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Propos de J.-M. Zakhartchouk sur le "bon sens" en matière d’éducation

7 décembre 2006

Extrait de « Libération », le 06.12.06 : Le « bon sens », mauvais conseiller d’éducation

Le soutien aux élèves en difficulté ne relève pas d’une réforme simpliste

Jean-Michel Zakhartchouk enseignant de collège en ZEP, animateur d’une association bénévole d’aide aux devoirs, rédacteur aux Cahiers pédagogiques. Dernier ouvrage paru : Enseigner, un métier à réinventer, éd. Yves Michel, 2002.

Dans le domaine de l’éducation, il est tentant de recourir aux idées dites simples. Le ministre Robien, une fois de plus, lors de la remise du rapport d’Alain Bentolila sur l’enseignement de la grammaire, exalte le « bon sens » qu’on aurait oublié et oppose à la prétention des experts une sagesse éternelle, à coups de proverbes tels que « Ne pas mettre la charrue avant les boeufs ». Il se gausse au passage de notions comme « l’observation réfléchie de la langue » qui sont pourtant dans les textes officiels, signés par ses prédécesseurs et non des élucubrations de « pédagogistes ». On est en fait en pleine idéologie, sous couvert du fameux « bon sens ». A l’époque de Copernic ¬ auquel le début du rapport Bentolila fait allusion ¬, le bon sens trouvait absurde de penser que le soleil ne bouge pas. L’observation réfléchie des planètes était-elle une élucubration ?

Il faut aller au-delà de ce nouvel épisode de l’exaltation de l’école mythifiée d’autrefois, le regard sur le rétroviseur. Les idées simples, en fait simplistes, font des ravages. Elles peuvent, bien entendu, séduire l’opinion publique : il est bien plus difficile de penser la complexité et de trouver des solutions que de chercher des boucs émissaires et de se réfugier dans les « yaka ».

Exemple, le soutien scolaire et la politique en faveur des élèves les plus en difficulté, thèmes qui vont être au centre de bien des débats politiques.

Nicolas Sarkozy, en particulier, dans son récent discours d’Angers en fait une espèce de panacée. On pourra développer une conception très libérale de l’école (choix des établissements, homogénéisation des classes) parce que, en contrepartie, nous dit-il en substance, il y aura un développement important des études du soir, assurées par des enseignants voulant gagner plus d’argent.
Or un tel système ne pourra améliorer qu’à la marge la situation actuelle, alors que la ségrégation accrue de par la suppression de la carte scolaire sera, elle, nettement néfaste aux plus faibles. Les enquêtes nationales ou internationales ont beau montrer que les systèmes élitistes et sélectifs sont moins efficaces que des systèmes plus démocratiques (comme ceux des pays scandinaves), le fameux « bon sens » voudrait que l’on puisse laisser travailler entre eux les élèves « méritants », alors qu’on soutiendrait les autres, regroupés dans des classes peut-être moins nombreuses, mais sans moteurs et sans ambition.

Ce fameux « soutien » est souvent inefficace s’il est complètement coupé du travail en classe, d’où la nécessité du travail d’équipe, lequel est contradictoire avec une vision individualiste et marchande du métier d’enseignant. Il est également inefficace s’il n’est pas vraiment pensé, accompagné.
Aider un élève en difficulté est difficile, contrairement à ce que prétend le « bon sens ». Etre à côté d’un élève qui ne comprend pas, pendant une demi-heure, essayer de comprendre ce qu’il ne comprend pas, tenter de l’aider lui-même à repérer ses erreurs, et parfois au bout du compte échouer... constater que cet élève plein de bonne volonté n’améliore qu’avec peine ses résultats. Tout cela demande du professionnalisme, de la patience, mais aussi de l’enthousiasme et une passion qui font et devraient faire la noblesse du métier d’enseignant. Ce qui n’empêche pas le recours, comme c’est le cas dans les collèges « ambition réussite », à des assistants pédagogiques, mais à condition, là encore, de les former.
Il est bien plus facile de faire un cours plus ou moins magistral ou de faire apprendre mécaniquement des règles en trompant les élèves sur l’efficacité de cette pratique. D’autant qu’aider, c’est aussi aider à se passer d’aide, conduire vers plus d’autonomie tout en redonnant confiance en soi et en travaillant avec les élèves à donner plus de sens aux activités scolaires.

Donner des moyens (qui seront d’ailleurs probablement pris sur des projets culturels ou sur des dispositifs innovants) pour développer des études, sans avoir réfléchi sur leur contenu, en se contentant de jouer sur l’envie de gagner plus, tout cela ne résoudra nullement l’échec scolaire.
Mais il est vrai que les jeunes ne seront pas dans la rue, si toutefois ces études sont obligatoires. Comprenons-nous bien : mettre en place un véritable accompagnement scolaire dans et hors de l’école (avec le secteur associatif) est une excellente chose, mais pas dans n’importe quelles conditions et pas à la place d’une réflexion globale sur les manières d’enseigner à tous, pour tous.

Je travaille actuellement avec des enseignants de mon académie à mettre en place les « programmes personnalisés de réussite éducative », inscrits dans la loi d’orientation et passés dans la réalité si on en croit les discours du ministre... mais pas si on en croit la réalité.
Cette mise en place, même là où les moyens existent, est difficile. Le dispositif censé impliquer les parents et toute l’équipe de professeurs est intéressant, mais il ne peut fonctionner que si on travaille aussi en classe en prenant en compte tous les élèves, en pratiquant une pédagogie différenciée et non différenciatrice, que si on fabrique ensemble des outils que l’élève puisse peu à peu s’approprier (cahier de suivi, engagements vis-à-vis de l’école qui en retour s’engage elle aussi). Tout cela demande des ajustements fins, une intelligence dans l’action, peu compatible avec le rouleau compresseur mis en marche au nom du « bon sens ».

Il serait bon que ceux qui s’opposent aux projets d’école libérale et rétrograde sortent, eux aussi, d’une logique quantitative et des idées simples. Seule une mobilisation collective des acteurs de l’école, au nom d’idéaux que nombre d’entre eux partagent sincèrement, peut permettre la « réussite de tous », à condition de viser des objectifs réalistes, progressifs, en évitant les déclarations à l’emporte-pièce comme « faire qu’en trois ans il n’y ait plus de difficultés en lecture », etc.
Souhaitons qu’il y ait de vrais débats, à l’occasion des élections présidentielles, où on donnerait la parole non à des idéologues et à des inquisiteurs méprisants, mais à des praticiens et des chercheurs qui savent de quoi ils parlent. Souhaitons-le, même si on a des raisons de se montrer d’un optimisme limité

Jean-Michel Zakhartchouk

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2 Messages de forum

  • Bien sûr, vous n’avez pas tort !
    Mais ayant deux enfants, collège en REp, dont un en grande difficulté, moi je le dis sans nuance : la grammaire qu’on leur apprend est une vaste tarte à la crème.
    Elle est prétentieuse, elle est au service de qui cette grammaire là ?
    Comment ons’y retrouve nous, dans cette sémantique hallucinante ?
    J’ai déjà cherché plusieurs mots dans le dico, sans résultat. Je trouve cela écoeurant. Une grammaire d’intello, au service des intellos.
    Pour moi, c’est ça, ce tapis de néologisme qui nous étrangle quand on tente de faire réciter, que dis-je ? , de faire rentrer dans les têtes des concepts auxquels nous ne comprenons rien. Alors une réforme de la grammaire liée à du bon sens ? Moi je suis 100 % pour !

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    • n’hésitez pas à vous méfier du bon sens...

      Le retour de la syllabique, de la grammaire et des 4 opérations en primaire ne vise en rien à une amélioration de l’école. Le retour à la terre, au travail, à la patrie et aux valeurs millénaires de la famille n’a pas conduit à la paix.
      La crémation de millions de juifs n’a pas exterminé le chômage.
      L’opération "restore hope" n’a pas rendu l’espoir aux africains affamés.

      Comme ça, des choses paraissent simples, et en fait, le monde ne l’est pas.
      Comme pour l’enseignement, ce n’est pas en simplifiant qu’on appréhende le mieux la complexité et les enjeux.

      Ce qui faisait fonctionner l’école de grand papa, c’était une sélection sévère qui envoyait au turbin à 14 ans des milliers d’arpettes. Mais les petits boulots de l’époque sont en Chine et en Roumanie désormais.
      On veut revenir aux valeurs simples ? Mais le monde d’autrefois ne reviendra pas, et les petits orientés ne pourront pas retourner au cul des vaches.

      Pour améliorer les résultats de l’école, il faut des moyens sérieux et stables, des objectifs portés par toute une société, une stabilité de la vie des parents.

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