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Portrait d’un étudiant de Sciences-Po provenant de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)

3 octobre 2007

Extrait du « Figaro » du 02.10.07 : Lycéen à Clichy-sous-Bois, il entre à Sciences Po

Avec deux autres élèves de son lycée classé en ZEP, Ange a débarqué ce matin dans la prestigieuse école. Son portrait.

Autant qu’il s’en souvienne, Ange Boyou a toujours su ce qu’il voulait faire quand il serait grand. À chaque fois qu’il recevait le premier prix dans son école primaire d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, cette éternelle tête de classe croyait lire dans les acclamations un avenir tout tracé. « Je me disais, si je suis si intelligent, que les gens m’aiment tant, je peux devenir président », éclate-t-il de rire.

Depuis, l’Ivoirien de 18 ans a su garder des rêves à la hauteur de ses ambitions. Dès qu’il a appris, en 2006, que Sciences Po Paris avait signé une convention avec son lycée ZEP de Clichy-sous-Bois pour pouvoir intégrer la prestigieuse école, l’élève de terminale a sauté sur l’occasion. Appartenir au lycée Alfred-Nobel, situé au coeur d’une banlieue plus connue pour les émeutes que pour ses performances, ne l’a pas davantage effrayé. « Je n’avais rien à perdre ! »

Pari réussi. Avec Olivia et Nouha, deux camarades d’Alfred-Nobel, Ange effectue sa rentrée rue Saint-Guillaume, à Paris. Comme n’importe quel étudiant de première année. Ou presque. « Quand je suis venu visiter l’établissement il y a un an, c’était la première fois que je mettais les pieds à Paris », s’amuse-t-il. Lui qui n’en est pas à son premier défi n’est pas du genre à se laisser impressionner. « Je sais que les autres ont des bases plus solides. Mais vu d’où je viens, je ne vais pas m’arrêter à ça. »

« Je n’avais pas le choix »

Quand en 1999, à 10 ans à peine, Ange est confié par son père infirmier à un tuteur parisien « pour se construire un avenir », c’est seul qu’il débarque en France. Abandonné par son parrain au bout d’un an, puis par un autre l’année suivante, l’enfant refuse de « se laisser abattre ». « Je craquais parfois, mais je repartais vite, je n’avais pas le choix », raconte-t-il. C’est finalement chez une parente éloignée de Clichy-sous-Bois qu’il atterrit. « Elle a eu la gentillesse de s’occuper de moi comme une seconde mère, la moindre des choses était de ne pas lui créer de problèmes », assure le jeune Ivoirien.

Il continue donc d’obtenir de bons résultats. Dès la 5e, celui qui se rêve encore homme d’État ne manque pas un JT, ni une séance de l’Assemblée nationale sur son petit écran pour apprendre de ses modèles. Il emprunte des livres, consulte les journaux, le dictionnaire. Sans jamais se laisser entraîner dans les dangereuses liaisons de son quartier. « Grandir sans parents m’a rendu égoïste. Je ne suis pas mes amis partout. Quand quelque chose ne me plaît pas, je passe mon chemin », assure-t-il.

Pour autant, il sait ce qu’il doit à ces profs sans qui il « n’aurait pas réussi ». Comme ceux qui chaque mercredi de terminale ont organisé des conférences, convié des intervenants, encadré la préparation du dossier de presse demandé aux élèves. « Il faut dérouiller l’ascenseur social, mettre fin à l’autocensure des élèves, leur donner les moyens d’être à armes égales avec les autres, assure Stéphane Leteuret, enseignant d’histoire-géo. Avec trois admis sur quatre, le résultat est inespéré ! »

Ballotté pendant l’année d’un logement à l’autre, Ange passe néanmoins l’oral d’admissibilité à Sciences Po, puis le grand oral sans peine. « J’étais noué, mais je n’ai pas fait de blocage, j’avais de bons arguments », estime-t-il. Aujourd’hui, Ange s’est lancé un nouveau défi : trouver un métier qui exhorte les gens à investir dans son pays. Et pourquoi pas, un jour, donner raison à ses rêves d’enfant

Anne-Noémie Dorion

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