La machine à trier au nom du mérite (Bernard Desclaux sur Educpros)

6 octobre

La machine à trier au nom du mérite
En cette rentrée 2025, les polémiques autour de Parcoursup et des inégalités scolaires resurgissent avec une régularité métronomique. Pourtant, derrière ces débats récurrents se cache une question plus fondamentale : notre système éducatif peut-il encore prétendre servir la réussite de tous quand il reste structurellement organisé pour sélectionner quelques-uns ?

Un élitisme scolaire aux racines profondes
Il faut remarquer d’emblée que la critique de l’élitisme scolaire français n’est pas nouvelle. Dès 1925, Edmond Goblot révèle dans La Barrière et le Niveau comment le lycée de la IIIe République, par le choix des matières enseignées – le latin en particulier – et l’institution du baccalauréat, assure le maintien de la distinction sociale[1]. Mais attention : Goblot analyse un système encore dual où l’école communale accueille le peuple tandis que le lycée reste réservé aux notables. Le « mérite scolaire » dont il parle concerne d’abord la concurrence entre bourgeois, les quelques « infiltrés » du peuple ayant réussi à franchir les barrières – dont ce fameux latin obligatoire – demeurant l’exception qui confirme la règle.

La fusion progressive des deux ordres scolaires ne supprime pas cette logique distinctive : elle la transforme. La barrière externe (deux institutions séparées) devient une mécanique interne de tri pédagogique. C’est cette mutation que Pierre Bourdieu analysera magistralement. Dans La Distinction (1979), il démontre comment l’institution scolaire unifiée reproduit et légitime les inégalités sociales en transformant le capital culturel hérité en mérite scolaire apparent[2]. Ce qui passait auparavant par la séparation institutionnelle s’opère désormais dans les mécanismes mêmes de l’école unique : évaluation, orientation, hiérarchisation des filières.

Mais c’est peut-être Antoine Prost qui formule le plus brutalement la logique sélective de ce système unifié. Dans un célèbre colloque des années 1980, il prononce cette phrase devenue emblématique : « Il n’est d’orientation que par l’échec »[3]. Cette formule lapidaire résume la mécanique qui a remplacé les barrières d’antan : pour que certains accèdent aux filières nobles dans l’école commune, d’autres doivent obligatoirement échouer et être relégués vers les voies de garage. L’orientation devient l’outil « démocratique » du tri social, substituant aux obstacles visibles de Goblot des procédures prétendument objectives.
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Extrait de educpros.fr du 04.10.25

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