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Ségrégation scolaire et ségrégation urbaine

Les ZEP face à la stigmatisation, avec Agnès Van Zanten (Rencontre OZP, octobre 2002)

octobre 2002

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires - www.ozp.fr

n° 34 - octobre 2002

Les ZEP face à la stigmatisation

Compte rendu de la réunion publique du 2 octobre 2002

La stigmatisation résultant du label ZEP est un argument souvent évoqué contre l’éducation prioritaire.
L’OZP a invité Agnès Van Zanten, sociologue, auteur de nombreux travaux sur la ségrégation scolaire, pour donner un éclairage sur cette question à partir notamment des résultats d’une recherche publiée dans « L’école de la périphérie » (PUF, 2001).

Agnès Van Zanten analyse d’abord les facteurs de ségrégation sociale et de stigmatisation, puis leurs effets sur le fonctionnement des établissements, avant de rechercher les possibilités de régulation politique.

Concentration d’un public scolaire et stigmatisation

On ne pourra pas améliorer la situation de certains établissements sans comprendre ce qui produit cette stigmatisation. La stigmatisation est liée à la concentration d’un public scolaire auquel sont associés, dans l’opinion, des effets négatifs. Ce sont les caractéristiques de ce public qui servent à désigner ces établissements.

Remarquons qu’on n’utilisera pas ce terme de ségrégation pour désigner celle, beaucoup plus forte, de la bourgeoisie dans certains quartiers ou communes de la région parisienne ou pour désigner les quartiers chinois qui eux sont peu associés à des images négatives. Remarquons aussi que les habitants des quartiers populaires ne vivent pas toujours négativement cette concentration.

Les causes de la concentration sont multiples : les choix des familles, ceux des promoteurs, l’action de l’État, des collectivités locales, des responsables des HLM, le rôle du marché, etc. Le monde scolaire renvoie toute la responsabilité sur le monde extérieur, alors que l’école est impliquée :
 indirectement parce que les familles choisissent leur résidence en fonction des établissements (phénomène accentué par la stigmatisation scolaire) et que les élus utilisent l’école comme un facteur de leur politique urbaine ;
 et directement parce que la carte scolaire n’est pas neutre, et surtout parce que l’école est productrice de ségrégation.

Les stratégies des familles

La ségrégation scolaire ne résulte pas seulement de la ségrégation urbaine. Dans certains quartiers, surtout en région parisienne, la ségrégation scolaire est plus importante que la ségrégation urbaine. Est-ce seulement un refus des classes moyennes d’accepter le mélange ?

A. Van Zanten a tenté d’étudier dans des quartiers hétérogènes ce qui pouvait être imputé à ces familles, en enquêtant sur leurs attitudes à propos du niveau scolaire, de la sécurité de l’enfant et du rôle social de l’école, lieu de la sociabilité enfantine et adolescente et porte d’entrée dans la société.

Aujourd’hui, pour les classes moyennes, la concurrence est de plus en plus rude en haut de la pyramide, mais, en outre, elles sont menacées « par le bas » par la démocratisation, vécue comme un envahissement, alors qu’elles avaient été les grandes bénéficiaires de la première vague de démocratisation (des années 60 aux années 90). L’enjeu scolaire est donc capital.

Le niveau scolaire

Ce terme cristallise les concurrences autour des « positions ». Maintenir le niveau, c’est d’abord avancer au plus vite et récompenser la précocité. D’où l’anxiété des parents qui veulent que leurs enfants soient en avance et bien classés et l’importance que l’école accorde, en France plus qu’ailleurs, à la question de l’âge des élèves. Avoir le bon niveau, c’est être bien positionné par rapport aux autres. Le bon positionnement recouvre aussi l’acquisition d’une compétence générale que les parents appellent « méthode de travail » et qui est une façon de retraduire la demande du marché de l’emploi en termes d’adaptabilité et de flexibilité. Pour se placer sur ce marché, ces familles demandent aussi une évolution des contenus pour que soit introduit ce qui peut favoriser l’insertion (langues, informatique...).

Agir sur l’école

Ces parents pensent qu’on ne peut pas changer l’école par le haut, ils déploient donc beaucoup d’efforts pour choisir la bonne école et intervenir directement sur les établissements. La cohabitation avec les classes populaires est un obstacle à cette intervention dans l’établissement. On cherchera donc à se retrouver entre soi. L’image de l’établissement, découlant de celle de son public, est alors décisive.

Les résultats des enquêtes sociologiques sont utilisés par ces parents dans un sens différent de ce que les sociologues attendent : « On sait bien que les enfants de milieux populaires réussissent moins bien à l’école et donc qu’ils ralentissent la scolarité des autres », disent-ils. Ils sont de plus en plus convaincus que l’école, ce sont les autres enfants qui la font et ils regardent d’abord qui fréquente telle école. Même les parents les plus favorables à la mixité et qui « laissent » leur enfant dans une école « mixte » pensent que le niveau en pâtit.

Cette question de l’image revient dans le débat.

Question - L’existence dans une ZEP d’un vrai projet et d’une véritable équipe pédagogique peut-elle compenser les effets de la stigmatisation ?
Réponse - Les parents qui ont une appréciation positive d’une école mettent en avant l’activité du directeur et le travail en équipe, signes que quelque chose se passe. Ces éléments sont importants pour amener les enseignants à s’ouvrir à l’extérieur. Mais même les parents informés ignorent souvent ces éléments positifs du fait de l’absence de communication entre l’école et eux.
Pour beaucoup de parents, seule l’école privée a des projets et ils analysent très précisément son fonctionnement. Mais, quand il s’agit des collèges publics, ils ne parlent que du public qui les fréquente, comme si ces établissements constituaient un vide pédagogique.
Ils pensent que les enseignants sont bons, meilleurs que dans le privé, que parfois leur directeur « se bouge », mais... il y a les élèves !

Q - Et les parents des familles populaires ?
R - Elles sont sous représentées dans le discours sur l’école et on les écoute peu.

Q - Ce qui se fait dans des ZEP telles que celles de Nanterre a une toute autre envergure que ce qui se fait dans les secteurs ordinaires. Mais j’ai l’impression que leur image concerne plus l’environnement social et ce qui se passe dans la cour de récréation que le travail dans les salles de classe.
R - Oui, je l’ai dit, les parents voient les écoles publiques à travers leur public, mais on ne peut pas dire qu’ils sont focalisés sur ces seuls problèmes, puisque, quand ils parlent du privé, ils analysent la vertu de l’offre pédagogique. Pourquoi y a-t-il un tel déficit de la réflexion pédagogique dans le public ? Pour les écoles publiques qui ont un projet, les parents disent qu’elles font des choses extraordinaires, mais ils pensent que ce sont des activités destinées aux enfants des milieux défavorisés. « Les enseignants sont admirables, mais ce qu’ils font n’est pas pour mes enfants ». Ces parents pensent que ce que font les écoles traditionnelles permet peut être d’avancer plus vite et est plus directement adapté à la compétitivité dans le monde du travail.

La socialisation et la sécurité

Plusieurs facteurs sont pris en compte par les parents. Ils ont à choisir d’abord entre la proximité, avec les camarades du quartier, et l’éloignement, avec les trajets.

Le désir de protection de l’enfant est aussi un facteur important. La mixité sociale peut engendrer des peurs : les mauvaises fréquentations, la violence. On constate d’ailleurs que les familles peuvent faire des choix différents pour chacun de leurs enfants en fonction de l’âge, du sexe, de la maturité ou du caractère.

Les amitiés se construisent à l’école. « Un peu de mixité, c’est bien ». Mais l’exemple des invitations aux anniversaires des enfants montre les limites de la demande de mélange. Avec qui va-t-on se mélanger ? Certaines familles voient clairement la société divisée en classes bien différenciées, avec leurs valeurs, leur façon de parler... et à chaque classe son école ! D’autres acceptent le mélange, mais à condition que les conséquences négatives restent limitées.

Le choix d’établissements homogènes ne passe pas nécessairement par des dérogations mais par le choix du privé ou par des stratégies résidentielles. Les familles qui restent dans les quartiers populaires ou mixtes pratiquent aussi des stratégies de « colonisation » interne (décrites dans L’école de la périphérie), en essayant de faire prévaloir leurs priorités dans l’établissement.

Les effets de la stigmatisation sur les établissements

Le travail sur l’image de l’établissement

L’un des principaux effets de la stigmatisation est qu’elle focalise la politique des établissements, dont certains consacrent toute leur énergie à un travail sur leur image. Mais ils disposent de peu de ressources et d’autonomie pour que cette action soit efficace, car leur image est liée à l’image du quartier et à celle des établissements voisins. À Paris, en outre, le modèle des grands lycées dévalorise l’image des autres établissements.

Avec ce travail de certains établissements sur leur image, on commence à abandonner la discrimination positive, à dissimuler ce qu’on fait en direction des enfants défavorisés. Dans ces collèges, on en rajoute sur la discipline, au-delà du strict nécessaire, on cherche plus à rassurer qu’à résoudre un problème. Par exemple, on va faire des contrôles de présence heure par heure.

Cette centration sur la sécurité est d’ailleurs un phénomène général dans nos sociétés, on le retrouve par exemple dans les mesures prises pour la sécurité de l’alimentation.

Les personnels aussi évitent certains collèges. Une forte mobilité des enseignants, très visible pour les parents, accentue la stigmatisation.

La composition des classes, une ségrégation interne

L’action des établissements a même parfois pour conséquence de renforcer les effets de la stigmatisation. Dans l’organisation du collège, on s’efforce de créer un espace d’excellence et, en définitive, on crée une ségrégation interne. Dans ce cas, une part importante de l’énergie (et parfois des moyens) de l’établissement va être dirigée vers les élèves les moins en difficulté. Il y a parfois détournement des moyens attribués au titre de la discrimination positive.

Les effets d’une organisation en classes homogènes ou inversement en classes hétérogènes doivent faire l’objet d’un débat public associant les parents. De bons élèves regroupés entre eux progressent peut-être un petit peu plus vite, mais, pour les enfants de milieu populaire, le gain apporté par la mixité est beaucoup plus important.

Si l’on considère le bien commun, il serait plus bénéfique d’avoir des classes hétérogènes. Mais les parents de milieu favorisé cherchent à optimiser les chances de leurs enfants. Les élèves de milieu défavorisé apprennent moins dans les « mauvaises classes » mais aussi adhèrent moins aux valeurs de l’école et de la société et apprennent à devenir déviants.

Q - Certains établissements mettent en place des classes spécifiques ou des regroupements temporaires qui n’ont pas forcément des effets ségrégatifs.
R - Des évaluations faites dans de nombreux pays montrent que la plupart des dispositifs qui regroupent durablement des élèves en difficulté ont plutôt des résultats négatifs, liés à la baisse des attentes des enseignants et à la baisse des interactions entre élèves.

Q - En cas d’hétérogénéité très forte et d’absence de toute mixité sociale, lorsque s’est constitué un ghetto, c’est-à-dire plus que de la ségrégation, vos analyses s’appliquent-elles encore ? Et comment gérer ces situations ?
R - Certes l’extrême hétérogénéité peut être défavorable, mais pas entièrement. L’hétérogénéité ingérable est plus une question de comportement scolaire, de rapport au travail, que de niveau. Les enseignants disent pouvoir enseigner à des élèves de niveau différent, mais que faire des élèves perturbateurs ? Ce n’est pas un problème didactique mais un problème de gestion de la classe. Ces perturbateurs ne sont pas toujours les élèves en plus grande difficulté.

Stigmatisation et baisse de la motivation et de l’adhésion

De manière plus profonde, plus un établissement est stigmatisé, plus il a du mal à réfléchir de façon cohérente à ses objectifs ou à ses méthodes de travail. Certes, on peut y trouver une solidarité forte entre enseignants, face à la pénibilité du travail, mais cette solidarité n’entraîne pas nécessairement de mobilisation pédagogique. Elle conduit même parfois à l’entraver en entérinant la baisse des objectifs.

Il n’existe pas en France d’établissements abandonnés par l’État comme on le voit aux États-Unis. Dans les cas difficiles, on accorde de nouveaux postes : infirmières, assistantes, intervenants extérieurs. Mais la coordination de ces nouvelles fonctions n’est pas organisée. Chacun retient l’information et le pouvoir qui lui est lié. On voit par exemple des rôles ou des territoires professionnels se découper autour de ce qu’on dit ou pas aux autres sur les enfants. (NDLR : Voir une analyse détaillée de ce phénomène dans le compte rendu des Rencontres n° 38 - mars 2003 - sur « La veille éducative dans les municipalités ».

Plus l’établissement est stigmatisé, moins les élèves adhèrent à ce qui leur est proposé. Ne pas s’investir et faire reposer la responsabilité de l’échec sur l’établissement est une façon de se protéger.

Quelle régulation politique ?

Le consumérisme des familles et les dysfonctionnements des établissements n’expliquent pas tout. Il y a aussi un problème politique : la perte de crédibilité du projet démocratique. Les parents, y compris les plus favorables à la mixité sociale, ont l’impression que les réformes ou les expériences pédagogiques ne marchent pas, que l’école échoue à traiter la mixité. Les enseignants croient de moins en moins à la capacité de l’école à faire réussir tous les enfants et à réduire les inégalités sociales. Il y a tout un travail d’explication et de conviction à mener.

Les jeunes enseignants, souvent modernistes et prêts à s’impliquer dans de nouvelles procédures, dans le travail en équipe, n’établissent pas un lien clair entre la démocratisation et leur mode de travail.

Si l’école reste fermée au dialogue avec les parents, les parents se focaliseront d’autant sur le public fréquentant l’établissement comme critère de choix. Les parents pourraient, comme aux États-Unis, devenir une force conservatrice remettant en cause le processus de démocratisation.

Q - On est dans un cercle vicieux : si on ne fait pas de « classes homogènes fortes », les parents vont enlever leurs enfants de l’établissement.
R - Il existe une marge d’action : certes, on ne pourra pas contrer l’attitude des parents qui veulent optimiser à tout prix les chances de leurs enfants, mais on peut faire un travail avec les parents qui veulent simplement être sûrs que leurs enfants pourront faire une scolarité normale au lycée. Pour cela, il faut aussi que le lycée ne sélectionne pas selon le collège d’origine.

Q - Dans les années 80, il y a eu des refus de classement en ZEP, mais, depuis, les demandes de classement affluent. Y a-t-il vraiment augmentation de la stigmatisation ?
R - La demande de classement n’est-elle pas actuellement une méthode pour obtenir des moyens ? Ce sont les personnels et non les parents qui demandent ce classement.

Q - On peut être tenté de dire : hors des classes moyennes, pas de solution pour l’école !
R - L’objectif de l’école n’est pas d’abord la mixité. Le plus important n’est pas que les élèves de milieux différents soient ensemble. Cet objectif ne doit pas absorber toute l’énergie. Mais il faut savoir dire ce que l’on va faire avec tous ces enfants, dire en quoi le mélange est positif, sinon on ne verra que les effets négatifs. Dans la résistance à la mixité, il y a aussi le fait que le projet social de l’école est complètement vide. Ainsi, aucun jeune enseignant ne peut donner une définition positive de la laïcité.
Il faut pouvoir dire ce qu’est l’école contemporaine dans une société où existent des vagues migratoires importantes, ou des rapports sociaux à inventer, et ce que la mixité peut apporter. On ne peut développer aujourd’hui une scolarisation séparée selon les milieux. Ce modèle communautariste a pu fonctionner dans les banlieues « rouges », on ne peut pas le proposer aujourd’hui.

Q - Qu’est-ce qui pourrait dans l’école actuelle contrebalancer la demande dominante des classes moyennes ?
R - D’une part, une fraction des classes moyennes demande seulement une scolarité normale et adhère aussi au principe de la mixité. Mais les établissements de la périphérie sont soumis eux aussi au modèle de l’excellence comme modèle unique. Je suggère que l’autonomie ne soit pas seulement un travail sur les procédures ou la gestion, mais aussi une réflexion sur les
valeurs, les normes, sans tomber pour cela dans l’école à deux vitesses. Les programmes nationaux, producteurs d’égalité, doivent être conservés, mais une régulation locale, au niveau de l’établissement ou de la zone, doit compléter ce cadrage national.
Actuellement, beaucoup d’enseignants s’adaptent à leur public en baissant le niveau d’exigences et cette adaptation se fait spontanément sans même le garde-fou d’un échange entre collègues.

Q - Les politiques publiques peuvent-elles vraiment changer quelque chose à l’échec scolaire ou au processus de ségrégation ?
R - Le développement de la sociologie, et plus généralement du niveau d’information de l’opinion, ont eu un effet pervers en donnant l’impression que les problèmes sont tellement complexes qu’il n’y a rien à faire. Créons des espaces de débat sur ce qui est possible et souhaitable, mais cet espace ne peut être occupé uniquement par des sociologues transformés en prophètes sociaux !.
Pour lutter contre la stigmatisation, il faudrait ne pas limiter la réflexion aux effets du label ZEP. Quel a été l’apport véritable des ZEP et l’a-t-on véritablement fait savoir ? Les enquêtes sont certes insuffisantes, mais ces résultats, trop parcellaires, ne sont pas communiqués. Par exemple, on ne sait pas assez que les enfants de bon niveau n’ont pas été pénalisés, même si demeure sur ce point le soupçon que, par démagogie, on est plus indulgent en ZEP qu’ailleurs pour le passage dans la classe supérieure.

Compte rendu rédigé par François-Régis Guillaume

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