ». C’est dans le prolongement des recherches d’Honneth que se situe cet ouvrage, auquel ont participé quinze contributeurs, pour la plupart chercheurs en sociologie, mais aussi en psychologie du travail, ou en anthropologie.

Comment expliquer l’ampleur de cette quête de reconnaissance, qui s’exprime aujourd’hui, si l’on en croît l’ouvrage, dans tous les secteurs de la société ? Quelle valeur y attribuer ? « Les souffrances créées par l’absence de reconnaissance, l’invisibilité, le mépris sont proprement insupportables », écrit M. Caillé, pour qui la quête de reconnaissance serait un fait social « total », « premier » et « primordial », l’accumulation du capital (ou sa dilapidation) n’étant qu’un « moment » de cette lutte.

La société aurait une sorte de « devoir de reconnaissance ». Mais il y a plusieurs types de reconnaissance, montrent les auteurs ; et la demande de reconnaissance est souvent ambiguë. Andy Warhol promettait à tous un quart d’heure de célébrité. Mais l’offre de reconnaissance, par les médias ou les entreprises, n’est-elle pas illusoire ou manipulatrice ? Et comment concilier la sollicitude et la justice ? L’éthique de la reconnaissance ne s’oppose pas à l’éthique de la justice, mais elle s’en distingue. La justice est abstraite, et aveugle ; elle jette sur les êtres un pieux voile d’ignorance. La reconnaissance, elle, est affaire de discernement. « La sagesse pratique consiste à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude en trahissant le moins possible la règle », écrivait Paul Ricoeur, autre penseur de la reconnaissance. C’est à cette sagesse pratique que cet ouvrage, stimulant, nous convie.

Philippe Arnaud

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