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André Giordan analyse dans « Le Café » les propos du nouveau président sur la réussite scolaire

14 mai 2007

Extrait de « L’Expresso » du 14.05.07 : La transformation de l’école est une action sur la durée, en prise directe avec l’évolution de la société qui passe par un changement en profondeur de sa culture

Par André Giordan

Supposons que Monsieur le président Nicolas Sarkozy fasse ce que Nicolas Sarkozy, candidat, a dit ou écrit !
Bien sûr, on ne peut qu’être d’accord dans son programme avec... « le point 10. Une école qui garantit la réussite de tous les élèves » (1). Du moins dans son libellé de titre ! Mais qu’en est-il derrière ?...

Déjà comment l’argumente-t-il ? Son programme répond-t-il aux besoins d’une institution en panne ? Y a-t-il des éléments en rupture avec l’idéologie de de Robien ? Quelques commentaires...

NS.- « Même si elle a de vraies qualités, la situation générale de notre école n’est plus acceptable.20 % de nos jeunes quittent l’école sans qualification, c’est-à-dire sans aucune perspective professionnelle et un avenir personnel très limité. Je ne peux m’y résoudre. »

Commentaires. - Tout à fait, c’est inadmissible... mais il faudrait ajouter que les jeunes qui réussissent n’ont pas forcément acquis non plus les savoirs importants pour leur époque. Même ceux qui arrivent au bac restent analphabètes sur de multiples points : l’économie, le droit, l’urbanisme, le développement durable, la santé... Ils n’ont pu s’approprier ni savoirs transversaux, ni approche systémique ou pragmatique, deux approches désormais indispensables. En outre, on les a dégoûté pour la plupart de l’apprendre. Même le « savoir entreprendre » -qui devrait ravir Nicolas Sarkozy- est aux oubliettes...

NS.- « Qui peut croire que ce qui était possible hier, apprendre à tous les enfants à lire, écrire, compter, et leur donner un bagage culturel leur permettant de vivre en hommes libres et en citoyens éclairés, ne l’est plus aujourd’hui ? »

Commentaires. - Le sempiternel : « ah ! c’était mieux avant », totalement faux. Le nombre des jeunes qui quittaient l’école sans qualification était beaucoup plus grand au siècle dernier. A de nombreuses reprises, il a fait l’éloge sans nuances de l’école de la Troisième République à travers une version hautement idéalisée : « elle était belle. Elle était grande. Elle était noble. La France lui doit beaucoup. (...) « ceux qui partaient sans rien, sans héritage ni culture, l’école donnait la possibilité de tout avoir. A ceux qui travaillaient dur, elle assurait la récompense d’une vie meilleure. (...) De tout ce que la République a entrepris, l’école était sans doute sa plus belle réussite. Grâce à elle vivait l’égalité des chances. Grâce à elle grandissait une Nation fraternelle, construite sur des références et une culture communes (2). » Ses conseillers n’ont sans doute pas eu la chance de faire des études en histoire de l’éducation ; cette école n’a fait que reproduire un système : permettre une alphabétisation minimum pour les besoins de l’industrie naissante, les promotions sociales furent et demeurent rares !
Une stratégie illusoire va en découler, elle était déjà en usage chez de Robien : « revenons aux anciennes méthodes »... Ses amis sont d’ailleurs prêts à tirer sur ce qui est pour eux la cause de tous les maux « le pédagogisme », un des héritages de mai 68 « qui ne permet pas aux enfants d’apprendre ». N’a-t-il pas d’ailleurs commencé à liquider cette période qui pour lui et son équipe « a fait perdre 20 ou 30 ans de repères entre les droits et les devoirs ».

NS.- « Quant au sort fait à nos enseignants, il est inadmissible : leurs rémunérations sont trop basses, les plus jeunes et les moins expérimentés sont envoyés devant les classes les plus difficiles, le respect qui leur est dû n’est pas assuré, ni parfois même leur sécurité. Il est possible de changer l’école. Il faut d’abord que nos enseignants exercent leur métier dans de bonnes conditions. Ils sont la clé de la réussite de tous les élèves. Je souhaite que leur autorité et leur liberté pédagogique soient respectées, que leur formation initiale et continue soit assurée, et qu’ils aient la possibilité de travailler plus pour gagner plus. »

Commentaires. - Tout à fait... C’est toute une culture de l’organisation de l’école à revoir. C’est encore le recrutement, la formation des enseignants et leurs implications qui restent impensés. Pour mettre en place son école, Nicolas Sarkozy compte moins sur les Administrations centrale ou régionales - qu’il oublie de citer - que sur ceux qui vivent et font vivre l’école au quotidien : directeurs, proviseurs, enseignants.

Malheureusement, tout ne peut être insufflé du haut par un effet d’annonce. Bien au contraire... Cette difficulté de mutation n’est pas l’apanage de l’école : toute institution réagit de la sorte. Dans tout système humain, le fait de légiférer ou de décréter un changement immédiat et brutal est ressenti par ses éléments ou ses membres comme un diktat. Tous le vivent comme une agression et réagissent immédiatement en opposant toute l’énergie de leurs résistances. Les mesures seraient-elles favorables ou porteuses d’innovations qu’il en serait ainsi ! Un seul ministre avait bien perçu cette dynamique négative : Edgar Faure. « En décrétant le changement, disait-il, l’immobilisme s’est mis en marche et je ne sais plus comment l’arrêter. » C’était lors de la mise en place de sa réforme de l’Education nationale... en 1968 !

NS.- « Il faut ensuite que nous nous fixions le seul objectif acceptable : que tous les enfants sortent de l’école avec le bagage nécessaire pour réussir leur vie adulte. Dès qu’un enfant décroche, il devra recevoir un soutien individualisé. »

Commentaires. - S’il suffisait de le dire ! La société française ne s’est pas encore donnée les moyens de discuter « ce bagage nécessaire pour réussir » non pas seulement professionnellement mais une « vie adulte ».

C’est un vrai enjeu pour l’époque ; les savoirs importants ne sont pas à l’école. La Commission Thélot n’y est pas parvenue ; il y a beaucoup de corporatismes à dépasser pour les définir et les y inclure. Je ne vois pas qui dans son équipe pourra s’atteler à une telle tâche...

NS.- « Je créerai des études dirigées dans tous les établissements pour que les enfants dont les parents le souhaitent puissent faire leurs devoirs à l’école avec l’aide d’une personne compétente. Je ferai en sorte que l’école consacre plus de temps au sport et à la culture parce que je les crois essentiels à l’épanouissement des enfants et à la force de la société. L’école d’une grande nation doit faire lire de grands textes. »

Commentaires. - Autre lieu commun des courants conservateurs de la droite classique : les « grands textes ». Bien sûr, il faut faire lire, et surtout apprécier, les grands textes de notre littérature. Mais plus facile à dire qu’à faire sur le terrain...

Les jeunes, tels que TF1 ou M6 les conditionnent n’y accèdent pas immédiatement. On peut y réussir - ce que nous faisons dans nos recherches- si on introduit chez le jeune un autre regard. De multiples détours s’avèrent nécessaires. Ce qui implique de penser les approches ou les situations pédagogiques totalement autrement.

NS.- « Enfin, tout en conservant le caractère national des programmes et des diplômes, je veux mettre plus de diversité dans l’école pour que l’intelligence de chaque enfant soit reconnue. »

Commentaires. - Oui, tous les élèves n’apprennent pas de la même façon et surtout pas de la façon dont l’enseignant a appris ! Mais pourquoi ce lien surprenant entre « caractère national des programmes et des diplômes » et reconnaissance de « l’intelligence de chaque enfant ».

Je crains que cela ne masque un profond mépris pour ces questions, mépris que l’on retrouve dans d’autres discours de campagne quand Nicolas Sarkozy dénonce le « nivellement par le bas », le « collège unique » ou encore... l’obscénité.

NS.- « Je donnerai plus d’autonomie aux établissements pour leur permettre de développer leur projet pédagogique spécifique et je donnerai aux familles la possibilité de choisir l’école de leurs enfants. Je remplacerai la carte scolaire par une obligation de mixité sociale, géographique et scolaire des effectifs, qui pèsera sur les établissements.

Commentaires. - Comme si l’autonomie pouvait se donner ! Comme si la mixité sociale pouvait se régenter par décret... On a affaire ici à de simples slogans, avec liberté de l’enseignement et primauté des familles pour plaire à un certain électorat. Certes il s’agit de dénoncer « les faux-semblants, les mensonges, la pensée unique, l’hypocrisie » de l’Education nationale. Mais la qualifier « d’idéologie folle » est scandaleux ; cette institution ne joue que le rôle qu’on lui a assignée depuis l’origine, et que la gauche n’a pas encore saisi.

Historiquement, on a imposé à l’école une priorité : « l’autorité », en tant que dessein social ; d’où sans doute l’attachement de Nicolas Sarkozy à l’école de Jules Ferry. Aujourd’hui, le projet qu’on continue à lui faire jouer est autre, quoique tout aussi pervers : la sélection par l’échec. Car les propositions avancées par le candidat Sarkozy restent réductrices : « la compétition » et le « mérite ». L’école a pour l’ancien leader de l’UMP, une responsabilité politique et sociale, celle de promouvoir la « méritocratie ». Tout est beaucoup plus complexe... On verra la multiplication des petits cours ; comme au Japon, bientôt on n’ira plus à l’école que pour être sélectionné...

De plus, comment l’école pourrait-elle « renouer avec son devoir de réussite » ? La réussite n’a jamais été que pour quelques uns, le plus souvent ceux qui justement apprennent en dehors d’elle. L’apprendre à apprendre n’est d’ailleurs toujours pas prévu dans le futur programme du président... Les autres vont continuer à être exclus, avec toutes les graves conséquences sociales que constitue la perte d’estime de soi.

Certes, nous ne nions pas qu’il faut du « travail », mais cela n’est pas incompatible avec le plaisir. Pourquoi toujours cette pensée binaire alors que les deux sont indispensables et complémentaires ? Certes, il faut plus de « liberté pédagogique pour les enseignants » et « l’évaluation des résultats », mais dans le cadre d’équipes pédagogiques, d’un accompagnement de celles-ci par une hiérarchie compétente et stimulante et d’une mutualisation des résultats lors de formation.

Or l’école du nouveau président n’aura toujours pas d’histoire. « Diviser par deux immédiatement » les effectifs des établissements scolaires les plus dégradés « en répartissant les élèves en surnombre dans les établissements avoisinants » ne va rien changer. L’expérience a déjà été tentée moult fois sans succès. Il est des moments où il faut prendre un élève en difficulté les yeux dans les yeux... mais sans le stigmatiser en le sortant de la classe ou en l’envoyant voir un psychologue. D’autres où les élèves doivent travailler par groupe, en atelier, faire des projets, des défis, d’autres encore où l’enseignant doit être à disposition ou au contraire metteur en scène, etc.. Ce n’est pas quand les profs enseignent que les élèves apprennent. Le netable avec l’accès à des bases de données, le CDI, les échanges de savoirs, l’autodidaxie et le projet de l’élève, etc... devraient entrer à l’école.

Dès lors, si l’on souhaite garder des ambitions pour l’école -n’oublions pas que le home schooling est pratiqué par plus d’un million de familles aux USA-, il s’agit de sortir de plusieurs tabous. Les plus paralysants, y compris dans le primaire, sont justement le découpage systématique par classe d’une part, par tranche horaire disciplinaire d’autre part. Rien de plus frustrant pour apprendre, de plus démotivant de surcroît : ces pratiques enlèvent le goût d’apprendre et d’entreprendre, elles favorisent la consommation de savoirs plaqués.

L’école ne s’en sortira pas par des réformettes. Un niveau d’exigence d’une toute autre portée est nécessaire. L’école a surtout besoin d’inventions, de recherches -Oui ! de recherches- et d’innovations, nombre d’entre elles sont connues, repérées. Elles ne demandent qu’à être partagées dans des formations adéquates.

Faute d’avoir su s’adapter progressivement, l’école est complètement décalée. Elle nécessite un bouleversement radical. Nicolas Sarkozy croit que « Tout est possible » à travers chaque fois un petit truc, insufflé à marche forcée et d’en haut ! La transformation de l’école est une action sur la durée, en prise directe avec l’évolution de la société qui passe par un changement en profondeur de sa culture. Les enseignants ne sont pas le facteur limitant ! Ils le sont quand ils ne savent pas où ils vont, parce qu’on les infantilise, si on les met une fois de plus devant des réformes non pensées, pas préparées. S’ils se sentent considérés et s’ils pensent servir à quelque chose, ils ne regarderont pas leur montre !

D’ailleurs, l’école est remplie d’intelligences à la base qui n’attendent qu’à s’exprimer. Déjà faudrait-il commencer par les reconnaître.... En parallèle, l’école a besoin surtout d’entrer en débat en dehors des idéologies qui l’utilisent.

André Giordan

Pour avancer sur la transformation de l’école :
A. Giordan. Une autre école pour nos enfants, Delagrave (2002) Sous la direction de : Armen Tarpinian, Laurence Baranski, Georges Hervé, Bruno Mattéi, Ecole : changer de cap... Chroniques sociales (2007)

Notes :

1- Nicolas Sarkozy, Mon projet : ensemble tout devient possible (les 15 points de mon projet en 16 pages), 2007.

2- Nicolas Sarkozy, Discours du 2 décembre 2006, Angers.

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