Le philosophe Yves Michaux dans un lycée ZEP de Vitry-sur-Seine

20 octobre 2007

Extrait de « Libération » du 19.10.07 : A Vitry, sous la philo, « le respect »

Education. Des élèves du lycée Jean-Macé ont débattu avec le philosophe Yves Michaud.

Depuis quelques minutes, une main se lève, hésitante, au fond de l’amphi. Puis l’élève prend le micro qu’on lui tend et se lance : « M’sieur, est-ce que c’est possible un total respect ? » A la tribune, le philosophe Yves Michaud, en veste rouge sur une chemise en jean, entend mal et fait préciser la question : « Tu veux dire quoi exactement ? » « Un respect total, lorsqu’on n’est jamais irrespectueux. » « On trouve cette idée dans certaines religions, comme le bouddhisme, qui prône le respect absolu de tous et de tout... »

Devant l’afflux des questions, le philosophe est ravi. Ce mardi après-midi, Yves Michaud, qui a beaucoup écrit sur la violence et l’art, est venu animer une conférence sur le respect au lycée Jean-Macé de Vitry-sur-Seine, dans la banlieue sud de Paris. Il a commencé par un exposé de quarante minutes, rythmé par la projection de transparents et de photos - « elles sont trop rares sur le sujet », a-t-il dit. Il a introduit peu à peu son auditoire dans les subtilités de la notion de respect - comportement ou sentiment - et les débats autour - faut-il respecter chaque être humain quel qu’il soit ou selon son mérite ? Il a aussi évoqué la brutalité du langage, incompatible avec le respect. - « Je ne peux pas dire “je respecte cette fille mais c’est une salope” » et le respect envers Dieu : « Ne faut-il pas plutôt dire : on croit, on obéit à sa loi ? »

Puis il a laissé la parole à la salle. Le premier quart d’heure a été laborieux. Les 150 lycéens de terminale sont d’abord restés muets. Impressionnés de se retrouver face à un philosophe, à devoir s’exprimer hors du cadre scolaire. Puis le déblocage s’est produit. « Monsieur, vous avez parlé du vieil homme qui marche difficilement. Il est vulnérable, on se dit alors que c’est un être humain et on a du respect. Mais est-ce que vous ne confondez pas là respect et pitié ? » « Toute la question est de démêler les sentiments, répond Michaux. Pour savoir les analyser, il faut lire beaucoup, de la bonne littérature comme de la mauvaise, des romans de gare, ça n’est pas important, mais il n’y a pas que la lecture. »

Au fur et à mesure que l’échange s’accélère, Yves Michaud, concentré et tendu, s’est mis à marcher à la tribune. Son visage s’est empourpré. En face de lui, dans l’amphi tout neuf du lycée, cinq classes issues de filières générales et professionnelles (une classe de « structure métallique industrielle », une spécialité de l’établissement). Le lycée est classé en zone d’éducation prioritaire et en zone urbaine sensible. Plus de 60 % des élèves, en grande majorité issus de l’immigration, sont boursiers, donc de familles modestes. Le philosophe est rompu à ces échanges et il connaît ce public qui a « souvent plus de choses à dire que dans les quartiers favorisés ».

Capuches

Fondateur de l’Université de tous les savoirs (www.utls.fr), c’est maintenant la deuxième année qu’il fait des conférences dans les lycées, avec le soutien du ministère de l’Education et de la région Ile-de-France. L’an dernier, il est venu à celui tout proche d’Alfortville pour débattre de la violence. Là il s’est retrouvé face à plusieurs élèves difficiles. Une pratique de terrain à laquelle il tient et, dit-il, qui l’enrichit. A Vitry, c’est plus facile. Comme le veut le règlement, toutes les capuches sont baissées, les casquettes enlevées. Les lycéens, pour la plupart, écoutent. Mais ce qui occupe les esprits en ce moment, c’est la nouvelle loi sur l’immigration, particulièrement l’article sur les tests ADN.

A plusieurs reprises, Yves Michaud est interpellé sur le sujet. « La loi sur l’ADN, est-ce que ce n’est pas un manque de respect à ceux qui auraient de la famille en France ? Est-ce qu’on ne va pas vers un fichage racial, alors qu’on n’en a rien à faire de l’origine ? », interroge un élève. « Pourquoi si ce test est un moyen de preuve, on ne l’utiliserait pas pour le regroupement familial ?, répond le philosophe. Non, l’enjeu est ailleurs : c’est le contrôle des fichiers. Et là, vous avez voix au chapitre, vous êtes des citoyens. »

Cailloux

Des mouvements d’impatience parcourent la salle. La réponse ne convainc pas. Mais il persiste : « Il faut arrêter de faire du misérabilisme sur l’émigration. Du coup les jeunes intellectuels africains vont maintenant vers les Etats-Unis. Même si vous me jetez des cailloux, j’estime que la mondialisation a permis une vraie croissance en Afrique. Et qu’il faudrait des stratégies de codéveloppement ». Le discours a du mal à passer. Les deux positions se croisent et aucun ne veut céder du terrain. Alors on en revient au respect : « M’sieur, pourquoi quand on a le même comportement envers deux personnes, l’une trouve que c’est de l’irrespect et l’autre non ? », lance une voix. Yves Michaud est aux anges : que des bonnes questions. « Cela renvoie à l’estime que vous avez de vous »...

Véronique Soulé

L’université de tous les savoirs

Répondre à cet article