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Les créoles marginalisés dans les ZEP de l’Ile Maurice

26 avril 2007

Extrait de « L’Express.mu » du 25.04.07 : Quelle égalité des chances pour les créoles ?

L’Union Chrétienne part en croisade contre “la marginalisation des créoles”. L’égalité des chances serait une notion salvatrice qu’il faudra mettre en pratique par l’éducation, la formation et l’adoption d’un cadre légal encourageant. Le risque est de se cantonner à une lecture ethnique...

L’Union Chrétienne (LUC), présidée par l’historien Benjamin Moutou, se formalise. Un bureau permanent ouvrira le 1er mai au Wong Shing Building à Rose-Hill. LUC confirme son engagement en faveur de la communauté chrétienne, principalement du prolétariat créole. LUC s’affirme comme un nouvel acteur de la société civile, un lobby.

Benjamin Moutou précise : “Chaque groupe à Maurice s’est fédéré pour défendre ses intérêts sauf la communauté chrétienne”. “Nous souhaitons établir une passerelle avec le pouvoir, rassembler les compétences pour favoriser l’insertion du groupe dans les secteurs productifs et assurer sa représentativité au sein des organismes publics et privés”, ajoute-t-il.

“Pour que la construction de la nation mauricienne aboutisse, le débat sur l’identité plurielle de Maurice doit être dépassionné. Admettre les inégalités socio-économiques et communautaires est un premier pas engagé.”

Le président de LUC se base sur le staff list du gouvernement publié en 2006 pour avancer que seulement 2 % du personnel appartient au groupe chrétien. La sous-représentativité des chrétiens, et donc des créoles dans les institutions et dans le secteur privé, serait une preuve de leur marginalisation. Un rapport confidentiel du Conseil économique et social de l’Organisation des Nations unies de mars 2005 - Self assessment report for the African peer review mechanism - non édité et non validé jusqu’à l’heure, montre que “si la constitution préserve le droit des minorités, il n’empêche que de nombreux acteurs pointent la perception que tous les citoyens n’ont pas les mêmes opportunités pour intégrer le service public, ceci nourrissant un débat social”. C’est une source de frustrations, donc de tensions.

Jusqu’à la veille de l’indépendance, les gens de couleur appartenant au groupe créole formaient une élite. La peur d’une “indianisation” de l’île et l’ouverture des frontières australiennes aux populations non-blanches ont favorisé l’exode massif de l’intelligentsia créole. Un manque de leadership et un fatalisme semblent s’être indurés dans la conscience collective.

L’historien Jocelyn Chan Low indique : “La globalisation et la modernisation de l’économie ont affecté durement la communauté créole, dont la population active était composée de nombreux artisans”. Cela a eu pour conséquence l’exclusion de cette communauté.

Le christianisme est une caractéristique fondamentale de l’identité créole. L’universitaire rappelle que “l’Église a favorisé l’éducation des élites contrairement au mouvement de l’Arya Samaj chez les hindous dont l’action a permis l’émergence d’une génération de jeunes gens qualifiés issus de familles de petits planteurs”. C’est l’un des facteurs qui expliqueraient la sur-représentation des hindous dans le secteur public et la marginalisation des créoles.

Lindsay Morvan parle d’une “ghettoïsation” de la communauté. Il se réfère aux “zones d’éducation prioritaire (ZEP) qui souffrent d’un manque d’équipement et de ressources humaines”. Or, il se trouve que “ces ZEP se situent souvent dans des cités ouvrières majoritairement créoles”.

Lindsay Morvan note qu’il existe une prévalence de la pauvreté plus forte chez les créoles. Le reconnaître “n’est pas une tentation communale mais une volonté de dépouiller le fait communautaire de sa connotation sectaire afin d’adopter des politiques spécifiques pour chacun des groupes vulnérables en respectant leur spécificité”. L’inégalité doit, en fait, être appréhendée d’un point de vue socio-économique et non strictement communautaire.

L’éducation est clairement mise en relief par l’ensemble des acteurs impliqués. L’égalité des chances à l’embauche ne peut être effective tant que “50 % de la population des cités ouvrières ne passe pas le Certificate of Primary Education”, relève un travailleur social préservant l’anonymat.

À ce titre, LUC plaide pour “une scolarisation accélérée du prolétariat créole”. C’est ce défaut en termes d’éducation et de formation qui le vulnérabilise d’autant qu’il se concentre dans des quartiers périphériques, sous-équipés, où les maux sociaux sont exacerbés.

Un rapport du Conseil économique et social des Nations unies de 2002 corrobore cette idée : “Des études sur la communauté créole ont démontré qu’il existe une discrimination et une exclusion, au travers de taux supérieurs de mortalité infantile, de chômage, d’abandon de la scolarité au primaire, et d’un taux d’alphabétisation inférieur, comparativement aux autres communautés”.

Cette problématique éducative explique que cette population déshéritée ne peut prétendre à des postes à responsabilité. Tim Taylor, ancien chief executive officer de Rogers, affirme que “le secteur privé doit favoriser l’égalité des chances d’évolution en fonction du mérite”. Les clichés voudraient que peu de créoles occupent des postes à responsabilité dans le secteur privé “bien qu’il n’y ait pas de données précises sur ce sujet”, précise Tim Taylor. Mais “dans certaines industries, comme le tourisme, il y a un grand nombre de créoles occupant des postes à responsabilité même si à certaines fonctions nécessitant une formation académique poussée ils sont sous-représentés”. Le secteur privé doit conduire une réforme visant à dépasser les clivages ethniques car “dans le passé, le mérite n’était pas toujours le seul critère retenu dans les processus de recrutement”. Parallèlement, l’éducation et la formation supérieure et professionnelle sont les clés pour une meilleure représentation des groupes vulnérables à des postes décisionnels.

Certains préconisent donc l’adoption d’un arsenal législatif à travers une politique de discrimination positive ou plutôt une “affirmative action” comme l’entend Lindsay Morvan. L’origine sociale et communautaire ne doit pas être un frein à l’empowerment du groupe.

“Des études sur la communauté créole ont démontré qu’il existe une discrimination et une exclusion, au travers de taux supérieurs de mortalité infantile, de chômage, d’abandon de la scolarité au primaire, et d’un taux d’alphabétisation inférieur...”

Un rapport du professeur Anyangwe sur la situation des Droits de l’Homme à Maurice commandé par le Programme des Nations unies pour le développement et le gouvernement (juillet 2006) stipule : “Pour éliminer les obstacles auxquels font face les minorités, le gouvernement devrait adopter une législation spécifique accompagnée d’un ensemble d’autres mesures qui prennent pleinement en compte les besoins spécifiques de ces groupes, notamment les créoles et Chagossiens”.

L’Equal Opportunity Act proposé à l’origine par le PMXD va dans ce sens. Il s’agit de protéger, grâce à la loi, les populations vulnérables discriminées sur la base de l’appartenance ethnique ou religieuse, du sexe, d’un handicap. Certains ont cru voir dans ce texte, dont des clauses doivent être débattues à nouveau, une législation en faveur d’une communauté en particulier. Or, l’Equal Opportunity Act cherche à dépasser les cloisonnements pour s’attaquer à l’ensemble des discriminations, cela pouvant amener à la dynamisation du groupe créole.

Pour que la construction de la nation mauricienne aboutisse, le débat sur l’identité plurielle de Maurice doit être dépassionné. Admettre les inégalités socio-économiques et communautaires est un premier pas engagé. Les initiatives louables de la société civile, du secteur privé et des institutions en sont un deuxième. Reste qu’il ne faut “pas ethniciser la pauvreté et la vulnérabilité sociale”, précise Jocelyn Chan Low. “Pa kapav fer triaz dan dimoun miser !” renchérit-il.

Limiter l’égalité des chances à une affaire de représentativité est une erreur. Toutes les populations vulnérables sans distinction communautaire ou religieuse doivent avoir le sentiment d’être prises en considération. La tâche est à la hauteur de la gageure. Privilégier une politique communautaire est contre-productif, a fortiori dans le contexte mauricien où tout phénomène prend une coloration communale. La méritocratie doit être une réalité, plus qu’une perception encourageante. Mais ne serait-ce pas un concept galvaudé qui laisse songeur ?

Gilles Ribouet

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Sur ce sujet, lire " L’école aux Antilles " : langues et échec scolaire » de Michel Giraud, Danièle Manesse et Léon Gani. Editions Karthala, Paris 1992

Résumé du site de l’INRP :

Le taux d’échec scolaire atteint, à la Guadeloupe et à la Martinique, une proportion considérable ; les auteurs veulent parvenir à une connaissance des déterminants de ces échecs, "afin d’ouvrir la voie à des propositions éclairées de rénovation pédagogiques", déterminants parmi lesquels des spécificités socio-culturelles antillaises ont une place décisive. Les compétences en lecture et en expression écrite des élèves de CM2 et 6e ont été retenues comme champ d’investigation.

La recherche s’est déroulée en deux étapes : une enquête pédago-linguistique (tests de compétence en lecture, expression écrite auprès des élèves de l’échantillon) ; une enquête sociologique (questionnaires, entretiens auprès des parents d’élèves, des enseignants de l’échantillon, sur leurs représentations, leurs attentes et leurs attitudes relatives à l’institution scolaire).

Le "mal-être scolaire" aux Antilles tient à une série de contradictions : l’enseignement y est dispensé selon des modèles pédagogiques et culturels propres à la France métropolitaine, le créole reste largement exclu du champ scolaire, comme si le français était la langue maternelle des enfants antillais ou guadeloupéens. Il ne faut cependant pas tomber dans l’inverse, et "créoliser" hâtivement le système scolaire antillais, enfermant les enfants dans un "ghetto" créole.

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 Sur le site de l’ Académie de La Réunion

 Sur le site de l’ Académie de Guyane

 Sur le site de l’ Académie de la Martinique

 Sur le site de l’ Académie de Guadeloupe

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Sur le site de l’INRP :

Document 1

Document 2

Document 3

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La liste des CASNAV sur le site de VEI

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