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Education prioritaire et territoires. Que peut la géographie ? (Rencontre OZP)

9 juillet 2007

-----LES RENCONTRES DE L’OZP-----

Observatoire des zones prioritaires
www.ozp.fr

n° 67 - juillet 2007

Education prioritaire et territoires
Que peut la géographie ?

Compte rendu de la réunion publique du 13 juin 2007

L’éducation prioritaire est fondée sur le constat suivant : c’est en certaines « zones » que se recoupent populations en grande précarité et problèmes économiques et sociaux ; et l’on observe que l’échec scolaire y est souvent massif.
Pourtant perdure, encore aujourd’hui, l’illusion selon laquelle éducation et instruction pourraient s’effectuer de la même façon partout, quel que soit le territoire où sont implantés écoles maternelles, écoles élémentaires, collèges. En réalité, la notion de territoire est capitale dans la détermination des processus qui définissent et orientent l’éducation prioritaire.

Dès lors, la géographie urbaine, la géographie sociale ne devraient-elles pas être des disciplines de référence pour mieux appréhender la nécessité et la validité de l’éducation prioritaire ?

Francine BEST (IGEN honoraire), animatrice et organisatrice de la Rencontre, introduit la séance en rappelant les réticences devant la notion de zone, familière aux géographes mais associée à « la Zone », territoire en déshérence ceinturant Paris au XIXè et au début du XXè, ou maintenant plus généralement vécue comme contraire à l’égalité républicaine.

Intervention d’Hervé Vieillard-Baron

Hervé VIEILLARD BARON, géographe, professeur à l’université Paris VIII, UM de Recherche « LOUEST », rappelle qu’il a participé avec l’IUFM de Versailles à la mise en œuvre de l’éducation prioritaire dans cette académie et se souvient aussi bien de la mobilisation de certains collèges qui ont pu redresser des situations difficiles en quelques années que de la fragilité de tout ce qui est entrepris dans ces zones. Education et territoires ne sont pas en effet dans les mêmes temporalités.

Il présente la géographie comme sur une science attrape-tout qui décrit et projette dans l’espace, sur des cartes, les données des autres sciences qui la nourrissent. (NDLR L’intervenant a appuyé son exposé sur de nombreuses cartes et tableaux statistiques présentés au rétroprojecteur, documents qui n’ont pu être reproduits ici).
La géographie décrit donc aussi, pour ce qui concerne le thème de cette rencontre, les faits de ségrégation et de dispersion, comment se répartissent dans l’espace les CSP, les étrangers, la pauvreté...
L’intervenant fait remarquer qu’il existe un marché de l’exclusion et des phénomènes urbains sur lequel la sociologie est très présente.

1 - Les données urbaines : une urbanisation massive
Entre 1945 et 2007, la France est passée de 22 millions d’urbains à 45 millions. Ce phénomène peut être décrit à des échelles différentes. Selon l’échelle utilisée, on n’appréhende pas les mêmes phénomènes. A l’échelle des agglomérations, on observe un développement massif et rapide des banlieues : 22 millions de personnes vivent dans les communes centre et 23 dans les communes de banlieues. La banlieue est définie par l’INSEE comme le territoire où aucune construction n’est séparée d’une autre de plus de 200 mètres.

La banlieue de Paris est passée de 279 communes en 1968 à 305 en 1975, 378 en 1991, 395 en 1999. Paris est la seule capitale au monde qui n’ait pas élargi son territoire, enfermée dans son périphérique, qui est à la fois, phénomène de rupture et de représentation de la rupture.
Plus récemment, le développement du périurbain, avec des lotissements, a amené la formation d’une troisième couronne d’urbanisation, active mais discontinue. Sa population se représente comme appartenant aux couches moyennes mais a des revenus modestes. C’est là qu’aujourd’hui se jouent l’essentiel des problèmes éducatifs, même si on ne s’en rend pas compte. L’attention se focalise sur les problèmes de la couronne proche, l’ancienne banlieue rouge.

Les cartes décrivent cette urbanisation rapide. Les cartes anciennes mettent en valeur dans ces banlieues l’existence des villes centre, qui n’existent pas dans les zones d’urbanisation récente (ZUP et les villes nouvelles).

Les cartes font apparaître des différences de densité. Mais les problèmes sociaux ne sont pas liés à la densité mais aux caractéristiques locales. Pour comprendre les difficultés actuelles, il faut raisonner à une petite échelle et identifier les micro-fragmentations sociales et spatiales des quartiers.-

Si on analyse les migrations résidentielles au sein des aires urbaines, les cartes montrent des phénomènes de migrations vers les centres ville dans les années 50 et 60, puis après 1968 ce sont les banlieues qui accueillent l’essentiel des migrations : 150.000 habitants par an entre 1975 et 1982. Actuellement, la migration ralentit mais se poursuit.

2 - Comment identifier les territoires défavorisés ?
La carte des ménages à bas revenus fiscaux à l’échelle de la France entière montre une concentration en région parisienne des écarts les plus importants entre richesse et pauvreté.

A plus petite échelle, en région parisienne, pour élaborer les CUCS, on a défini des zones où les revenus sont inférieurs à 75% du revenu médian de la région. On y voit que les ZUS (zones urbaines sensibles) n’accaparent pas toute la pauvreté. A Saint-Denis, 80% de la population est en zone de pauvreté.

On constate une évolution morphologique rapide de l’habitat : il est difficile à l’éducation prioritaire de suivre cette évolution entre les quartiers ouvriers traditionnels, parfois dégradés, l’habitat social et les immeubles récents.
Les cartes font aussi apparaître une multitude de sous-quartiers. Les habitants s’identifient par rapport à une rue, un sous-quartier.
La réputation de l’école est décisive pour le choix de la résidence Ainsi La Plaine-Saint-Denis communauté d’agglomération autour de Saint-Denis (93) est en voie de gentryfication. Les cadres qui viennent y travailler attendent pour y habiter et inscrire leurs enfants à l’école.

Les grands ensembles symbolisent la banlieue. On distingue plusieurs générations de grands ensembles : au début, de petits immeubles de 4 étages, sans ascenseur, avec un toit, comme le domaine de Beauregard à La-Celle-Saint-Cloud (78). Puis, dans les années 55-65, les barres et les tours : Sarcelles (95), Massy (91), Pantin (93). Puis la 3ème génération : des ensembles plus formalisés, à Grigny (91, architecte Emile Aillaud), Chanteloup (78), l’Abreuvoir à Bobigny (93). Cette dernière génération a plus souffert, bien que l’urbanisme ait été plus pensé, car ces ensembles se sont peuplés au moment où, simultanément, la politique de regroupement familial des ouvriers étrangers se développait et où la crise économique s’aggravait. Beaucoup de grands ensembles ont vu leur population changer : de plus en plus populaire et comportant de plus en plus de familles d’origine étrangère. Ceux qui pouvaient « faire construire » sont partis dans les lotissements.

Analysons l’exemple de Chanteloup-les-Vignes( Yvelines). Un vieux village à coté duquel s’implante un grand ensemble pour loger les ouvriers de Poissy, qui se peuple à partir de 1973. Des lignes courbes, un espace piétonnier important. Des défauts sont apparus : des immeubles trop rapprochés, des dégradations. Il a fallu repenser l’ensemble et en même temps revoir la carte scolaire : le partage ZEP-hors ZEP suivait les lignes de tensions, un collège a été reconstruit.

L’intéressant est qu’on découvre, à très petite échelle, de très fortes logiques de distinction par le logement mais aussi par l’école. (NDLR Ce phénomène a aussi été très bien décrit par Stéphane Beaud dans « 80% au bac et après ? » pour les ensembles de Montbéliard). De petites différences sociales suffisent à provoquer des séparations importantes. Le recours au privé marque le souci de se protéger, choix de l’autorité, de l’éducation morale. A Sarcelles (Val d’Oise), l’école privée le Rosaire est très demandée et accueille des élèves de toutes les religions.
L’histoire du peuplement de Sarcelles, construit sur une durée de 20 ans, suit la décolonisation. On obtient une mosaïque-monde. Plus récemment on constate l’arrivée de couches moyennes quittant Paris. La pyramides des ages évolue : on observe le vieillissement de la population et la baisse des effectifs scolaires.

La géographie travaille aujourd’hui sur les représentations vécues de l’espace qui permet de nuancer et corriger les préjugés sur l’image des banlieues. (La géographie utilise maintenant des dessins d’enfants ou de jeunes pour analyser ces représentations.)

Débat

Un membre de l’association Prisme donne quelques informations sur la manière dont la Belgique gère les inégalités. Les élèves sont classés sur une échelle de + 4 à - 4 et un coefficient est calculé, qui est intégré dans le calcul des moyens de fonctionnement de l’établissement. Le classement des élèves et les coefficients sont confidentiels. En Belgique, il n’y a pas de carte scolaire, c’est la concurrence totale entre trois réseaux.

Une directrice d’école à Bobigny (93) revient sur les micro-différences : toutes les tours et toutes les barres de Bobigny n’ont pas une population identique. Il y a de « bonnes barres » et de « mauvaises barres ». Or, dans les critères utilisés par l’administration, on fait un bloc des populations dites défavorisées qui regroupent toutes les familles ouvrières ou des étrangers, alors qu’il y a d’énormes différences dans le suivi que ces populations demandent à l’école.
Elle fait état des remaniements récents de la carte scolaire et des classements en RAR en Seine-Saint-Denis dont la logique est difficile à saisir. On ne voit plus dans ces cas à quoi sert la carte scolaire. Alors, faut-il la supprimer ?
Elle en vient à décrire une situation locale où tous les dysfonctionnements se cumulent et où, entre l’Inspection académique, l’IEN, la municipalité, personne n’est en mesure de redresser la situation.

Didier Bargas (IGEANR) demande si on a utilisé la géographie dans l’élaboration de la carte de l’éducation prioritaire ou dans le choix des collèges Ambition Réussite.
Quel pourrait être l’apport des géographes dans un département où le conseil général et l’ensembles des responsables locaux pourraient mener une politique volontariste ?

Pour Hervé Vieillard-Baron, il n’y a pas de solution universelle. Il cite l’exemple du « busing » qui fonctionne dans le cas très particulier de Bergerac. Il évoque Carrières-sous-Poissy (78) où il n’y a pas de carte scolaire et où cependant le collège populaire fonctionne aussi bien que le collège au recrutement plus favorisé à cause de l’implication des personnels. La géographie permet de décrire plus précisément ces situations.
Il souligne que l’école peut accentuer les différences sociales du quartier, qu’elle peut être plus homogène que la population du quartier.

Au cours d’une discussion sur l’indicateur PCS (Professions et catégories socioprofessionnelles, anciennement CSP), la directrice d’école à Bobigny souligne que le facteur essentiel, c’est la précarité ! On rappelle alors la Rencontre n°58 avec Danièle Trancart où fut analysé l’échec grave qui touche les enfants des catégories « très défavorisées », en fait les plus précaires.

Un membre du bureau de l’OZP pense également que le critère principal de l’éducation prioritaire devrait être la précarité plus que la pauvreté. Les problèmes pédagogiques graves sont en effet plus liés à la précarité qu’à la pauvreté. A quand une cartographie de la précarité ? Mais, au préalable, il faudrait la définir.
En outre, il faudrait connaître très précisément la composition sociale des micro-quartiers. Dans les écoles de ZEP, nos collègues sont persuadés être dans des situations difficiles à cause de micro-ilôts connus de tous. Ainsi les directeurs commencent toujours par caractériser leur école par le nombre de nationalités ou d’ethnies, alors que ce critère n’a aucun sens !

Sur un second sujet, le « busing », le même membre du bureau rappelle avoir fait fonctionner à Gennevilliers (92) pendant 20 ans un dispositif où 250 enfants d’une cité de transit étaient scolarisés sur 4 commune et 12 écoles, mais personne ne semble se souvenir de cette expérience très concrète et le busing reste un terme de journaliste, empreint d’exotisme. Enfin, pour lui, le cancer des ZEP, c’est le fatalisme. La première condition pour enseigner en ZEP serait d’être convaincu de l’éducabilité de tous les enfants.

Hervé Vieillard-Baron précise que l’ONZUS (observatoire des zones urbaines sensibles) dispose de données fines. Un participant rappelle cependant que les situations changent plus vite que les classements en ZUS ou en ZEP.

Compte rendu rédigé par François-Régis Guillaume

A noter :

Le 11 juillet 2007, publication d’une circulaire de la DIV relative à la géographie de la politique de la ville : relevé des périmètres des quartiers prioritaires (CUCS)

Lire la circulaire
Ci-dessous une version PDF à la mise en page plus élaborée

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