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Ce que l’on sait des classes prépas et de leurs élèves (dossier de L’Express/L’Etudiant)

31 janvier 2007

Extraits de « L’Express », le 30.01.07 : Le palmarès des meilleures prépas

Certes, les classes préparatoires des lycées les plus prestigieux occupent une place de choix dans le classement établi par L’Express et L’Etudiant. Mais les filières d’excellence ne sont plus réservées à une élite. Tous les bons élèves peuvent y accéder. Nos tableaux leur permettront de comparer les résultats aux concours d’une large gamme d’établissements

Il adore cette histoire. Daniel Grossain, orateur chevronné et directeur de l’éducation de Montreuil, se fait toujours un plaisir de raconter comment fut créée, en 2001, l’hypokhâgne du lycée Jean-Jaurès.

Une nouvelle occasion lui est donnée ce soir-là, face à une assemblée réunie dans un collège parisien pour débattre de la carte scolaire et de la mixité sociale [Note de l’OZP : il s’agit de la Rencontre OZP du 14 février sur la carte scolaire. « Le maire, Jean-Pierre Brard, en parle à Claude Allègre [alors ministre de l’Education]. Réticent, celui-ci lui répond qu’il y a déjà assez de prépas en France, et que ce n’est pas la peine d’en créer une dans le 9-3. Alors, Brard lui rétorque : “Mais, monsieur le Ministre, une prépa à Montreuil, c’est symbolique ! - Ah, si c’est symbolique, alors d’accord ! ” s’exclame Allègre... » Le public, composé de profs, de proviseurs et de chercheurs en pédagogie, sourit d’un air entendu. L’ouverture dans une banlieue populaire d’une antichambre à la crème de la crème des formations supérieures françaises, l’image est susceptible de frapper les esprits.

Six rentrées scolaires plus tard, profs et élèves du lycée Jean-Jaurès continuent de se battre pour dépasser les clichés. En 2005, deux étudiants intégraient HEC et un entrait à Sciences po. Mais toujours pas de normalien, ni d’agrégé. Des résultats honorables, mais, cette année, cette « petite prépa » ne figure pas dans le palmarès établi par L’Express et L’Etudiant : il répertorie les lycées ayant réussi à intégrer au moins un élève et pointe les meilleurs établissements par filière.

Pas d’hypocrisie cependant : si les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) constituent des poches d’excellence, capables de redorer le blason de municipalités ambitieuses et de promouvoir l’égalité des chances, les grandes écoles (Centrale, Polytechnique, HEC, Essec, Ponts et chaussées ou Normale sup) recrutent toujours parmi les mêmes prépas, plus souvent situées dans le Ve arrondissement parisien que dans des cités de banlieue. Cette année encore, une poignée de lycées aux noms célèbres font figure de pourvoyeurs officiels de jeunes pousses surdouées, élevées parfois dès la naissance pour atteindre les plus hautes marches du système scolaire.

En province, les lycées du Parc (Lyon), Thiers (Marseille), Masséna (Nice), Pierre-de-Fermat (Toulouse) obtiennent chaque année de bons résultats aux concours d’entrée. Mais les établissements parisiens et versaillais - Henri-IV, Louis-le-Grand, Saint-Louis, Hoche, Fénelon, Sainte-Geneviève, Stanislas - demeurent indéboulonnables. Un exemple : 66% des 447 élèves ayant intégré Centrale en 2006 sont issus des lycées parisiens. Un tiers du total des nouveaux centraliens vient de quatre lycées seulement : 53 de Sainte-Geneviève, 35 de Louis-le-Grand, 26 de Saint-Louis et 22 de Janson-de-Sailly. Même phénomène de concentration à HEC, où 34% des intégrés ont potassé les concours dans les quatre mêmes adresses : 50 à Henri-IV, 36 à Sainte-Geneviève, 24 à Louis-le-Grand, 19 à Janson-de-Sailly.

La sélection débute dès le berceau, ou presque. L’élève type d’une CPGE est souvent doté d’un pedigree très caractéristique : 57% des garçons et 59% des filles élèves de classes préparatoires sont issus de milieux sociaux supérieurs ou de familles d’enseignants - ces deux catégories ne représentant que 18% de la population active. Ils travaillent bien, et depuis longtemps : en sixième, 75% d’entre eux faisaient déjà partie des 25% d’élèves les plus brillants (d’après Noël Adangnikou, dans Efficience de l’enseignement supérieur dans la production des élites). Résultat, 84% des bacheliers entrant en CPGE ont obtenu une mention : 15% ont eu « très bien » (contre 3% de l’ensemble des bacheliers 2005), 34% « bien », 35% « assez bien ». Les maths demeurent en outre un sésame : 72% des élèves de prépas toutes filières confondues, y compris économiques et littéraires, sont titulaires d’un bac scientifique. Enfin, 57% des élèves de CPGE sont des garçons (contre 69% en 1975)...

Doit-on accepter cette fatalité ? Non. Ascenseur social contre reproduction des élites : la bataille, si elle est inégale, a le mérite de se jouer. Et d’être devenue très à la mode. « Pourquoi la politique de l’Education nationale qui visait à l’égalité des chances pour tous n’a-t-elle abouti qu’à une démocratisation en trompe-l’œil ? » s’interroge Ségolène Royal sur Désirs d’avenir, son site Internet. « Je vous propose que nous [donnions] le droit aux 5% des meilleurs élèves de chaque établissement de rejoindre une classe préparatoire aux grandes écoles », lançait Nicolas Sarkozy, en décembre 2006, à Angers. Des déclarations qui agacent Gilles de Robien, lequel aimerait que l’on se souvienne que l’Etat mène déjà une politique très volontariste en la matière.

Des moyens nouveaux pour l’égalité des chances

L’an passé, lors de ses vœux à la presse, Jacques Chirac fixait un objectif aux prépas : accueillir dans leurs rangs un tiers d’élèves boursiers. Actuellement, leurs effectifs atteignent 17,8%, avec de fortes disparités régionales - 8,8% dans l’académie de Versailles, contre 27,5% dans celle de Besançon. Le ministre de l’Education nationale, en novembre 2006, promettait que le chiffre s’élèverait à 22% pour l’année scolaire 2006-2007. Et qu’atteindre les 30% figurait « dans le champ du possible ».

Pour y parvenir, des moyens ont été débloqués. Ils relèvent davantage de la volonté politique, mais s’appuient sur quelques instruments concrets. « La puissance publique doit prendre un engagement fort à l’égard de tous les élèves et leur garantir l’égalité des chances », s’enflamme Claude Boichot, le « Monsieur Prépas » du ministère. Un discours à la fois politiquement correct et sincère : cet ancien boursier, lui-même « modeste fils de gendarme », bon en maths et en physique, a gravi tous les échelons grâce à l’école, jusqu’à celui d’inspecteur général de l’Education nationale. « Les prépas reproduisent les élites, dit-on. Pas forcément ! Il s’agit d’un enseignement gratuit, très encadré, donc idéal pour un élève fragile socialement. Il faut lutter contre les préjugés. Je veux que l’on arrête de dire à certains que la prépa n’est pas faite pour eux. Que les élèves modestes cessent de se sous-estimer. Ceux qui ont le moins confiance en eux et sont les moins informés trinquent toujours : cela doit cesser. »

La réputation de ces classes d’excellence provoque une forme d’autocensure chez de nombreux jeunes, qui s’imaginent ne pas être « faits pour ça ». D’autant que certaines prépas distillent des informations anxiogènes, destinées à écrémer les candidatures. Ainsi peut-on lire sur le site du lycée Henri-Poincaré de Nancy, sous la rubrique « Profil idéal d’un élève de classe préparatoire » : « Etre en bonne santé, car la classe préparatoire nécessite un travail intense. [...] le contenu des programmes est tellement abondant qu’une absence pour des raisons de santé peut entraîner des conséquences graves par impossibilité matérielle de rattraper les cours “perdus”. Avoir une bonne résistance psychologique. Les classes ne comprennent que de bons, voire de très bons élèves, et pourtant il y a un premier et un dernier. » Une grippe, une baisse de régime, et adieu veau, vache, cochon, couvée...

Une formation initiale valorisée, même en cas d’échec

Cela explique sans doute que, contrairement à une idée reçue, les rangs des prépas ne sont pas tous surchargés. Au contraire, à la dernière rentrée, il restait encore, sur l’ensemble du territoire, entre 3 000 et 4 000 places libres. Ennuyeux, lorsqu’on sait que la scolarité d’un élève de prépa coûte 13 760 euros à l’Etat - contre 6 700 pour un étudiant d’université - un prix calculé dans une perspective de 100% d’occupation. Aussi est-il préférable d’atteindre ce taux pour rentabiliser la dépense.
« Il faut oser la prépa ! » serine donc Claude Boichot. Qui assène un ultime argument : la formation qu’on y reçoit est de toute façon valorisée. A l’issue de leurs deux ou trois années d’études, la grande majorité des élèves des filières économiques et scientifiques, s’ils n’accèdent évidemment pas tous à l’Olympe des grandes écoles, finissent par remporter un concours. La situation des littéraires, elle, est plus délicate, car les débouchés sont très limités : mis à part l’ENS Lyon et ses 260 places, la Rue d’Ulm et ses 100 admis, la khâgne ne prépare directement à rien d’autre. Mais elle constitue une excellente voie d’entrée aux instituts d’études politiques (IEP), au Capes, aux formations de journalisme et de traduction.

Un système d’équivalence plus transparent

Afin de rassurer les étudiants qui hésitent à se lancer dans un cursus dont la validation est aléatoire en cas d’échec au concours, le ministère a mis en place un système d’équivalence plus transparent. Et aligné sur les normes européennes. « Le jour où des élèves d’origine modeste sauront qu’après un an de prépa ils peuvent faire valoir leurs 60 crédits ECTS [système européen de validation de connaissances et de compétences] s’ils veulent changer de formation, cela lèvera un blocage psychologique », remarque Bruno Jeauffroy, de l’Union des professeurs de spéciales (UPS).

Décomplexer et informer : tels sont les deux prochains chantiers. Selon une enquête de l’Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec), 40% des élèves viennent de lycées déjà dotés d’une classe préparatoire. Or seuls 500 établissements en possèdent, sur les 3 000 que compte l’Hexagone. Le rôle de détecteurs de talent des enseignants est donc essentiel. L’été dernier, les recteurs ont ainsi contacté, après les résultats du bac, les élèves ayant obtenu une mention bien ou très bien, afin de les guider dans leur orientation. Entre le Centre national d’enseignement à distance (Cned), qui propose depuis cette année des cours de soutien à ceux qui veulent entrer en prépa, et les grandes écoles elles-mêmes, qui, à l’image de l’Essec, mettent en place des systèmes de tutorat, le recrutement devrait s’élargir. Raison de plus pour connaître précisément le paysage des classes préparatoires. L’Express propose dans les pages qui suivent un panorama détaillé et complet de leurs résultats. Car l’évaluation est le premier stade de la décision.

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10 choses que l’on sait des élèves des prépas

 1.Ils étaient 74 790 à la rentrée 2006.

 2. Plus de 8 sur 10 ont obtenu leur bac avec mention.

 3. 72% sont titulaires d’un bac scientifique.

 4. 57% des garçons et 59% des filles sont issus de milieux sociaux supérieurs ou de familles d’enseignants.

 5. Le père de 44% d’entre eux est lui-même doté d’un diplôme de niveau bac 3 et plus.

 6. 75% faisaient déjà partie des meilleurs élèves dès la sixième.

 7. 75% des élèves d’origine populaire ont été poussés à s’inscrire par un de leurs enseignants, contre 50% des enfants de cadres.

 8. 25% quittent le foyer familial après le bac, contre 10% pour les autres.

 9. 70% étudient en province.

 10. 6 académies (Paris, Versailles, Rennes Lyon, Lille, et Toulouse) sur 26 concentrent près de la moitié des effectifs.

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Saint-Denis à l’assaut des élites

Comment les petites prépas d’un lycée de banlieue obtiennent d’honorables résultats ?

Le lycée Paul-Eluard de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) est doté de quatre prépas scientifiques depuis 1988. Leur particularité ? Jouer sur la proximité. Par leur recrutement d’abord : elles accueillent principalement les élèves du département. « L’accès au Quartier latin ne doit pas être le seul moyen de faire de longues études », note Paul Simondon, professeur de mathématiques.

Par leur taille ensuite, puisque les effectifs sont volontairement réduits à 25 élèves par classe, contre 48 en moyenne à Paris. « Cela permet de très bien connaître les élèves et de cerner rapidement leurs difficultés », indique Julie Fournier, professeure de sciences physiques. Et de deviner leurs éventuels soucis matériels : ici, 50% des élèves sont boursiers.

Les clichés, pourtant, ont la vie dure, et certains déplorent le manque de pression, qui « ne motive pas pour travailler ». La plupart des étudiants décrochent néanmoins une place dans des écoles d’ingénieurs de deuxième catégorie. Un bon résultat qui « ne fait pourtant pas rêver », déplore Julie Fournier.

Les professeurs se démènent chaque année pour faire savoir que Paul-Eluard existe (journées portes ouvertes, forums d’orientation...), afin d’attirer de nouveaux élèves.

Laurence Debril,

Jaumette Harang

Lire aussi : « Un système unique au monde » : un entretien de Jaumette Harang avec Bruno Belhoste, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris X-Nanterre, remonte aux origines des classes prépa

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