Education prioritaire et dédoublement : le rapport de la Cour des comptes analysé par ToutEduc

9 mai

Éducation prioritaire : une carte qui n’a pas été revue depuis 10 ans, des dédoublements inefficaces à moyen terme (Cour des comptes)

La Cour des comptes estime que l’éducation prioritaire doit être réformée "sans délai", selon deux principes, "mettre en cohérence l’ensemble des moyens concourant à la mixité sociale et à l’égalité des chances (...), tout en veillant à une bonne adéquation avec l’action des autres acteurs (politique de la ville, secteur médico-social, etc.)" et "simplifier les mécanismes d’allocation des moyens pour permettre une meilleure lisibilité et davantage de progressivité (...) tout en veillant à faire évoluer les pratiques professionnelles au bénéfice de la réussite des élèves". C’est la conclusion du rapport qui vient d’être publié et qui a été "réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat" pour "dresser le bilan de la politique d’éducation prioritaire en France métropolitaine conduite depuis 2015".

Malgré les moyens alloués à l’éducation prioritaire, les inégalités persistent

La Cour fait remarquer que la France est un des pays de l’OCDE "dans lesquels le niveau scolaire des élèves défavorisés est en baisse depuis vingt ans et les inégalités sociales pèsent le plus sur les destins scolaires". Elle rappelle que "la France mène sans discontinuité depuis 1981, sous l’impulsion première du ministre de l’éducation Alain Savary, une politique d’éducation prioritaire" et qu’à la rentrée 1982, on comptait 363 zones d’éducation prioritaire (ZEP), scolarisant 8,3 % des écoliers, 10,2 % des collégiens et 8,2 % des lycéens. Depuis 2015, 731 réseaux d’éducation prioritaire (REP) "forment un second cercle autour d’un premier cercle" de 362 REP+.

Elle rappelle également qu’ "à la suite des revalorisations intervenues en 2018 et 2021, l’indemnité de sujétion s’élève à 1 734 € bruts par an, soit 114,5 € bruts par mois, pour les enseignants en REP. Pour les enseignants qui travaillent en REP+, c’est 5 114 € bruts par an, soit 426,17 € bruts par mois, plus une part modulable en fonction de l’investissement des équipes éducatives (234 €, 421 € ou 702 € bruts versés en juillet)".

Autre élément à prendre en compte pour calculer le coût de cette politique, les dédoublements qui mobilisent près de 16 000 ETP pour "près de 800 M€ par an" auxquels il faut ajouter des travaux de réaménagement dans les écoles dont le coût a été porté par les collectivités territoriales sans pouvoir être évalué "faute de pouvoir être individualisé dans les comptes publics locaux".

Une non-révision de la carte scolaire depuis dix ans

La Cour s’intéresse également à la carte de l’éducation prioritaire, qui aurait dû évoluer pour tenir compte des "besoins d’académies les plus déficitaires (Amiens, Guadeloupe, Lille, Réunion, Montpellier, Nancy-Metz)" tandis que "d’autres académies (Bordeaux, la Corse, Créteil, Dijon, Grenoble, Paris, Toulouse, Versailles) auraient pu faire sortir quelques réseaux". Alors que "cinq collèges avec un indice de position sociale (IPS) supérieur à 110 sont classés en éducation prioritaire", seize collèges avec un IPS inférieur à 80 sont situés hors éducation prioritaire. Or la carte n’a pas été revue depuis dix ans.

L’histoire de l’éducation prioritaire témoigne d’aileurs "d’un portage politique à éclipses. La refondation de 2015 s’est caractérisée par un pilotage national fort (...). Dix ans plus tard, la Cour constate que la logique de moyens et le pilotage par les moyens ont prévalu sur l’accompagnement des mesures au profit des élèves". Les aménagements de "carte scolaire" constituent un levier "pour accroître la mixité" sociale des collèges. "Or ce levier est peu actionné." L’implantation d’une option comme des classes à horaires aménagés musique "peut porter ses fruits" lorsque "le pari est de retenir ou de faire venir dans les collèges concernés de bons élèves et des familles plus favorisées" avec le risque de voir ces classes "aspir(er) des élèves moteurs hors des classes ordinaires, abaissant le niveau de ces dernières, et, en matière de mixité, des sections en vase clos se mélangeant peu au reste du collège. Malgré (d)es initiatives intéressantes, la politique de mixité scolaire conduite en France apparaît modeste eu égard aux inégalités constatées".

Aller vers une progressivité du système d’allocation

Se pose aussi la question des écoles "orphelines", "certaines écoles dont les élèves appartiennent aux ménages les plus défavorisés ne sont pas classées en éducation prioritaire et d’autres écoles, dont les familles sont davantage favorisées, sont rattachées à un réseau d’éducation prioritaire".

La Cour des comptes plaide pour "la mise en place d’un système d’allocation davantage progressif" qui reposerait "sur un principe de répartition des établissements (...) prenant en compte de manière graduelle la situation socio-économique des familles (...). Pour donner à cette évolution toute sa portée, il conviendrait que les modalités de gestion des ressources humaines (primes, mobilité, etc.), jusqu’ici adossés aux labels de l’éducation prioritaire, prennent désormais appui sur la catégorie (...) de l’établissement".

"À défaut de mettre à jour la carte de l’éducation prioritaire", de nouveaux dispositifs ont émergé : les CLA (contrats locaux d’accompagnement), les TER (territoires éducatifs ruraux) et les cités éducatives. Mais la réflexion sur les CLA "porte essentiellement sur la périphérie de la classe et peu sur les pratiques enseignantes", "renforcer l’attractivité et la professionnalisation de l’école rurale exigerait de la part des académies la mise en place d’une gestion des ressources humaines de proximité et d’une plus-value à exercer en TER" tandis que les cités éducatives s’intéressent insuffisamment aux moins de trois ans et aux plus de 15 ans.

Mesures en faveur des personnels : un bilan mitigé

Quant aux "mesures avantageuses mises en place à l’échelle nationale en faveur des postes en éducation prioritaire", elles ont produit "des effets notables en matière d’amélioration de l’attractivité et la stabilité des équipes, notamment en REP+", mais elles "peuvent également créer des effets non souhaités". En 2015, le taux de contractuels était de 12,5 % en REP+, de 7,8 % en REP et de 3,8 % hors éducation prioritaire. "En novembre 2023, les enseignants non-titulaires affectés en REP ou REP+ représentent 35 % des enseignants, alors que ce chiffre est de 25 % dans l’ensemble du premier degré public. Dans les collèges de l’éducation prioritaire, ils sont également 35 % de non-titulaires, pour un taux général de 24 % dans l’ensemble des collèges."

Mais la situation dépend des politiques académiques." En Seine-Saint-Denis, la part des enseignants avec une ancienneté dans l’école inférieure à deux ans a reculé sur toute la période 2017-2023. C’est en REP+ qu’elle est maintenant la moins importante et qu’elle a le plus baissé de 2017 à 2023 (...). C’est aussi en REP+ que la part des enseignants les plus expérimentés est aujourd’hui la plus élevée : 26,7 % ont plus de huit ans d’ancienneté, contre 22,5 % hors éducation prioritaire et 18,9 % en REP en 2023." Mais la Cour constate des effets pervers avec une "trop grande stabilité des personnels (...). Il est ainsi fréquemment rapporté des situations d’enseignants présents dans un établissement depuis plus de quinze ans. Certains conservent un engagement intact pour la mission d’enseignement en réseau prioritaire, quand d’autres semblent moins motivés".

Dédoublement des classes : une pertinence remise en question

Autre facteur d’essoufflement, l’absence de moyens de remplacement pour permettre aux enseignants de se former. "À l’échelle nationale, il est constaté une progression globale du volume des formations consacrées à l’éducation prioritaire à la suite de la refondation." Toutefois, cette dynamique, forte dans les premières années (de 2015 à 2019 environ), marque un ralentissement ensuite.

Mais cette politique est-elle efficace ? S’agissant des dédoublements, pour en mesurer les effets à plus long terme, la Cour a utilisé les résultats des évaluations en CP, CE1 et sixième. "Les scores obtenus en REP+ sont systématiquement et significativement inférieurs à ceux obtenus par une population hors éducation prioritaire. Le dispositif de dédoublement ne semble pas avoir d’impact sur cette tendance, persistante. L’analyse quantitative montre que l’effet sur les performances de classe de sixième est peu significatif (...). L’effet est donc très limité et hétérogène sur l’ensemble de la distribution (...) La pertinence du dédoublement pour certaines disciplines (sport …) a également été mise en doute par certains professeurs rencontrés par la Cour (...). Le dédoublement en tant que tel (...) devrait être réexaminé, au profit d’une réflexion plus globale sur les effectifs et les pratiques professionnelles les plus adaptés à un contexte de baisse démographique (...). En outre, il serait pertinent d’évaluer l’impact du chef d’établissement, de l’équipe enseignante, du travail en réseau qui constitue le principe de fonctionnement de la politique d’éducation prioritaire."

|Le rapport "L’éducation prioritaire, une politique publique à repenser" ici (PDF)->https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-03/20250506-Leducation-prioritaire-une-politique-publique-a-repenser.pdf]

Extrait de touteduc.fr du 09.05.25

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