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Un exemple de représentation simpliste des ZEP

23 avril 2007

Extraits du « Monde » du 30.12.06 : La France qui bouge vue de mon clocher

Jour de fête à Chigné (Maine-et-Loire)

Comme chaque année à la même époque, ce dimanche 21 avril 2002, les quelque 300 habitants du village sont réunis autour du "plan d’eau", en bordure du village. Le comité des fêtes a préparé divers stands, la buvette rencontre son succès habituel et "les Anglais", nouvelle communauté massivement implantée dans la région, font goûter leurs spécialités. L’élection présidentielle du jour n’occupe pas les esprits, encore moins les conversations. A Chigné, petite commune rurale de Maine-et-Loire, c’est une habitude, voire une doctrine : la politique, on n’en parle pas. A vrai dire, on n’y pense pas trop non plus. Chigné mène sa vie tranquille et délaissée de village champêtre autour de son unique commerce, un bar-restaurant-épicerie-dépôt de pain et de journaux.

La grande église du XVIe siècle n’a plus de curé attitré et n’accueille plus que deux messes par an, au grand dam des villageois. L’école, en "unité pédagogique" avec trois villages voisins, n’a plus qu’une seule classe de maternelle, où sont regroupés 31 élèves de trois niveaux différents. Les agriculteurs sont partis ou se sont associés pour diriger sept ou huit grandes exploitations qui n’emploient pas plus d’un ouvrier chacune. Les autres villageois sont artisans ou employés dans les villes alentour, mais les retraités forment la grosse majorité de la population. Des chômeurs arrivent parfois de la ville pour trouver là des logements moins chers, les Anglais achètent pour les mêmes raisons : un nouveau mélange avec lequel il faut bien composer. La petite délinquance apparaît dans les bourgs voisins. "Tout se délite doucement", disent les anciens sans forcément s’en plaindre.

Il est 18 heures, ce 21 avril 2002. Le bureau de vote ferme ses portes. Autour du plan d’eau, la fête finit dans la gaieté en compagnie des dernières "fillettes", ces mini-bouteilles de vin de Loire, indispensables en toute occasion. Une heure plus tard, le jeune maire arrive au plan d’eau, la mine blême. Les derniers fêtards sont en train de trinquer lorsqu’il leur annonce les résultats.

Sur les 213 inscrits, 166 ont voté : 33 pour Jacques Chirac, 20 pour Lionel Jospin et... 31 pour les candidats de l’extrême droite (25 pour Jean-Marie Le Pen et 6 pour Bruno Mégret soit au total 19,5 %).

Michelle Coisly, l’ancienne institutrice en retraite, d’ordinaire si joviale, fond en larmes. "J’étais là, mon verre à la main, et je n’avais plus envie de trinquer", se rappelle Yorga, un artiste venu s’installer en famille à Chigné, surnommé "Ben Laden" à cause de sa barbe. "Nous étions sidérés, dit le maire, Pascal Louis, agriculteur et sympathisant UMP. Je connais à peu près tout le monde dans le village, et pourtant je n’ai aucune idée de qui a voté Le Pen, ni pourquoi. C’est certainement une protestation d’ordre général, sans lien direct avec la vie locale."

Pourquoi, en effet, un tel reflet du vote national dans cette commune minuscule qui ne connaît ni l’immigration ni l’insécurité, où les habitants laissent volontiers maison et voiture ouvertes, où la plus haute tour est le château d’eau ? Est-ce en raison de sa situation solitaire et peu favorisée, perdue entre Saumur (43 kilomètres), Le Mans (55 kilomètres), Angers (58 kilomètres) et Tours (55 kilomètres) ? De l’exode rural qui l’a naturellement frappée, avec la fermeture ou la restructuration de maintes usines dans les bourgs les plus proches ? De l’absence de services de proximité qui aiguise le sentiment du "trop d’impôts" ? A cause des Anglais, qui rachètent les corps de ferme à des prix que les villageois ne peuvent plus suivre ? Ou de ceux qui, sans emploi, sont perçus comme les "profiteurs du système" ?

La réponse est là, mais aussi ailleurs. Dans ce rectangle de lumière où chacun contemple en famille, volets fermés, le grand désordre du monde. Cet écran de télévision capable de faire fantasmer l’arrivée imminente et massive, jusque dans les campagnes, d’une vague d’immigration incontrôlée - et, aujourd’hui, des émeutiers de banlieue. Jusqu’ici, à Chigné.

Devant l’école maternelle, le car attend les enfants pour ramener ceux qui habitent jusqu’à 10 kilomètres de là.
Floriane Boulay, 26 ans, directrice et unique institutrice, aide les retardataires à s’habiller. Angélique Tessier, 35 ans, cantinière et agent d’entretien, leur fait traverser la cour jusqu’au car. Angélique est la dernière de neuf enfants. Son père a touché à tous les métiers possibles dans la région : ouvrier agricole, bûcheron, carrossier, transporteur de lait. Elle, son CAP de pâtisserie en poche, a longtemps gagné sa vie en allant "aux pommes", comme la plupart des jeunes de la région : éclaircissage des branches de mai à juin, cueillette de septembre à novembre, calibrage ensuite. Elle a ensuite trouvé ce travail d’employée municipale : 1 000 euros net par mois. Sans son compagnon chauffeur routier, elle n’aurait pas eu de quoi emprunter pour acheter une maison dans le village.

Elle y est bien. "Le calme, les animaux, le jardin, les balades, pas de vandalisme... quoique : les voyous, on les voit arriver au Lude (la "grande ville" proche, 4 000 habitants, à 8 kilomètres)." Cette montée de la délinquance, à deux pas, la préoccupe. Ce qu’elle vote ? Angélique ne sait pas. Elle ne se souvient plus. En 2002, Chirac ou Le Pen ? "Franchement, je ne me souviens plus du tout. Vu toutes les promesses qu’ils nous font... Le Pen, il n’y a pas que du mauvais dans ce qu’il dit."

"C’est sûr, c’est comme pour tout, enchaîne Floriane. Mais lui, quand même, il me fait peur." Floriane habite Le Mans et fait chaque jour deux heures de trajet pour travailler à Chigné. Elle a choisi d’enseigner à la campagne, "parce que, dans les villes, il y a soit les écoles de riches, soit les ZEP avec des enfants qui ne parlent pas français". En 2002, elle a voté Olivier Besancenot parce que le programme de la LCR, arrivé dans sa boîte aux lettres, était celui qui lui semblait s’attaquer à ce problème. "Besancenot, c’était une fois, comme ça. Pour 2007, je n’ai aucune idée encore. Je n’aime pas Sarkozy, Ségolène ne m’inspire pas. C’est au feeling. On verra ce qui restera."

(...)

Marion Van Renterghem

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