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Inégalités sociales et savoirs : un colloque à l’INRP fin mai 2007 autour des travaux du sociologue britannique Basil Bernstein

23 février 2007

Extraits de « L’Expresso » du 14.02.07 : Enjeux sociaux, savoirs et pédagogie avec B. Bernstein

Ce colloque international aura lieu à Lyon du 31 mai au 2 juin 2007. Il est organisé à partir des travaux du sociologue britannique Basil Bernstein qui ont fortement nourri la recherche en éducation, en sociologie et en linguistique. Ils portent principalement sur les questions du contrôle symbolique et des inégalités sociales en matière d’éducation : phénomènes analysés à partir des relations entre l’école, la famille, le langage, les curricula et la pédagogie, les relations de classes, l’état, le travail.

Parmi les intervenants : Fernando Alvarez-Uria et Julia Varela (Universidad Complutense, Madrid, Espagne), Elisabeth Bautier (E.SCOL), Anne-Marie Chartier (INRP), Harry Daniels (University of Bath, Royaume-Uni), Brian Davies (Cardiff school of social sciences, Royaume-Uni), Roger Establet, Christian Maroy (UCL, Belgique), Karl Maton (University of Sydney, Australie), Jean-Yves Rochex (E.SCOL, université Paris 8, France), Agnès Van Zanten (OSC-CNRS, Paris, France) etc.

Le sociologue britannique Basil Bernstein - professeur émérite, chaire Karl Mannheim de sociologie de l’éducation, Institute of Education, université de Londres - est décédé en l’an 2000. Docteur honoris causa de nombreuses universités, il a reçu en 2001, à titre posthume, le prix Williard Waller de l’association américaine de sociologie. Ses travaux mondialement réputés ont fortement nourri la recherche en éducation, en sociologie et en linguistique. Ils portent principalement sur la question des inégalités sociales en matière d’éducation, inégalités analysées à partir des relations entre l’école, la famille, le langage, les curricula et la pédagogie, les relations de classes, l’état et le travail. Les premiers de ces travaux ont parfois été mal compris, ou retraduits dans le registre du déficit et du handicap socio-culturel, ce contre quoi Bernstein lui-même n’a cessé de s’élever. L’oeuvre dans sa totalité se présente en effet avant tout comme une pensée des relations complexes que l’auteur s’est constamment attaché à réviser à l’aune de recherches empiriques. Et cette oeuvre a une actualité évidente, sur laquelle nous proposons de travailler à l’occasion de la traduction du dernier ouvrage de l’auteur1, à paraître à l’automne 2006 sous le titre Pédagogie, contrôle symbolique, identité. Théories, recherches, critiques aux Presses universitaires de Laval.

Participeront au colloque plusieurs spécialistes de l’oeuvre et de ses thématiques, anciens collaborateurs et plus récents héritiers, ainsi que chercheurs empruntant librement ses théories et concepts. Il s’agira de déployer les savoirs produits par - et à partir de - Bernstein, de synthétiser, confronter et réviser ses apports pour penser les inégalités éducatives à l’aube du XXIe siècle et chercher comment démocratiser les systèmes d’enseignement à l’heure où se radicalisent les pressions concurrentielles et s’imposent des critères d’efficacité standardisés.

Parmi les intérêts de l’oeuvre de Basil Bernstein

L’auteur a une volonté de théorisation globale, centrée sur la question des inégalités et prenant la forme d’une théorie de l’éducation articulant le social, le cognitif, le langagier, l’institutionnel et le pédagogique. Dès les années 1970, cette théorisation est reconnue comme faisant éclater les limites conventionnelles de la sociologie, de la psychologie et de la linguistique.

Elle est en permanence soucieuse d’articuler les niveaux « micro » et « macro » (d’où, d’ailleurs, des développements surprenants associant analyses de formes langagières et de données d’enquêtes expérimentales sur des situations interactives, éléments d’histoire et de sociologie des curricula et des pratiques scolaires, réflexions sur les rapports entre classes sociales et sur les formes de division du travail dans les sociétés modernes...).

Des articulations ainsi initiées sont depuis relayées avec profit par d’autres équipes de recherche, notamment le rapport entre le social, le langagier et le cognitif pour la compréhension des inégalités sociales dans les apprentissages. Mais le registre de théorisation globale visé par Bernstein semble moins convoqué aujourd’hui, et il y aurait déjà ici des objets d’interrogation concernant la transformation de ce que sont la recherche en éducation, ses formes d’écriture, son élaboration conceptuelle et la dynamique de son questionnement.

B. Bernstein s’est surtout attelé à ainsi résoudre un problème de premier plan, y revenant inlassablement : comment les processus éducatifs et pédagogiques (leurs actions, contenus, méthodes, pratiques, formes d’organisation...) sont-ils reliés aux rapports sociaux, fonctionnements structuraux et relations de pouvoir (et inversement) ? Ou plutôt, en quoi et comment ces processus - agrégés autour des concepts de « code » et de « discours pédagogique » - procèdent-ils de rapports sociaux généraux ? Comment rendre compte de l’ordre et du changement en ce domaine ?

De fait, l’auteur propose une remarquable formulation du programme de recherche qui s’est fortement déployé depuis les années 1980, même si ces termes ne sont pas vraiment les siens : « Ouvrir la boîte noire de l’école ». Sous ce mot d’ordre, s’est jouée la transformation des paradigmes de recherche en sociologie de l’éducation, d’une macro-sociologie des inégalités à une sociologie des « formes concrètes d’inégalisation », celle-ci entendant articuler des analyses générales à des analyses de l’institution scolaire (observation des établissements et des classes, analyse de l’activité et des pratiques pédagogiques, analyse des situations locales et scolaires concrètes)2. Dans les termes mêmes de Bernstein, on ne peut se passer d’une « théorie de la description », centrée sur les connexions des rapports sociaux et des phénomènes éducatifs.

Le programme de recherche et la théorie de l’auteur ont été l’objet de constantes reformulations depuis le début des années 1960. Ses premiers travaux (voir les études réunies dans le recueil en français, Langage et classes sociales. Codes socio-linguistiques et contrôle social, Éditions de Minuit, 1975) portent avant tout sur le langage dans une perspective sociolinguistique.

Les inégalités scolaires sont rapportées aux contraintes réglementant le discours dans les différents groupes sociaux et à l’école. Ce sont les toutes premières formulations de ces questions qui ont été controversées, théoriquement (désignation des deux codes de communication décrits distinguant codes restreint et élaboré) et pratiquement (mise en oeuvre des programmes dits d’« enseignement de compensation » prétendant s’en inspirer, dans le monde anglo-saxon). Progressivement, les travaux de Bernstein se sont axés sur le fonctionnement scolaire, ses contenus de savoirs, ses méthodes d’apprentissage, ses formes d’évaluation, jusqu’à la formulation d’un modèle d’analyse de grande ampleur. Dans l’introduction de son dernier ouvrage, Bernstein formule ainsi une révision - un élargissement et non pas une critique invalidante, insiste-t-il - des élaborations jusqu’alors engagées en sociologie de l’éducation. Celles-ci, notamment les théories de la reproduction, de la résistance culturelle et de la pédagogie critique, formulent au mieux un « diagnostic de la pathologie » de l’école, précise ainsi l’auteur : ce sont des théories qui requièrent une « théorie de la description ».

De fait, la sociologie de l’éducation semble s’être désintéressée de ce que Bernstein appelle alors le « discours pédagogique ». Ces recherches sont « incapables de fournir des principes puissants de description des instances pédagogiques, de leurs discours, de leurs pratiques. Cela, selon moi, parce que les théories de la reproduction culturelle considèrent l’éducation comme le vecteur de relations de pouvoir externes à l’éducation. De ce point de vue, le discours pédagogique devient le vecteur de quelque chose d’autre que lui-même. Il est le vecteur de relations de pouvoir externes à l’école, le vecteur de schémas de dominance par rapport à la classe sociale au patriarcat, à la race. Ce qu’il est intéressant de constater c’est que la structure qui permet réellement au pouvoir d’être relayé, au pouvoir d’être transmis, n’est pas elle-même soumise à l’analyse. Paradoxalement, ce qui manque aux théories de la reproduction culturelle c’est l’analyse interne de la structure du discours lui-même, or c’est la structure du discours, la logique de ce discours, qui fournissent les moyens par lesquels il peut véhiculer les relations externes de pouvoir ».

En formulant ce programme de recherche, l’auteur nous livre aussi des outils importants pour sa réalisation. Le modèle d’analyse construit, les chantiers empiriques ouverts et les concepts alors utilisés sont aujourd’hui développés par d’autres équipes de chercheurs : les notions de « discours pédagogique », de « pédagogie visible et invisible », de « texte privilégiant », de « classification et cadrage » ; les interrogations sur les curricula ; l’ensemble des questions sur la circulation, décontextualisation et recontextualisation des savoirs ; etc. Le colloque s’attachera donc à faire le point sur la portée opératoire de ces concepts, sur ce que l’on connaît du discours pédagogique et de ses évolutions, sur l’avancée de la « théorie descriptive » et, en conséquence, sur les éléments de sortie du simple diagnostic de la « reproduction », des inégalités, de la différenciation et de l’exclusion scolaire, etc.

Ajoutons : bien des recherches peuvent se retrouver sous ces préoccupations, mais il existe aussi d’autres orientations actuelles portant sur les inégalités et la justice en éducation, qu’il nous faut pouvoir articuler. Quand une part importante des travaux menés aujourd’hui opère sous le principe d’une analyse multivariée, de l’évaluation de l’efficacité et de la construction
des indicateurs d’équité, une autre renouvelle les questions relatives aux inégalités scolaires dans le registre de la philosophie politique. Par exemple, les débats actuels portant sur la méritocratie et les nouveaux cadres de justice scolaire, ainsi que les travaux déplaçant le regard de la lutte contre les inégalités à la lutte contre l’exclusion, sont à relier aux travaux portant sur les opérateurs des inégalités d’apprentissage, et donc à l’analyse en profondeur du « texte privilégiant », du « discours pédagogique » et de ses transformations. Si les analyses de Bernstein et celles s’y référant ont ouvert de multiples chantiers, l’intégration des savoirs et des registres de travail cognitif et pédagogique dans les analyses sociologiques demeure encore relativement fragile, parfois curieusement évitée quand il s’agit de prétendre décrire le quotidien des établissements. Cette intégration est même parfois plus curieusement encore refusée, sous l’argument - pré-bernsteinien - que la discipline sociologique y perdrait son autonomie...

1. Pedagogy, symbolic control and identity : theory, research, critique, Ed. Rowman and Littlefield, 2000 (éd. Revue et corrigée, première édition : 1996). Traduction : G. Ramognino et P. Vitale

2. Voir notamment autour de ces questions : J.-M. Berthelot, « Réflexions sur les théories de la scolarisation », Revue Française de sociologie, XXIII, 1982 ; M. Duru-Bellat & A. Henriot Van Zanten, Sociologie de l’école, A. Colin, 1999 (2e édition) ; J.-M. de Queiroz, L’école et ses sociologies, Nathan, 1995, coll. 128.

Le programme
Contacts

Daniel Frandji Tél. 33 (0)4 72 76 62 40

Philippe Vitale

Informations pratiques et incriptions

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