Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Cour des comptes
L’ÉDUCATION PRIORITAIRE, UNE POLITIQUE PUBLIQUE À REPENSER 2015-2024
Communication à la commission des finances du Sénat
Mars 2025, 93 p.
Extrait de senat.fr du 06.05.25
EXTRAITS
(pages 71-72)
A - Des effets de court terme positifs du dédoublement des classes
L’évaluation de l’impact de la réduction de la taille des classes de CP et de CE1 en REP+ sur les résultats des élèves et les pratiques des enseignants a été menée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) en 202190. Cette étude montre que la réduction de la taille des classes en REP+ a eu un effet sur la progression des élèves en français et en mathématiques au cours de leurs premières années
d’enseignement élémentaire.
Parmi la cohorte d’élèves entrées en CP en 2017, année de mise en œuvre du dédoublement en éducation prioritaire renforcée, ceux scolarisés dans ces établissements progressent davantage que des élèves dans les écoles ayant les mêmes caractéristiques sociales et scolaires. L’effet est une réduction de 16 % de l’écart de performance en français, et de 38 % en mathématiques par rapport aux écarts observés au début de CP entre le groupe REP+ et le groupe hors éducation prioritaire. Selon les résultats de la DEPP, entre 2019 et 2024, les écarts de performance entre les élèves scolarisés en REP+ et ceux du secteur public hors éducation prioritaire, en CP, se réduisent en mathématiques sur l’ensemble des compétences et en français, sur certaines compétences.
Rapporté à la différence de taille de classe, correspondant à 7 élèves entre les deux groupes comparés, cela revient à une réduction des écarts (type) de 1,3 % en termes de résultats
90 DEPP, Document de travail - série études, n°2021.E04, septembre 2021.
par élève en français et 2 % en mathématiques. En mathématiques, cet effet paraît plus fort pour les élèves les plus en difficulté : leur part passe de 21,4 % au début du CP à 15,9 % en fin de CE1 alors que l’évolution est très faible pour la part d’élèves très performants.
En outre, l’impact positif de la réduction de la taille des classes en éducation prioritaire renforcée est surtout visible en CP. En CE1, il ne semble pas y avoir d’effet supplémentaire. La progression complémentaire entre REP+ et proche REP+ est faible et non signifiant, tant en français qu’en mathématiques.
Tableau n° 2 : taux de réussite aux évaluations nationales de « fluence 91 » à l’entrée au CE1 REP
[...]
(page 74)
C - Des performances inférieures en fin de collège
Les taux de réussite au diplôme national du brevet (DNB) permettent de distinguer les résultats obtenus en éducation prioritaire, en éducation prioritaire renforcée et hors éducation prioritaire, mais sont toutefois à analyser avec beaucoup de précautions du fait de politiques, variables selon les établissements, de présentation à l’examen et de notation en contrôle continu, mais aussi du niveau d’entrée en sixième. En effet, à la rentrée 2022, 9 % des élèves qui entrent dans un collège en REP+ et 7 % de ceux qui entrent dans un collège en REP ont une année ou plus de retard à l’entrée en sixième contre 5 % de ceux qui entrent dans un collège public hors éducation prioritaire.
Plus l’indice de position sociale (IPS) d’un collège est faible, plus son taux de réussite au diplôme national du brevet (DNB) ou sa note moyenne sont bas. Dans la série générale du brevet, en 2023, 17 points séparent le taux de réussite des candidats d’origine sociale défavorisée de celui des candidats d’origine sociale très favorisée (respectivement 81 % et 98 % de réussite). À la session 2022, 78 % (77 % en 2016) des élèves en REP+ ont obtenu le diplôme national du brevet (DNB), série générale, contre 81 % des élèves en REP et 89 % (87 % en 2016) dans le public hors éducation prioritaire : soit un écart de 11 % entre REP+ et hors éducation prioritaire.
Si l’on n’examine que les notes obtenues à l’examen écrit du brevet (cf. graphique n° 13), composé de quatre épreuves terminales (français, mathématiques, histoire-géographie et sciences) et comptant pour 300 points sur 800 dans la note finale pour l’obtention du diplôme, les écarts sont plus importants. À la session 2022, 23,7 % des élèves des collèges REP+ et 32,3 % des élèves des REP ont obtenu plus de 10/20 de moyenne à ces épreuves écrites, contre 52,8 % dans les collèges du secteur public hors éducation prioritaire. 58,7 % des élèves des collèges REP+ et 48,3 % des élèves des REP ont obtenu moins de 8/20 aux épreuves écrites, contre 28,4 % dans le public hors éducation prioritaire93.
93 DEPP, Alexia Stefanou, Synthèse n° 6, juillet 2022, mise à jour avril 2024
(page 77)
2 - Des évolutions des pratiques pédagogiques à évaluer, accompagner et développer
Si la politique d’éducation prioritaire apporte plus de moyens, l’accompagnement des transformations pédagogiques peut paraître insuffisant.
D’après les déclarations des enseignants lors de l’instruction, la mesure de réduction de la taille des classes est associée à l’amélioration du climat de classe, qui devient plus propice à l’enseignement et aux apprentissages, en CP comme en CE1. Les enseignants bénéficiaires de la mesure semblent également plus confiants vis-à-vis de l’exercice de leur métier. Leur sentiment d’efficacité personnelle est supérieur à celui documenté pour les enseignants exerçant en REP (sur les trois dimensions « Réussite de tous », « Gestion de la classe » et « Différenciation » pour le niveau CP en 2017-2018).
Par rapport à leurs pairs exerçant en REP, les enseignants de CP en REP+ bénéficiant du dédoublement, rapportent en 2017-2018 un recours plus marqué à la différenciation, à la pédagogie active, à l’étayage et à la stimulation cognitive ; ils interviennent moins dans la régulation de l’activité des élèves. En CE1, l’effet positif sur les pratiques de différenciation en lecture et l’effet négatif sur la régulation de l’activité des élèves persiste. Aucun écart de pratiques n’est identifié pour l’enseignement des mathématiques entre les enseignants exerçant en REP+ et ceux exerçant en REP.
Le dédoublement des classes s’est matérialisé par deux approches : le co-enseignement (deux enseignants en salle) ou les plus petits effectifs en classe ; choix qui a été effectué en fonction des contraintes bâtimentaires et des souhaits des équipes pédagogiques. Néanmoins, il n’existe pas d’analyse des effets différenciés de ces pratiques tout comme de l’effet précis de la taille des classes (entre 12 et 24 élèves) au cours des dernières
années. Il a été identifié lors des rencontres en académie et en école que la cible de la taille des classes peut évoluer en fonction de contraintes locales, passant de 12 à 14 ou 15 par exemple lors du dédoublement de
classes.
La pertinence du dédoublement pour certaines disciplines (sport …) a également été mise en doute par certains professeurs rencontrés par la Cour. L’effet taille de classes doit être remis en question afin d’optimiser l’impact de cette politique publique. Le dédoublement en tant que tel, appliqué à l’ensemble des matières traitées en classe avec un plafond d’élèves, devrait être réexaminé, au profit d’une réflexion plus globale sur les effectifs et les pratiques professionnelles les plus adaptés à un contexte de baisse démographique (-231 000 élèves entre2017 et 2024 ; prévision de -400 000 élèves d’ici 2028). En outre, il serait pertinent d’évaluer
l’impact du chef d’établissement, de l’équipe enseignante, du travail en réseau qui constitue le
principe de fonctionnement de la politique d’éducation prioritaire.
L’ éducation prioritaire, une politique publique à repenser
Commission des finances du Sénat
Rapport spécial : Olivier Paccaud
EXTRAITS
(page 23-24)
C. LE DÉDOUBLEMENT DES CLASSES, UN POIDS SIGNIFICATIF POUR LES DÉPENSES D’ÉDUCATION
Le dédoublement des classes est considéré par la recherche en éducation comme une politique bénéfique pour la diminution des inégalités scolaires entre élèves. Cette politique a été mise en œuvre à partir de 2017 avec le dédoublement des classes de CP, dont le nombre d’élèves a été plafonné à 12, suivi par le dédoublement des classes de CE1 et de grande section de maternelle en 2020.
Cette politique, coûteuse, a entrainé la mobilisation de 15 987 ETP supplémentaires, tandis que la proportion d’enseignants affectés dans l’éducation prioritaire dans le premier degré est passé de 21,7 % en 2015 à 24,7 % en 2022, d’après la Cour des comptes. Par ailleurs, elle a entrainé des travaux bâtimentaires pour les collectivités territoriales, afin d’augmenter le nombre de classes.
Note 1 Circulaire n° 2014-077 du 4 juin 2014.
Enfin, une telle politique assèche le vivier des enseignants disponibles, alors que la profession subit des problèmes d’attractivité. Comme le relève la Cour des comptes, « si les postes en éducation prioritaire, et surtout en REP +, ont connu un gain important en matière d’attractivité, d’autres établissements connaissent quant à eux un déficit de candidatures », surtout en zone rurale.
Par ailleurs, une expérimentation pourrait être conduite au niveau du collège afin de déterminer s’il existe des effets bénéfiques d’une éventuelle politique de dédoublement des classes au niveau de la 6ème par exemple. La littérature ne permet pas en effet à ce stade de conclure quant à ces potentiels effets.
[...] (page 26)
2. En particulier, des effets à long terme du dédoublement des classes difficiles à discerner
Les effets du dédoublement des classes sur la réussite des élèves sont difficiles à distinguer à moyen terme, même s’ils sont évidents à court terme.
Comme le relève la Cour des comptes, « le dédoublement a amélioré le climat scolaire et l’attention consacrée aux élèves les plus en difficulté ». Toutefois, si des progrès en mathématiques et en français sont constatés en primaire, ceux-ci « semblent s’estomper à l’entrée au collège ». Au vu des coûts représentés par cette politique, ses modalités de mise en œuvre sont à interroger.
En particulier, la fixation d’un plafond à 12 élèves par classe dans les classes dédoublées ne fait pas l’objet d’une justification particulière en termes de résultats dans la littérature. L’Inspection générale des finances a ainsi proposé dans une revue1 de dépense récente, de passer le plafond de 12 à 15 élèves par classe en grande section, CP et CE1, ce qui permettrait de fermer 839 classes, soit autant de postes qui se libéreraient pour les zones en tension. Au vu des tensions de recrutement d’enseignants dans certaines zones rurales en particulier, ainsi que du coût pour les finances publiques, le relèvement du nombre plafonné d’élèves par classe est bienvenu.
De plus, dans certaines disciplines, la pertinence de la politique de dédoublement n’est pas complètement évidente, comme par exemple en sport.
Il pourrait être utile de ne pas appliquer strictement la politique de dédoublement des classes pour certaines disciplines bien particulières.
Recommandation : revoir les effectifs des classes dédoublées en grande section, CP et CE1, en vue de passer le nombre maximum d’élèves de 12 à 15 élèves par classe (ministère de l’éducation nationale) |
Note 1 Les dépenses en faveur de la jeunesse, Inspection générale des finances, avril 2024.
Voir aussi les articles :
"L’éducation prioritaire : une politique publique à repenser" (auditions au Sénat et rapport du rapporteur spécial (33 p). Extraits : Le sommaire et les 8 recommandations
Education prioritaire : une communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat (mars 2025, 93 p.). Le sommaire et la synthèse