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Un portrait de Richard Descoings : Sciences Po, les ZEP et les lycées de la Seine-Saint-Denis

14 mars 2007

Extraits de « Ouest-France » du 13.02.07 : Richard Descoings, l’agitateur de Sciences Po

Il a ouvert le temple de Sciences Po - l’Institut d’études politiques de Paris - aux enfants des banlieues, aux bacheliers des ZEP. Richard Descoings, 49 ans, énarque franco-suisse, bouscule depuis dix ans la vénérable institution.

Il a toutes les apparences du parfait haut fonctionnaire. Il est passé par l’Ena, le Conseil d’État et les cabinets ministériels. Ceux de Michel Charasse et de Jack Lang, au début des années 90. Il porte le costume avec élégance. Il ne cache pas aimer le luxe, le pouvoir, les voitures de fonction. Et pourtant Richard Descoings, dans le sérail parisien, est un drôle d’oiseau. « Un explorateur. Un Christophe Colomb, » s’enflamme un ami. À coup sûr, un grand agitateur de neurones.

Comment ce bourgeois parisien, fils de médecins, a-t-il eu l’idée d’ouvrir la rue Saint-Guillaume et son quartier Saint-Germain aux bacheliers des zones d’éducation prioritaires ? Il leur a concocté une entrée particulière, sur dossier et grand oral. La première promotion Zep est arrivée en septembre 2001. Grosse agitation parmi l’élite. Scandale chez les nantis. Quoi, on déroge au sacro-saint concours ? Au mérite ? Comment peut-on oser ouvrir l’une de nos grandes écoles à des bacheliers de seconde zone ? Au secours. La République est en péril.

Descoings, un gauchiste ? Non, le personnage est atypique, transcourant, et déroutant tout au plus. Il pense en fait que notre belle République n’est pas si démocratique que cela. Le système éducatif pas davantage. « Il forme une petite élite scolaire qui se transforme en élite sociale. Cette élite est persuadée que ce système, qui a reconnu son excellence, est forcément juste. Eh bien, j’ai refusé cela. Il fallait absolument démocratiser l’entrée à Sciences Po. » Cinq ans plus tard, cette agitation, nimbée parfois de racisme et de xénophobie, n’est plus qu’un souvenir désagréable.

Les bacheliers de Zep ont gagné. Sciences Po a recruté, en six ans, 264 de ces nouveaux étudiants qui pensaient que cette grande école-là ne serait jamais faite pour eux. Ils réussissent. Ils sont boursiers et travailleurs. « Ils ont la niaque », assure leur directeur. Si bien que Sciences Po fait des émules. Les grandes écoles de commerce, HEC, ESSEC, suivent l’exemple. L’IEP de Lille également.
Il n’est pourtant pas né en banlieue, mais bien au coeur de Paris. D’où tient-il sa fibre sociale ? « Peut-être de mes aïeux suisses. L’un de mes grands-pères était ouvrier horloger et syndicaliste, l’autre boulanger à Lausanne. » Il leur doit sans doute un vieux fond calviniste. Les Suisses adorent les référendums, la démocratie participative. La France, dit-il, devrait s’en inspirer.
Il a été parfois brocardé en démagogue avide d’un coup de publicité. « Nos résultats prouvent le contraire. » Désormais, cinquante lycées de banlieues travaillent avec lui. Et il va de l’avant. Il continue d’imaginer ce que personne jusque-là n’avait osé penser. Il multiplie actuellement les accords avec des institutions étrangères. En Chine, en Inde, en Afrique, aux États-Unis. Il fait souffler sur Sciences Po le vent de l’international. Quand tout le monde gémit sur la mondialisation, il en fait l’un des moteurs de l’école.

Il a pris ses fonctions de directeur en mai 1996. Quinze ans plus tôt il y était encore élève. « Rien, absolument rien, n’avait changé. Ni les élèves, ni les enseignants, ni les cours. Hommes politiques, médias, tout le monde s’inquiétait de la crise des élites, mais restait là, bras croisés. » Ne pas bouger l’insupporte. Le conservatisme l’afflige. « Je ne suis ni un académique, ni un érudit. Je suis un esprit libre qui aime rassembler les énergies. » Il sait mettre en contact des gens qui, sans lui, ne se seraient jamais rencontrés.

L’affaire des Zep s’est jouée avec un ancien élève, Cyril Delhay, qui avait préféré à l’Ena le théâtre itinérant et l’enseignement en banlieue. En poste à La Courneuve, il explore l’intuition de Richard Descoings, noue des contacts, emporte la conviction d’enseignants et de proviseurs. Aujourd’hui, nouvelle initiative : l’IEP a pris sous son aile quatre lycées de Seine-Saint-Denis. Dans quelques semaines, quatre classes, 120 élèves, prendront l’avion pour Shanghaï. « Les parents n’osent encore y croire. » Des entreprises financent le voyage.
Dernière initiative : des stages obligatoires de découverte de la vie professionnelle pour tous les étudiants de 1er cycle, style « stages ouvriers ». Les étudiants les ont déjà rebaptisés « stages rizières ». C’est son côté révolution culturelle. Il vient aussi de bouleverser les droits d’inscription à l’IEP et le régime des bourses. De nouveau directeur pour un mandat de cinq ans, il poursuit sans répit les deux lignes d’action qu’il s’est fixée : la démocratisation de l’école et son internationalisation. Il rêve enfin de créer un autre IEP, en banlieue parisienne, sur un campus universitaire ; car Sciences Po à Paris est désormais trop à l’étroit.

Bernard Le Solleu

Richard Descoings vient de publier Sciences Po, de la Courneuve à Shanghai , préfacé par René Rémond, aux éditions Sciences-Po, 500 pages, 22,50 €.

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