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Reportage sur des mouvements de protestation dans le RAR de la Castellane à Marseille

22 mars 2007

Extraits de « L’Humanité », le 21.03.07 : L’« ambition réussite » au rabais

ZEP . Le collège Henri-Barnier, dans les quartiers nord de Marseille, est en ébullition depuis des semaines. À la dernière rentrée, son passage au statut d’ambition réussite lui avait valu quelques moyens supplémentaires.

En septembre, il perdra 89 heures d’enseignement par semaine.

Marseille (Bouches-du-Rhône), de notre envoyée spéciale.
La gourmette en argent qu’elle porte autour du cou dessine son prénom en lettres arrondies. Vera (les prénoms de tous les mineurs ont été modifiés). Bientôt quatorze ans.

Plantée devant la grille en attendant qu’elle ouvre. Elle raconte ce que des parents disent, paraît-il, pour motiver les petits. « Travaille bien en classe, ou t’iras à Barnier ». Henri Barnier, s’entend. Un collège classé ZEP, récemment promu ambition réussite, qui traîne son image dans Marseille comme un chapelet de casseroles.

Ici, ni vieux port, ni calanques. Une zone industrielle, deux cités. Face au collège, la Castellane, un ensemble HLM rosé. Plus haut pointe la Bricarde aux murs élancés. Barnier est posé à ses pieds, au beau milieu d’une côte, ce qui lui offre l’avantage d’avoir vue sur la mer.

Propre, spacieux, en grande partie vitré, il paraît neuf et l’est, pour ainsi dire, n’affichant que sept années au compteur.

Il y a cinq semaines y démarrait une lutte. Grèves, occupations nocturnes et manifestations : elle se poursuit encore. Un problème de moyens, pointé en février, quand est tombée la dotation horaire globale (DHG), Barnier perd 89 heures d’enseignement par semaine parce que l’académie prévoit 69 élèves de moins. Selon les calculs en vigueur dans l’Éducation nationale, cela ne change rien au rapport entre le nombre d’heures et le nombre d’élèves.

Mais ce mercredi de février, avant-veille des vacances d’hiver, les profs et les parents qui scotchent des pancartes sur les murs du collège ne l’entendent pas ainsi. « On nous avait classé ’’ambition réussite’’, on nous avait donné des moyens (91 heures en plus à la rentrée 2006 - NDLR), explique une dame, cheveux blonds, polaire bleu, tracts sous le bras. Aujourd’hui, pour quelques élèves de moins, on nous les retire. » Dix heures d’histoire, douze de maths, neuf de techno, entre autres, le tout correspondant à trois postes de profs... Eux aussi ont fait le compte de ce qui va disparaître. Ces heures en moins, ce sont des chances de réussite en moins pour les enfants. « Méprisés. Ici, on est sans arrêt méprisé », conclut la dame.

Ses propos ne visent pas que l’école. Près de 90 % des élèves de Barnier vivent à la Castellane ou à la Bricarde. Près de 100 % de ceux qui vivent dans ces cités vont à Henri-Barnier. Parler du collège, c’est parler du quartier. Ils sont indissociables, ferrés l’un à l’autre par une ghettoïsation endémique. À l’heure où le premier proteste, le second manifeste. Hasard du calendrier. Un ras-le-bol général déboule sur la chaussée. « La Castellane vivra », lit-on sur les pancartes, « locataires abandonnés », « assez à la hausse des loyers ». Et : « Sauvez notre collège ». Deux femmes résument, criant pour se faire entendre au milieu des sifflets. « Nous payons de plus en plus de charges, il n’y a pas assez de bus, les enfants n’ont nulle part où jouer. Rien, nous n’avons rien, et tout est dégradé. » Et l’école ? « La vie est difficile ici, on a plus de besoins. Comment relever le niveau des élèves s’ils sont 25 par classe ? »

Indissociables. Les demandes à l’égard du premier se mesurent à l’aune du marasme qui frappe le second, rongé par la précarité. De 20 % en 2003, le chômage est passé à 36 % à la Bricarde, où le taux d’allocataires du RMI atteint 17 % (2). À la Castellane, près de 40 % des habitants n’ont pas d’emploi. Et les maux du quartier expliquent, en grande partie, les difficultés du collège. Les évaluations de fin de 6e placent Henri-Barnier à la traîne de l’académie. La moyenne générale en français tombe en dessous de 4 sur 20, celle en maths ne dépasse pas les 7. Plus d’un enfant sur deux ne décrochera pas son brevet. « Selon les statistiques, seuls 4 % des élèves scolarisés ici auront un bac général ou technique », insiste Jean-Roger Ribaut, principal du collège.

Le rapport de cause à effet est une évidence pour tous. « Quand le seul à se lever le matin, c’est l’enfant. Quand les parents lui disent "travaille à l’école" mais que personne, chez lui, n’a de travail ou quand le quartier lui démontre que le deal rapporte plus que les petits boulots, l’horizon est complètement morne », résume madame Piters, conseillère principale d’éducation (CPE).

Difficultés économiques, problèmes de santé, multiplication des familles monoparentales : les parents sont de plus en plus dépassés. « Ils ne sont pas démissionnaires. La plupart répond quand on les sollicite, assure Jean-Roger Ribaut, le principal. Mais les conditions de vie sont tellement dures que l’école est sans doute moins une priorité quotidienne que dans les familles plus favorisées. »

« Certains ne parviennent même pas à manger tous les soirs », illustre plus précisément Karima, déléguée des parents d’élèves. Souriante, elle se tourne vers sa fille : « Ça nous est arrivé l’an dernier, hein ma chérie ? J’étais au RMI, alors parfois, seuls les enfants dînaient. » Aujourd’hui, elle a retrouvé un emploi et peut payer des cours de maths à Linda. Luxe interdit à ceux qui ne sont pas sortis du chômage et pour qui le manque est généralisé.

L’avis est unanime : l’exclusion ne pourrit pas seulement la vie des habitants. Elle nuit à la réussite des enfants. Mais si chacun cible le chômage comme le premier fléau à abattre, les attentes vis-à-vis de l’école n’en sont que plus puissantes. Elles se lisent en creux au travers des griefs qui lui sont reprochés. Le faible niveau scolaire et les profs trop absents arrivent en tête. Le manque de disponibilité des équipes, aussi, et leur difficulté à entendre les douleurs du quartier. « Les parents ne sont pas toujours bien accueillis dans le collège, estime Nassim Khelladi, directeur du centre social de la Castellane. Et quand ils sont convoqués, c’est pour s’entendre dire "votre enfant a fauté", jamais pour le valoriser. » Les enfants eux-mêmes évoquent le sujet. « En cours, certains profs nous démotivent. Ils ne s’occupent pas de nous », estime Samir. Issam prend le relais. « Ils nous expliquent mal et ne s’intéressent qu’aux intelligents, qu’à ceux qui lèvent la main. »

Les profs n’ignorent pas le problème. Eux aussi se défendent d’être démissionnaires. Et eux aussi s’affirment dépassés. Le temps est devenu le Saint-Graal d’une équipe débordée. La vie scolaire croule sous les charges. « J’aimerais appeler les parents plus souvent, prendre le temps de discuter, assure Mme Piters, la CPE. Mais c’est impossible... » Elles ne sont que deux CPE pour près de 700 élèves. Entre l’envoi des lettres - une centaine par jour - et l’encadrement d’adolescents pur jus, la moindre innovation est oeuvre monumentale. « Nous avons décidé de remettre les bulletins scolaires en mains propres aux parents, y compris quand ils ne viennent pas aux réunions, illustre-t-elle encore. Mais cela demande du temps... »
Et des effectifs assurent les profs. « En 2003, j’avais encore des demi-groupes de 10 à 12 élèves en 4e et 3e, se rappelle Soraya Hammiche, enseignante de SVT (Science et vie de la terre). Aujourd’hui, ces groupes sont de 26 gamins. Forcément, je manque de disponibilité... »

Nathalie Arnaud, prof d’histoire géo, prolonge sa pensée. « Quand vous avez 16 élèves sur 25 qui ne suivent pas, le problème est ingérable. » Elle rêve de plus petits groupes, pour elle aussi. « Ou de ne faire cours que 14 heures par semaine (contre 18 heures actuellement - NDLR) afin de se consacrer aux élèves par ailleurs. »

Sommés de répondre aux besoins qui se démultiplient, tous se sentent démunis plus encore qu’acculés. « Les enfants ont besoin qu’on les aide à apprendre leur métier d’élèves », explique Benoît Chekh-Ali, professeur de mathématiques. Tenir son carnet de liaison, se lever quand le prof entre, arriver à l’heure, avoir ses fournitures, parler correctement... « Rien de méchant, assure-t-il, même si cela inclut les incivilités, corollaire d’un parler importé de la cité. Ce qui est dur, c’est de réussir à travailler dans la continuité. » Il faudrait faire ce travail systématiquement, estime-t-il, se disant prêt à assurer du tutorat si l’organisation le permet.

Individuels ou collectifs, les remèdes à l’échec se cherchent. Pionnier dans la mise en oeuvre des 4e et 3e de découverte professionnelle (3), l’établissement mise gros sur l’orientation. Il travaille également à des partenariats avec les universités. « Pour briser la barrière des représentations, explique Jean-Roger Ribaut.

Trop d’élèves me disent "la fac, ce n’est pas pour nous". » La lutte contre l’absentéisme est devenue une priorité. Le dispositif ambition réussite a permis des travaux en groupes plus réduits.

Alors quand la décision budgétaire qui leur annonçait une régression de moyens est tombée, la colère des profs a explosé. Comme les parents, ils se sentent méprisés et floués. « Ici, les besoins des élèves sont gigantesques, on a un mal fou à y répondre. Et ils trouvent encore le moyens de nous supprimer des postes », commente Nathalie Arnaud, comme en écho aux paroles du quartier. En début d’année, elle acceptait de devenir professeur référent (4). « Parce qu’on ne peut pas toujours dire non », glisse-t-elle. Sceptique, au début, la suite la laisse définitivement amère. « Ambition réussite ? Une opération de marketing », assène-t-elle. Pas un des présents dans la salle des profs n’admet la « logique comptable » qui prévaut aux décisions scolaires. Roulés, dupés, découragés... on cherche le qualificatif qui traduira le mieux leur état. Et l’on en retient un, pour désigner ce que valent les enfants du quartier dans les opérations ministérielles : quantité négligeable.

(2) Enquête réalisée par le bailleur social en janvier 2006.

(3) Classes proposant entre 3 heures et 6 heures d’enseignement professionnel par semaine.

(4) Quatre professeurs référents ont été nommés dans chaque collège ambition réussite afin d’assurer, entre autre, un lien entre les écoles du réseau et le collège.

Marie-Noëlle Bertrand

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