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Une prof du lycée ZEP de Clichy-sous-Bois contre Paris-Match

5 mai 2007

Extrait de « Libération » du 04.05.07 : Sans cliché ni chiqué

Mélanie Merlin, 25 ans. Enseignante à Clichy-sous-Bois, elle attaque « Paris Match » pour une photo légendée qui suggérerait qu’elle a peur en banlieue.

C’est grâce à son cartable, posé sur la valise à roulettes, qu’on l’a localisée. Il faut dire, lui proposer comme lieu de rendez-vous « la pendule à l’entrée » ne relevait pas de l’illumination, vu les entrées et pendules que cumule la gare du Nord. Et puis Mélanie Merlin l’avait dit, au téléphone : « Je suis de taille moyenne, châtain, les cheveux ondulés, pas vraiment de signe particulier. » La jeune femme, en tee-shirt et pantalon, qu’on cueille au retour des vacances de Pâques relève effectivement du quidam. Mais c’est pour ça, précisément, qu’on vient à sa rencontre : la discrète Mélanie M. fait procès à Paris Match. Comment donc en est-elle arrivée là, cette toute jeune enseignante, fan de foot, de cinéma et de chats, à ce combat inattendu de l’obscure versus « le poids des mots, le choc des photos » ?

Originaire de Bordeaux, Mélanie Merlin est depuis huit mois prof d’éco-gestion dans la section professionnelle du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois, un établissement de 1 200 élèves classé ZEP, ZUS et zone prévention violence. Elle intervient dans trois classes de 24 têtes chacune, les deux premières à l’orée du bac pro (des 18-22 ans), une qui passe le BEP (des 16-18 ans). Une majorité de garçons, quasi exclusivement Noirs ou Maghrébins.

Quand soudain, le 5 mars, alertée par des amis, elle se découvre dans Paris Match , au coeur d’un reportage intitulé « Retour à Clichy-sous-Bois », un an et demi après les émeutes. La photo la montre dans le RER, de profil, en train de lire, entourée de quatre jeunes à capuche et casquette, tous noirs. Dessous, cette légende : « Prendre le bus pour attraper un RER au Raincy et atteindre le centre commercial le plus proche. Sur les portables, la musique, du rap, joue à fond. La passagère, pas rassurée, se plonge dans sa lecture, et n’en sort pas. » Un blabla dramatisant au diapason du reste du reportage, qui suit un groupe de jeunes de la cité de la Forestière, de rassemblements au bas d’un immeuble en « tagages » de bagnole. « J’ai immédiatement téléphoné pour avoir un démenti. Je n’ai pas peur à Clichy, je n’ai pas peur des Noirs, je voulais juste que la vérité soit rétablie, qu’il soit écrit que j’avais été photographiée sans mon accord et que la légende était fausse. Or au service juridique d’Hachette Filipacchi [propriétaire de Paris Match , ndlr], ils n’ont rien voulu entendre, même quand j’ai précisé que j’étais prof à Clichy et que cette publication pourrait me causer un préjudice professionnel. La femme m’a dit : "Si vous n’êtes pas contente, vous n’avez qu’à faire un procès." » (1)

L’après-midi même, Mélanie Merlin prend un avocat. Le lendemain, une lettre recommandée part, sollicitant un démenti. Trois semaines plus tard, un minuscule rectificatif paraît dans un coin de Paris Match... Aujourd’hui, Mélanie Merlin demande que la photo litigieuse soit republiée à sa taille initiale, accompagnée d’une légende qui démente clairement la première, et 20 000 euros de dommages et intérêts. Cette somme, cette fille et petite-fille de cheminots, qui gagne 1 650 euros net par mois, en rougirait presque. « En même temps, j’ai eu à me justifier pendant trois semaines. Auprès des élèves, dont certains m’ont lancé "Alors comme ça, vous avez peur des Noirs ?", mais aussi de collègues qui suggéraient que j’avais pu "marcher dans les combines des médias". »

David contre Goliath, alors ? Ce serait parer Mélanie Merlin d’une dimension héroïque qu’elle n’a pas. Son regard n’est pas fiévreux mais mat, de ceux qu’on a dans l’extrême concentration. Son propos est ponctué de « Il ne faut pas exagérer ». Elle est pourtant d’une famille prompte à la lutte, d’un père qui emmenait volontiers ses enfants aux manifs à des grands-parents qu’elle a suivis dès l’enfance aux fêtes de l’Huma, où ils tenaient stand (c’est par eux qu’elle a contacté le quotidien du PCF, premier journal à avoir évoqué l’affaire : « J’ai photocopié l’article, pour mes élèves. » ) Elle-même, qui n’envisagerait « jamais de ne pas avoir d’avis politique ou de ne pas voter », est membre de la FSU, dit sans détour son intérêt pour Clémentine Autain et son soutien à Royal pour le 6 mai : « Je n’approuve pas tout, comme le drapeau et les camps pour les jeunes, mais j’aime bien sa façon de prendre les gens à rebrousse-poil. » Engagée, donc. Mais avec magnanimité, cette vertu qu’on prête d’ordinaire aux « vieux » : elle ne profite pas de l’occasion pour rappeler les liens de Paris Match avec Sarkozy, ne souligne pas que le reportage sur Clichy faisait écho au discours sécuritaire du candidat UMP. Prudence juridique ? Possible. Mais elle n’est pas non plus de ces procéduriers forcenés qui vous noient dans leurs dossiers.

Son avocate, Me Myriam Sebban, a son cabinet à Bordeaux. Mélanie Merlin l’a choisie parce qu’elle s’est occupée du divorce de son compagnon. « Je connaissais son nom, voilà. » Toujours cette ligne claire, sans chichis. Me Sebban : « Elle n’agit pas dans l’optique de battre monnaie mais par principe, pour faire respecter ses droits, donc elle est sereine, attend que la justice tranche, c’est tout. »

Mais si Mélanie Merlin tient tant à ce qu’il soit écrit qu’elle n’a pas peur à Clichy, c’est aussi qu’à un moment ça a été le cas. Elle le dit, avec sa « bravitude » naturelle, franche et sobre : « J’ai appris mon affectation juste après les émeutes, que j’avais suivies par la presse et la télé, et je me suis vue dans le Bronx, en pleine guerre civile. » A l’époque, fraîche émoulue de l’IUFM de Bordeaux, elle est stagiaire au lycée hôtelier de Souillac, 3 000 habitants, dans le Lot. « Le confort total : aucun problème de discipline, des cours consacrés à 100 % à la transmission du savoir. » L’enseignement, elle y est venue pour concilier une licence éco et son intérêt pour les jeunes, déjà vérifié en tant que directrice de colonies de vacances pour gamins en foyers.

A Clichy, elle découvre un quotidien fait à « 50 % de discipline, à 50 % de pédagogie, et encore, on peut arriver à 75 %-25 %». Ce qu’elle a vécu au début : « J’ai dû changer complètement ma façon d’enseigner. Mes élèves me disaient : "Vous n’arrivez pas à gérer votre truc." Ce qui était vrai. » Fini entre autres le dos tourné à la classe (« Toutes sortes de projectiles volaient »), les documents à découper (« Ils oubliaient les ciseaux »), remisé les jupes et décolletés (« Ils draguent beaucoup ») . La proposition de Sarkozy d’obliger les élèves à se lever quand l’enseignant arrive ? « Il faudrait déjà qu’ils soient assis ! » Aujourd’hui, faire cours « reste compliqué, mais ça n’est pas Tchernobyl non plus. Et puis, plus globalement, l’équipe pédagogique et la direction du lycée sont très bien, on se sent soutenus. Clichy, c’est sportif, et j’y ai appris à me blinder, mais ça n’est pas le ghetto qu’on nous raconte et auquel j’ai cru ».

Elle reconnaît néanmoins que sa vie est ailleurs. Elle a choisi d’habiter au Blanc-Mesnil, où elle coloue avec une collègue, et rallie l’Aquitaine chaque fin de semaine. Pour retrouver son compagnon, responsable d’un service de livraison dans une grande surface. Elle aime le « traîner au stade » (elle a joué dix ans au foot, arrière gauche puis libero), aller voir avec lui des « films assez simples et terre à terre » comme Ensemble, c’est tout ou Indigènes. Son projet : « Faire des bébés, j’y travaille d’ailleurs ! » Ils iront à l’école publique : « C’est une certitude absolue. »

Sabrina Champenois

(photo Raphael Dautigny)

(1) Le service juridique d’Hachette Filipacchi n’a pas souhaité faire de commentaire « sur une affaire qui se trouve devant le tribunal ».

Mélanie Merlin en 5 dates 22 octobre 1981 Naissance à Libourne (Gironde). Septembre 2005 Stagiaire à Souillac (Lot). Octobre 2005 Emeutes à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) suite à l’électrocution de deux adolescents dans un transformateur d’EDF. Septembre 2006 Mélanie Merlin arrive au lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois. 5 mars 2007 Se découvre dans Paris Match.

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