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Mireille Brigaudiot et le langage en ZEP (Fenêtres sur cours)

29 novembre 2004

Extrait de « Fenêtres sur cours » 29.11.04 : Mireille Brigaudiot et le langage en ZEP.

Entretien avec Mireille Brigaudiot
« Tous les enfants peuvent apprendre à maîtriser l’écrit »
jeudi 25 novembre 2004

« Il est important de parler aux enfants de leurs apprentissages en cours et à venir en insistant sur le fait que tous ont encore à apprendre : ce climat de classe solidaire est déterminant pour les apprentissages »

 Vos travaux sur le lire-écrire au cycle 2 poursuivent ceux de la démarche PROG initiée en maternelle... Pouvezvous nous en rappeler les grands principes ?

 La condition fondamentale de la démarche est d’avoir la conviction profonde, sans l’ombre d’un doute, que tous les enfants peuvent apprendre à maîtriser l’écrit. La réussite de tous n’est pas un slogan mais une grande confiance. Elle se renforce d’ailleurs avec les résultats que nous obtenons dans une école de ZEP de la région parisienne, avec des équipes travaillant dans la même direction depuis plusieurs années. Ensuite, et cela en découle, il faut bien considérer que ce sont les enfants qui apprennent. Leurs enseignants ont à leur proposer des jeux-problèmes, des situations de recherche puis à « se caler » dans leurs zones d’apprentissage, en les regardant, en les écoutant, en prenant leur point de vue, et en leur pointant le chemin restant à faire (par exemple avec le dispositif V.I.P., valoriser, interpréter, poser un écart). (1) Pour ce faire, comme en maternelle, il est nécessaire de partir des activités langagières des élèves pour les intéresser peu à peu à la langue.

Inutile de se donner des objectifs précis à atteindre en fin de séquence. L’important est d’avoir de bonnes définitions de base, de savoir où l’on va, loin devant, et d’être capable d’analyser les chemins intellectuels qu’emprunte chacun des élèves. Leur demander comment ils font et leur expliquer ce qu’on attend d’eux, de la même manière que l’enseignant commente, sans arrêt, ce qu’il fait pour lire ou écrire telle chose. Cela peut paraître long et prenant, mais c’est décisif pour sortir de l’implicite et faire entrer tout le monde dans la culture écrite.

 Pourquoi cette insistance, sur l’importance d’utiliser la dimension sonore du langage pour enseigner le lire-écrire ?

 Parce que des recherches montrent que même en lecture silencieuse, une sorte de machine phonologique non consciente se met en route pour permettre d’accéder au sens du texte. Le français écrit est d’abord un codage d’unités sonore. Les élèves, surtout les plus fragiles, ont besoin « d’entendre dans leur tête », de pouvoir « manipuler » la parole pour maîtriser l’écrit. Or, on a tendance à les focaliser sur les procédés logographiques, multipliant la résolution de tâches simples ne relevant que du traitement visuel de l’écrit (les manuels, évidemment, en fourmillent). Le travail sur le sonore est plus difficile à faire en groupe, c’est certain, et puis il ne laisse pas de traces. Il est néanmoins indispensable, particulièrement en secteur spécialisé.

Ayons en tête que ce n’est pas l’apprentissage de la seule lecture qui est en jeu mais l’apprentissage de la maîtrise de l’écrit, son code et sa compréhension. Veillons à une utilisation variée de l’écrit surtout en écrivant : production d’écrits, copie, écriture inventée..., et permettons aux élèves de savoir toujours sur quel niveau ils travaillent. Soit au niveau d’une activité langagière, par exemple, imaginer quelque chose qu’on pourrait écrire pour faire rêver d’autres enfants ; soit sur celui d’unités de la langue, par exemple trouver une rime dans une poésie commencée ; soit sur l’un et l’autre niveau, langagier et linguistique, comme lire et comprendre un écrit jamais rencontré, produire et écrire tout seul un écrit adressé à quelqu’un.

 Votre livre s’adresse aussi bien aux enseignants de CP, de CE1 qu’à ceux de secteur spécialisé. C’est plutôt rare...

 Oui, et je regrette la séparation entre le spécialisé et le non-spécialisé quasi systématique, dans les manuels, les projets, les réunions ou les formations. Les enfants qui travaillent avec des maîtres E, G, ou en CLIS sont des enfants comme les autres qui fréquentent la même école. Ils doivent être considérés dans un continuum, de même que le travail de leurs enseignants. Leur suivi par le secteur spécialisé doit d’ailleurs être présenté et expliqué aux autres élèves. Il est important de parler aux enfants de leurs apprentissages en cours et à venir en insistant sur le fait que tous ont encore à apprendre : ce climat de classe solidaire est déterminant pour les apprentissages.

 Vous abordez la question de l’hétérogénéité des classes en parlant d’élèves « prioritaires ». Est-ce une réponse aux défis de la différenciation ?

 Dire que l’hétérogénéité pose problème revient à faire comme si l’homogénéité était possible et, in fine, révèle qu’on continue de penser qu’en enseignant d’une seule manière, tous les élèves peuvent progresser. C’est faux. Mais la différenciation n’est pas un enjeu en soi, elle est une manière de travailler que les maîtres inventent et qui repose d’abord sur une organisation de la classe et du temps. La base, c’est qu’il faut faire des allers-retours entre travail collectif et ateliers en petits groupes.

La pratique à stabiliser, c’est une demi- heure quotidienne en ateliers pendant laquelle l’enseignant se consacre à un seul groupe. Dans les contenus, il s’agit de « ne pas lâcher les enfants prioritaires » et de se caler sur eux. Contrairement à une idée répandue, cela ne nivelle pas la classe par le bas. Plusieurs années de travail en ce sens sur le terrain montrent que les enfants prioritaires sont entrés dans l’écrit et que les autres ont beaucoup progressé. Les petits jeux et situations problèmes proposés en ateliers, construits sur les mots des élèves ou à partir d’albums, sont très riches, surtout pour les élèves les plus performants. Simultanément, de grands cycles d’activités complexes sur le langage et la langue, doivent être menés par tout le groupe classe et conduire à de grands exploits. J’ai essayé de les organiser en programmations. Et puis, il faut se construire des petits défis réguliers, des rendez-vous, comme la « phrase cadeau » et la « phrase du jour » en CP. On ne les a pas inventées, c’est quasiment du Freinet !

Maître de conférences IUFM de Versailles Laboratoire LEAPLE CNRS Paris 5
Intervention : Propositions de nouveaux repères pour enseigner le lire-écrire au cycle 2

(1) Première maîtrise de l’écrit, CP, CE1, secteur spécialisé, Hachette Education, 2004

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