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La revue « CLARIS » publie son 3ème numéro : Discriminations, Quartiers populaires...

28 mai 2007

Extrait d’un communiqué de « CLARIS » du 26.05.07 : Le n°3 de la revue « CLARIS » est sorti

Le n°3 de la revue CLARIS (animée entre autres par Laurent Mucchielli) est sorti sur le thème : discriminations, ségrégation, ghettoïsation, quel avenir pour les quartiers populaires ?

Au sommaire

L’emploi : des discriminations qui persistent malgré les beaux discours

* Le processus de ghettoïsation : éléments d’introduction (pages 4-6) Par Laurent Mucchielli

* Les discriminations à l’embauche (pages 7-10) Par Michel Luci

* Des discriminations plus légitimes que d’autres ? Les emplois fermés aux étrangers (pages 11-13) Par Christophe Daadouch

L’école : une ségrégation qui contredit tous les jours l’idéal républicain

* Les mécanismes de la ségrégation scolaire (page 14-16) Par Agnès Van Zanten

* La carte scolaire face à la ségrégation urbaine (pages 17-21) Par Marco Oberti

* L’annonce de la désectorisation comme d’un progrès : prémisse à une solitude éducative totale ? (pages 22-25) Par Laurent Ott

Le logement social : une situation critique et des réponses politiques hypocrites

* Les enjeux du logement social (pages 26-31) Par Eric Pélisson

* La gestion du risque socio-ethnique dans le logement social (pages 32-39) Par Mohamed Belqasmi

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Un extrait

Les mécanismes de la ségrégation scolaire

Agnès Van Zanten*

La notion de ségrégation scolaire renvoie à l’existence de différences, liées à la répartition des publics et des ressources, et de séparations entre contextes de scolarisation porteuses d’effets en termes d’inégalité et d’exclusion. L’usage de cette notion soulève encore de grandes réticences car elle remet en cause le mythe de l’école républicaine comme instance efficace et juste d’intégration professionnelle, sociale et nationale. Elle reste par ailleurs fortement associée à l’image du « ghetto », réalité sociale et politique américaine qui n’est pas transposable aux villes européennes, mais qui ne doit pas empêcher d’analyser la décomposition des territoires ouvriers de ce côté-ci de l’Atlantique et les nouvelles dynamiques sociales et ethniques qui s’y déploient (27).

La notion de ségrégation s’avère en fait très pertinente pour saisir le passage des inégalités d’accès à certains niveaux d’enseignement aux inégalités d’accès à des cadres de scolarisation différents à l’intérieur d’un même niveau qui caractérise le paysage actuel des inégalités d’éducation. Ceci est d’autant plus le cas que la dimension spatiale y est très présente car la diversification de l’offre éducative entre établissements de même type a renforcé la territorialisation des inégalités. Par ailleurs cette notion, qui inclut l’idée d’une mise à l’écart de certaines populations, permet également de comprendre le processus, à la fois objectif et subjectif, de production de l’exclusion à l’intérieur même des institutions d’enseignement.

La construction des ségrégations

Peut-on néanmoins affirmer qu’il y a une ségrégation scolaire ? Pour cela, il faut dans un premier temps montrer que la ségrégation scolaire n’est pas le simple décalque de la ségrégation urbaine. On peut évoquer trois arguments dans ce sens à partir de l’analyse des processus urbains et scolaires.

 Le premier est que si la concentration des populations scolaires est largement la conséquence de la concentration des populations dans l’espace urbain, la ségrégation urbaine est affectée à son tour par l’importance que prennent les enjeux scolaires dans les stratégies résidentielles des familles et des pouvoirs locaux, des urbanistes et des promoteurs immobiliers.

 Le second est qu’il existe des différences entre les caractéristiques scolaires, sociales et ethniques du public des établissements d’enseignement et celles de la population enfantine ou adolescente de leur zone d’implantation qui s’expliquent principalement par les variations dans le degré d’attractivité des établissements. Enfin, la ségrégation existe aussi non seulement entre établissements, mais à l’intérieur d’un même établissement : on y observe en effets des écarts plus ou moins importants dans la composition du public entre les classes, les options et les filières (28).

Les pratiques familiales jouent un rôle essentiel dans ces processus par l’effet de deux mécanismes complémentaires.

 Premièrement, les familles qui font des choix stratégiques appartiennent majoritairement aux classes moyennes et supérieures, sont moins souvent issues de l’immigration et ont des enfants qui ont des résultats scolaires bons ou moyens.

 Deuxièmement, ces familles optent massivement pour des établissements concentrant des publics dotés des mêmes caractéristiques. Ces orientations sont plus visibles dans les contextes nationaux où le choix de l’école est une politique officielle, ancienne ou récente, comme en Belgique ou au Royaume-Uni. Elles sont néanmoins également repérables en France si l’on s’intéresse au choix entre enseignement public et privé, ainsi qu’au choix à l’intérieur du secteur public qu’autorise l’existence de dérogations, l’assouplissement de la sectorisation ou un certain laxisme institutionnel dans certaines zones.

 Ce à quoi il faut rajouter les effets de la « colonisation » des établissements du secteur par les parents sur la ségrégation entre classes d’un même établissement (29).

Les politiques des établissements doivent aussi être prises en considération. Ces derniers sont en compétition pour de bons élèves les plus souvent issus de milieux moyens ou favorisés car ceux-ci augmentent leur prestige, leur permettent d’attirer d’autres ressources et facilitent les conditions de travail des professionnels de l’éducation. Les stratégies des établissements varient néanmoins en fonction principalement de deux éléments. D’un côté, la nature et le mode d’application des règles de jeu politiques et administratives leur donnent plus ou moins d’autonomie en matière de sélection des élèves et de différenciation de l’offre pédagogique. De l’autre, les ressources dont ils disposent, et principalement leurs résultats scolaires et les caractéristiques de leur public qui définissent leur position dans la hiérarchie locale et leur réputation, leur permettent d’élaborer des stratégies plus ou moins efficaces (30).

Effets et régulations

Ces stratégies renforcent la concentration des populations défavorisées dans certains établissements et dans certaines classes. Or de nombreuses recherches aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et, plus récemment, en France ont montré que les classes et les établissements qui regroupent des élèves en difficulté scolaire, issus pour la plupart des milieux sociaux désavantagés et immigrés, sont moins favorables aux progressions scolaires de ces élèves que les contextes scolaires hétérogènes. Ceci est la conséquence à la fois de l’adaptation des attentes et des pratiques de sélection des contenus, de transmission et d’évaluation des professionnels de l’éducation et du manque d’émulation et de transfert de ressources culturelles entre élèves.

D’autres travaux ont également mis en évidence que ces contextes de scolarisation favorisent le développement de pratiques déviantes à l’égard de l’institution scolaire et des formes de violence entre élèves, de même que des lectures racistes de l’échec scolaire, tant de la part des enseignants que des élèves et de leurs parents (31).

Comment donc réguler ces phénomènes ?

Il s’agit là d’une tâche difficile car ils s’ancrent non seulement dans des choix de politique éducative, comme le libre choix de l’école ou l’autonomie des établissements, mais dans des processus sociaux et culturels qu’il est difficile de modifier. On songe notamment au souci d’un nombre croissant de familles de doter leurs enfants d’un environnement scolaire leur permettant d’obtenir des avantages compétitifs en matière de scolarisation et à la volonté de certains établissements de garder leurs privilèges dans des systèmes d’enseignement plus ouverts qu’autrefois.

Les recherches montrent néanmoins que les insuffisances des régulations politiques nationales et locales, notamment le manque de coordination entre les diverses agences publiques et privées compétentes en matière d’éducation dans un territoire donné, contribuent fortement au développement de la ségrégation. Une amélioration de l’organisation des systèmes d’enseignement contribuerait par conséquent de façon significative à en limiter son étendue et ses effets sur les inégalités (32).

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notes

(28) J.-P. Payet, Collèges de banlieue. Ethnographie d’un monde scolaire, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1995.

(29) A. Van Zanten, Les choix scolaires dans la banlieue parisienne : défection, prise de parole et évitement de la mixité, in Lagrange H., dir., L’épreuve des inégalités, Paris, PUF, 2006.

(30) G. Felouzis, F. Liot, J. Perroton, L’Apartheid scolaire. Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges, Paris, Seuil,
2005.

(31) A. Van Zanten, L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF, 2001.

(32) C. Maroy, Ecole, marché et régulation. Une comparaison de six espaces scolaires en Europe, Paris, PUF, 2007 (à paraître).

* Sociologue, directrice de recherches au CNRS (Observatoire Sociologique du Changement). Ce texte reprend une
contribution à J.-M. Barreau, dir., Dictionnaire des inégalités scolaires en France, Paris, ESF, 2007.
27 L. Wacquant, Parias urbains. Ghetto, banlieues, Etat, Paris, éditions La Découverte, 2006.

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