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Extraits de « L’Expresso », le 12.02.07 : ZEP : Il faut investir
Deux événements nous poussent à consacrer cet éditorial une nouvelle fois à l’éducation prioritaire. Le premier est la publication par Thomas Piketty d’un article dans Libération qui, à propos du programme de Ségolène Royal, rappelle ses recherches. T. Piketty avait montré qu’une forte réduction du nombre d’élèves par classe en ZEP aurait un effet très bénéfique sur les performances scolaires.
Le deuxième est la publication par l’IZA d’une étude menée par trois chercheurs de la « London School of Economics » sur le programme anglais « Excellence in Cities ».
Ce programme, qui concerne un millier d’établissements, affecte des fonds supplémentaires aux écoles accueillant des élèves défavorisés. Ils sont utilisés pour rémunérer des tuteurs et du soutien scolaire.
Selon cette étude, l’investissement est rentable. Le programme EiC améliore l’assiduité scolaire et relève le niveau en maths. Mais les résultats sont hétérogènes selon les élèves : les étudiants d’un niveau moyen ou au-dessus de la moyenne en profitent mieux que les élèves les plus faibles. "Affecter des ressources supplémentaires peut être efficace et des politiques éducatives peuvent donc changer les écoles les plus désavantagées... Les politiques basées sur l’octroi de moyens supplémentaires peuvent donner des résultats positifs même quand les ressources sont modestes".
C’est cette dernière affirmation qui nous semble la plus importante. Elle intervient alors que le ministre de l’éducation nationale a ramené à 249 le nombre d’établissements habilités à recevoir toutes les aides de l’éducation prioritaire. Elle vient alors qu’une partie des jeunes sont poussés vers la porte dès 14 ans et que le discours officiel valorise la responsabilisation individuelle des élèves et dénie toute logique de territoire.
Ce que nous rappellent ces deux travaux c’est qu’il est possible de scolariser tous les enfants. L’Etat peut appliquer concrètement le droit à l’éducation des enfants les plus défavorisés. S’il veut y mettre des moyens, ça marche. C’est une information qui prend sa valeur particulièrement en période électorale.
L’étude Urban schools
En évoquant "l’exigence républicaine" Gilles de Robien situe parfaitement la place que doit prendre l’éducation prioritaire dans le système éducatif français. Même si les jours du plan Ambition réussite semblent comptés, la question demeurera pour les successeurs du ministre actuel. Peut-on recommander une politique pour aider les élèves en difficulté scolaire ?
Les insuffisances du plan Robien. Car on ne saurait se satisfaire du plan "Ambition réussite" lancé par le ministre. Celui-ci hiérarchise les établissements classés en ZEP au point de ne retenir que 249 réseaux en première catégorie (EP1), les autres étant appelés plus ou moins rapidement à perdre les quelques moyens supplémentaires dont ils disposent. Quant aux EP1, eux-mêmes ne bénéficient que d’un saupoudrage de moyens : 1000 enseignants supplémentaires dont on a vu qu’ils n’étaient pas forcément expérimentés et des assistants d’éducation bien difficiles à recruter tant leur salaire et leur perspective de carrière sont sans rapport avec les tâches qu’on leur confie.
Ce que dit la recherche. La question de l’enseignement prioritaire est intrinsèquement liée à la démocratisation de l’enseignement. C’est dire que le nombre d’études est réduit. Elles ont pourtant été synthétisées par Marcel Crahay (Améliorer l’école, PUF 2006).
A vrai dire peu a été dit sur les pratiques pédagogiques. Cela donne d’autant plus de poids au Manifeste de l’OZP, qui, en décembre 2006, souhaitait "généraliser les pratiques pédagogiques qui ont réussi dans certaines ZEP et développer une véritable innovation pédagogique pour que les besoins spécifiques de tous les élèves soient mieux pris en compte. Il s’agit de développer le travail en équipe et une démarche de projet, en particulier pour enseigner à des groupes hétérogènes ; former l’ensemble des équipes à l’analyse de pratiques, à l’évaluation, au travail en partenariat ; placer des projets culturels forts au coeur des apprentissages, à l’opposé de tout repli frileux sur les apprentissages fondamentaux ; faire vivre des dispositifs pédagogiques tels que les cycles à l’école primaire, les Programmes Personnalisés de Réussite éducative (PPRE), les Itinéraires de Découverte, etc.". Et il est vrai que les résultats sont inégaux d’un établissement ZEP à un autre et que certains collèges ZEP, cela a été constaté dans l’académie de Nantes par exemple, obtiennent des résultats supérieurs à des établissements de centre ville.
Par contre plusieurs recherches ont porté sur les dispositifs à établir. Et d’abord sur la taille des classes. Or, de l’étude de Glass, Cahen, Smith et Filby en 1982, à celle de l’enquête Star en 1999, "tous les résultats confirment l’intérêt des classes à effectifs réduits". C’est aussi sur cette hypothèse qu’a travaillé récemment un chercheur français, Thomas Piketty. Il a pu mettre en évidence qu’une réduction forte du nombre d’élèves par classe a un effet net sur les résultats scolaires. La démonstration était assez forte pour que l’étude, éditée par le ministère, soit immédiatement retirée. (C’était le Dossier 173 de la Dep)...
Faut-il alors individualiser l’enseignement ? Le modèle du préceptorat flotte plus ou moins derrière cette conception qu’on a vu réapparaître derrière les PPRE. Des travaux montrent l’inefficacité de l’individualisation : "plus le rythme et les conditions d’apprentissage sont déterminés par les élèves eux-mêmes, plus la probabilité est grande quels différences interindividuelles s’accroissent" estime M. Crahay.
Une autre politique. Une autre politique peut être dessinée. On pourra s’appuyer sur un exemple qui a fait ses preuves : celui des établissements "Excellence en ville" mis en place en Angleterre. En offrant du tutorat et du soutien scolaire, ils ont sensiblement relevé le niveau de leurs élèves. Cette hausse s’explique à la fois par le soutien scolaire, l’aide comportementale et le rétablissement de l’estime de soi réalisé par le tuteur et la baisse de l’absentéisme qui en découle.
Cette politique implique d’abord des moyens réels pour les établissements ZEP ou au moins les EP1 et certains EP2. Il faut tout l’enthousiasme de certaines équipes pédagogiques pour croire que l’on puisse se passer d’une baisse réelle et forte du nombre d’élèves par classe. C’est certainement une erreur et il faut oser affirmer en cette période où on veut réduire le budget de l’enseignement secondaire, qu’il faut investir massivement dans les ZEP. Il y a là un effort que la République doit aux enfants des milieux défavorisés.
L’étude de Thomas Piketty