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Trélazé : le renouveau d’une ville sinistrée et de son collège

10 mars 2007

Extraits de « Libération », le 09.02.07 : « Que les élus donnent du souffle »

La présidentielle vue de Trélazé (Maine-et-Loire)

Le maire de cette ex-cité rouge aux portes d’Angers regrette que les politiques aient « abandonné leur rôle aux technos ». Marc Goua, avec de nouveaux entrepreneurs, s’efforce de faire changer l’image de la ville minière sinistrée par les plans sociaux pendant deux décennies.
Il a les yeux comme des soucoupes. Saisi par le défi « énorme » d’accueillir chaque jour des clients dans son hôtel-restaurant tout neuf, loin des grands axes. Didier Salmon a ouvert son établissement en 2005 : le bâtiment en rond et en verre est sorti de terre sur les ruines du stade Léo-Lagrange. Il est posé dans le quartier populaire des Plaines, à la lisière de Trélazé (Maine-et-Loire). L’ex-cité rouge des mines d’ardoises aux portes d’Angers, jadis cassée par les plans sociaux, n’est pas vraiment la destination touristique de premier choix.

« Je suis effrayé par la probabilité de réussite de ce projet. Pour l’instant, ça tient, constate le patron, qui a embauché la moitié de ses 27 employés sur la commune. Je suis encore surpris par la détermination du maire qui s’est porté garant auprès des banques. Vous savez, j’ai voté Mitterrand et j’ai été déçu, j’ai voté Chirac et j’ai été déçu. Royal et son Smic à 1 500 euros, c’est de la poudre aux yeux. Sarkozy, il promet tout et n’importe quoi. Et qu’est-ce qui le différencie de Le Pen ? Les politiques ne parlent pas de choses concrètes. Mais, ici, j’ai eu affaire à des élus très présents, qui annoncent la couleur et qui foncent. Pourtant, quand je suis venu visiter le site la première fois, je n’ai pas été emballé. »

La mairie aux socialistes en 1995

On veut bien le croire. Il y a dix ans à peine, on recensait dans le quartier 60 % de chômeurs. Deux fois plus que sur l’ensemble de la ville. A cette époque, l’endroit squatte la rubrique des faits divers, avec ses trafics, ses bandes, sa violence, et dispute la vedette à l’autre point chaud de la ville, dont le surnom vaut toutes les explications de texte : Chicago. Dur à gommer comme passif. D’ailleurs, en 2003, quand Agnès Yamakado a annoncé à ses douze salariés qu’elle allait transférer son entreprise de mobilier et de design de Seiches-sur-Loir à Trélazé (une trentaine de kilomètres !), elle s’est fait traiter de « folle ». « C’est trop dangereux », ont-ils dit. Même mise en garde adressée à un autre jeune chef d’entreprise : « Evite cette ville et sa racaille ! »

Avec peine, Trélazé a changé d’image. « Quand je suis arrivé, se souvient le maire PS, Marc Goua, la ville était sinistrée, fauchée et en dehors de tout. Les enfants des ardoisiers se barraient. Et avec une régularité de métronome, tous les dix-huit mois depuis les années 70, la ville était frappée par un plan social. » Après dix-huit ans de mandat, les communistes ont laissé les clés de la mairie aux socialistes en 1995, sur un bilan mitigé. La fermeture de la manufacture de tabac, puis la saignée des effectifs dans les mines d’ardoises ont enterré l’espoir du grand soir. Sans ouvrir un boulevard au FN.

Les Ardoisières, l’ancienne usine amiral de la ville, n’est plus désormais que l’ombre d’elle-même : avec fracas et douleurs, l’effectif est passé de 3 000 en 1910 à 215 aujourd’hui. Après l’invasion de l’ardoise espagnole dans les années 70, la production d’« or bleu » s’est stabilisée à 15 000 tonnes par an, sur un marché haut de gamme (Versailles, les hospices de Beaune, etc.). Les Ardoisières ont fini par perdre leur statut de premier employeur de la commune au profit d’un « village de la santé », bâti sur un terrain vierge pour accueillir un groupe de cliniques d’Angers et ses 400 salariés. Commentaire du directeur commercial des Ardoisières, Stéphane Ducruet : « Trélazé a perdu son statut de ville rouge qui nous a collé à la peau, même si l’activité sociale est encore plus remuante qu’ailleurs. La ville change de visage, il fait bon vivre. »

Certes, le cliché d’une cité rouge dans la couronne blanche angevine (à droite et catholique) a pâli. Mais les fondamentaux demeurent. Le 21 avril 2002, Jospin est arrivé en tête. Ce jour-là, les Trélazéens accordent à la gauche plus de 61 % des suffrages. Au conseil municipal, les sièges de l’opposition sont occupés par quatre communistes et un Lutte ouvrière. Exit la droite.

« ça change, il y a moins d’insécurité »

« Cette ville a été à la pointe des luttes sociales. Il y a toujours eu un esprit anarcho-syndicaliste très fort. Ça bossait dur, ça buvait aussi pas mal », se souvient Joël Duffoui, le responsable du Bagad Men Glaz. Cet homme chaleureux de 63 ans à la barbe de druide parle sans fin de sa ville et des Bretons venus par milliers à la mine, comme la moitié de sa famille. Joël Duffoui évoque la solidarité, les jeux de boules et les clubs de foot d’alors. Mais il n’est pas dupe. « Faut pas se voiler la face, décoche Duffoui, ce n’est pas la gauche, ici. » Il votera Marie-George Buffet en regrettant que les « alters et les antilibéraux n’aient fait pas l’union ». Jacques Quinchon ne votera pas PC mais « vert, après avoir toujours voté socialiste ». Il est encadrant en peinture à la régie de quartier, il a 53 ans. Et fait le même constat sur la ville : « On a plus d’équipements sportifs, de magasins qu’avant, les personnes âgées peuvent se déplacer plus facilement. C’est sûr, ça change, il y a moins d’insécurité. » Mais Jacques Quinchon fait aussi les comptes : « Avant, avec 100 francs, on faisait beaucoup et longtemps, maintenant 15 euros, ça part en deux jours. »
« J’ai peur d’un vote de gauche pour Bayrou »

Le thème de la vie chère fait recette à Trélazé. « Heureusement, à 20 ans, j’ai un emploi, observe sans misérabilisme Cyril Piton, un jeune Trélazéen qui travaille dans l’association d’éducation populaire Vivre ensemble. Car si ma mère, femme de ménage, devait me prendre à sa charge, il lui resterait 1,50 euro par jour. On vit comment avec 1,50 euro par jour ? » Il votera Royal, par raison plus que par passion. Il a « peur d’un vote de gauche pour Bayrou ». Quinchon reprend et s’agace : « La mairie veut faire de cette ville une ville à fric. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que de nouveaux habitants viennent s’installer. »

Pascale Roche est arrivée de l’Essonne l’automne dernier. Elle a posé ses valises au coeur de Trélazé, au collège Jean-Rostand. « Je fais partie de ces classes moyennes qui viennent dans une ville très agréable où les gens se parlent, où l’on trouve des commerces partout, où la collecte des déchets fonctionne, où la campagne est proche pour courir », savoure la principale. Son collège est classé en zone d’éducation prioritaire, mais il chasse tous les clichés sur les ZEP. Bâti près du stade de la Goducière refait à neuf, l’établissement est aéré et ceinturé d’une pelouse verte. « Pas de tags, pas d’insultes, note Pascale Roche. Les papys turcs viennent s’asseoir sur les bancs devant le collège. » Leur mosquée couleur locale ¬ toit d’ardoise et mur de tuffeau ¬ est à un petit kilomètre. Les Turcs, la plus forte communauté étrangère de l’agglomération, sont arrivés dans les années 70 pour travailler à la mine et dans le bâtiment. « Nos pères ne sont pas repartis. Même si on se sent parfois rejetés, on s’intègre, dit Hassan Sogut, 34 ans et au chômage. On a appris le français, passé des diplômes, on tente de travailler. On sait que nos enfants pourront étudier plus facilement et que des tabous tomberont. »

Déjà, la ville retrouve des forces : « Les familles des villages environnants reviennent inscrire leurs enfants, note la principale, et ça, c’est nouveau. » La spirale de la dépopulation a été enrayée : près de 1 200 personnes avaient fui la ville entre 1968 et 1990. « Nous allons franchir le cap des 12 000 cette année », claironne le maire. Marc Goua porte de discrètes lunettes sous une crinière blanche jospinienne et un costume sobre. Il tente un diagnostic : « Les politiques ont abandonné leur rôle aux technos. Les gens ont besoin que les élus donnent du souffle, il faut que ça soit un peu tripal. » Campé en « volontariste » ou croqué en « opportuniste », ce maire, proche de DSK, est un bulldozer. Il a cassé des cités, coupé des boulevards tracés au cordeau qui enserraient la ville, ouvert des chantiers de logements et d’équipements collectifs dans le dernier espace d’urbanisation aux portes d’Angers. Le but : faire basculer la ville dans les services à la personne. « Dans dix ans, on sera 20 000 habitants », s’emballe Goua en pointant les 75 hectares vierges au nord-est de son fief. « C’est le maire des ronds-points et du clinquant », raille un Trélazéen d’adoption. L’opposition communiste fustige la municipalité pour avoir organisé le « show UMP » de la ministre déléguée à la Cohésion sociale, Catherine Vautrin, venue inaugurer le nouveau centre social à la fin octobre 2006.

« Il faut du temps pour reconstruire quelqu’un »

Les signaux sont loin d’être tous au vert. Cyril Piton, le responsable associatif proche de la mairie PS : « Tous ces équipements neufs, c’est bien, mais qu’ils servent à quelque chose ! Maintenant, il faut travailler sur le social et ça va être plus compliqué. Il y a des jeunes qui ne sortent jamais de leur cité. » « 20 % de la population sous le seuil de pauvreté, ce n’est pas tolérable, avance Jean-François Garcia, ancien adjoint PS aux finances entre 1977 et 1988. Il faut d’abord agir pour ces gens. » Il votera « utile : Royal, sans trop y croire, car je suis déçu par cette gauche-là ».

Pas simple de lutter contre le fatalisme. Car l’emploi manque et les jeunes partent. Le maire : « Une étudiante d’ici est partie suivre un mastère en Allemagne, un autre, bac + 5, a filé à Londres. Je suis quasi sûr de ne pas les revoir. » Le restaurateur : « Les apprentis foutent le camp à l’étranger, ils sont mieux payés. » Le taux de chômage est certes tombé à 12,4 %, mais les emplois sont peu valorisants, souvent constitués de temps partiels et de missions courtes. « Les gens ne sont pas fous, constate Jamel Arfi, le volubile directeur de la régie de quartier. Ils voient bien qu’il y a souvent peu de différence entre un petit salaire et le système allocataire. Si je devais parler à des élus, je leur dirais : "Il faut moins d’assistanat, les gens veulent gagner leur vie en travaillant." »

Le discours d’accueil que tiennent Eric Viau et Gilles Kermoal à leurs salariés est encore plus carré : « Vous êtes là pour produire ! » Les deux patrons d’Edi Conso, entreprise d’insertion spécialisée dans l’édition et le jouet, emploient 44 personnes, des « accidentés de la vie, des conduites addictives, des délits de sale gueule ». Ils sont là pour faire du « bel ouvrage. Nous sommes une entreprise ». Alors les clients (Nathan, Clairefontaine, notamment) comptent. Résultat : le taux de sortie positive après deux ans de réinsertion est presque deux fois plus élevé qu’ailleurs. Mieux, des sociétés viennent débaucher les anciens « cassés de la vie ». « Mais quand je vois la vision à très court terme des politiques, on n’est pas sur la même planète. Il faut du temps pour reconstruire quelqu’un. Et puis arrêtons de dire que le travail va régler tout, c’est de la connerie, l’idée du plein emploi pour tous, c’est un leurre ! » assène Eric Viau, fier d’avoir empêché la délocalisation d’un marché vers le Maghreb. Une petite victoire qui vaut bien un grand discours.

Arnaud Vaulerin

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