Un rapport sur l’Anru prône l’élargissement de ses compétences à d’autres territoires fragiles et relève une intensification de la ségrégation socio-spatiale

19 février

Remise du rapport « Ensemble, refaire ville » à François Rebsamen le mardi 18 février
Communiqué de presse

Jean-Martin Delorme, président de la section "Habitat, Aménagement et Cohésion sociale" de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Anne-Claire Mialot, directrice générale de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), et Cédric Van Styvendael, maire de Villeurbanne, ont remis à François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, en présence de Valérie Létard, ministre chargée du Logement, et de Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la Ville, le rapport issu de la mission sur le futur de la politique de renouvellement urbain intitulé "Ensemble, refaire ville. Pour un renouvellement urbain résilient des quartiers prioritaires de la politique de la ville".

Cette mission, confiée par le Gouvernement en décembre 2023, avait pour objectif d’« élaborer et de présenter des propositions sur la poursuite de la politique de renouvellement urbain résiliente de demain » en réfléchissant au périmètre d’action pertinent pour la politique de renouvellement urbain sur la base d’un diagnostic territorial intégrant plusieurs dimensions essentielles telles que l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, la résilience des quartiers et la lutte contre la ségrégation sociale et territoriale afin de favoriser la mixité sociale. Il s’agissait également de proposer une organisation de la politique de renouvellement urbain permettant de renforcer le partenariat local avec les collectivités territoriales et les bailleurs.
Au terme de huit déplacements sur le terrain et de 45 auditions menées auprès de représentants de l’État et de ses opérateurs, de collectivités territoriales, de réseaux professionnels, de chercheurs, de collectifs citoyens, d’associations, ainsi que d’anciens ministres et de personnalités qualifiées, la mission préconise de poursuivre une politique de renouvellement urbain résiliente, centrée en priorité sur le quartier prioritaire de la politique de la Ville (QPV) et renforçant la prise en compte des enjeux environnementaux. Le rapport souligne également la nécessité d’une différentiation accrue, avec des stratégies adaptées aux réalités propres à chaque quartier. Il insiste aussi sur la mise en place d’un nouveau pacte financier garantissant un soutien adapté aux ambitions de transformation et de résilience de ces territoires. Enfin, le renouvellement urbain pourrait être utile pour faire face aux enjeux de territoires hors QPV, notamment ceux susceptibles de devenir fragiles sous l’effet du changement climatique.

Lors de la remise de ce rapport, la nécessité de poursuivre une politique de rénovation urbaine en faveur des quartiers prioritaires de la politique de la ville a clairement été exprimée par M. Rebsamen, et il conviendra de définir les modalités concrètes de mise en œuvre dans les prochains mois.
Ce rapport constitue le point de départ d’une réflexion globale devant aboutir à une stratégie d’aménagement du territoire. Il doit être abordé comme une feuille de route pour adapter et renforcer les actions publiques en matière de renouvellement urbain, afin de répondre aux défis sociaux, environnementaux et territoriaux des prochaines décennies.

« La remise de ce rapport marque une étape clé pour l’avenir de notre politique de renouvellement urbain et d’aménagement du territoire. Face aux défis sociaux, économiques et environnementaux qui traversent nos territoires, il est essentiel de bâtir une stratégie ambitieuse et adaptée aux besoins des quartiers prioritaires, mais également des autres territoires fragiles. Ce travail approfondi met en lumière des propositions précieuses pour renforcer la résilience de nos villes, améliorer le cadre de vie des habitants et favoriser la mixité sociale. Je salue l’engagement des auteurs du rapport et de l’ensemble des parties prenantes qui ont contribué à cette réflexion collective. Le Gouvernement sera au rendez-vous pour donner à cette politique les moyens de son ambition et poursuivre, avec tous les acteurs concernés, la transformation de nos quartiers. »

François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation

« Transformer un quartier est éminemment complexe car cela nécessite de mobiliser de nombreux acteurs autour d’une vision commune. En tant qu’élue issue des collectivités j’en connais les défis mais aussi les effets transformateurs pour les territoires, car la rénovation urbaine est née à Valenciennes d’où je viens ! La force de l’ANRU est de créer de vrais partenariats autour de projet fédérateurs : élus, bailleurs, partenaires sociaux, et habitants, nous nous projetons tous ensemble dans un programme commun pour nos quartiers. Dans le cadre de mon ministère, je m’assure de mobiliser toutes les énergies pour la réussite du programme en cours, en soutenant les élus et les bailleurs sociaux dans la concrétisation de leurs projets, qui améliorent le cadre de vie de 3 millions de Français et qui en attendent les effets. Face aux défis devant nous, il faut continuer à imaginer l’avenir des quartiers. C’est ce à quoi nous invite ce rapport dont je salue la qualité car il définit les justes enjeux, pose de fortes ambitions, et formule des propositions pour y répondre. »

Valérie Létard, ministre chargée du Logement

« Ce rapport démontre que les programmes de rénovation urbaine contribuent au changement profond des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il rappelle de fait que beaucoup reste à faire dans les QPV, grâce au programme en cours, mais aussi par l’ambition que j’ai de poursuivre cette dynamique à travers les territoires intégrés l’an dernier dans la nouvelle cartographie de la politique de la ville. La prise en compte des enjeux humains est au cœur de notre action : je compte sur l’ANRU pour avancer en ce sens en étroit partenariat avec les territoires et avec le soutien des élus locaux, tout en renforçant les convergences avec les autres programmes portés par les opérateurs publics. Le Gouvernement poursuivra ses efforts pour accompagner ces transformations nécessaires, en particulier pour les femmes, les jeunes et les habitants des quartiers les plus fragiles. Ministre de la ville, j’agirai pour que chaque quartier puisse être un lieu de vie, d’opportunités et d’émancipation ! »

Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la Ville

« Je suis particulièrement heureux de la remise de ce rapport sur l’avenir de notre politique de renouvellement urbain car il est au cœur de notre volonté de transformer durablement nos territoires et d’améliorer les conditions de vie des Français. La politique de renouvellement urbain est un levier puissant pour répondre aux enjeux actuels et défis de demain pour bâtir des villes plus solidaires, plus résilientes et plus durables. Ce rapport constitue donc une première étape pour construire ensemble cette vision du futur, avec les élus, les partenaires sociaux, tous les acteurs du terrain et, surtout, les habitants. Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui ont contribué à ce travail, et je suis confiant que les propositions formulées dans ce rapport permettront d’orienter efficacement la politique de renouvellement urbain pour les années à venir. »

Patrice Vergriete, président de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU)

Téléchargez le rapport (176 p.)

Extrait de ecologie.gouv.fr du 18.02.25

EXTRAIT pp. 41-45 [sans les notes]

2.1.2 Ségrégation socio-spatiale : l’amplification d’un phénomène à toutes les échelles, un enjeu de cohésion nationale

Les différents visages de la ségrégation socio-spatiale
Comme l’indique le 9ème rapport de la Commission européenne sur la politique de cohésion (2001-
2021) 101 « trente ans après le lancement du marché unique européen et du renforcement de la politique
de cohésion (..) des disparités subsistent [entre régions] » : la ségrégation apparaît comme une
tendance européenne, qui se décline nationalement. Etla commission de souligner l’aggravation de la
situation en France, un pays où les « disparités internes » sont fortes et ont augmenté du fait d’une
« croissance très faible dans les régions en transition », et d’une croissance du PIB/habitant
« particulièrement faible dans les régions les plus pauvres ».
Ainsi, en France, du fait « d’une très longue histoire articulant division spatiale du travail et ségrégation
sociale » 102 les différentes catégories de la population ne se répartissent pas de manière
homogène 103. La ségrégation socio-spatiale, soit l’inégale répartition dans l’espace de différentes
catégories de population 104, concerne désormais l’ensemble du territoire.

[...] Si, à l’échelle nationale, les cadres et des professions intellectuelles se regroupent dans les
métropoles et les pôles les plus attractifs, venant durablement fixer une « géographie des
distinctions sociales » 105 , cette même géographie se retrouve au sein des aires d’attraction des
villes 106, à l’échelle des quartiers 107 :
 La concentration des ménages les plus pauvres dans les quartiers prioritaires de la politique
de la ville cumulant inégalités multiples et dysfonctionnements urbains ;
 La relégation dans des pôles secondaires, en couronne péri-urbaine voire rurale, d’une part
de la population, fragilisée sans être nécessairement pauvre mais occupant les emplois les
moins rémunérés et les moins stables, éloignée des services et dépendante de la voiture.
La cartographie de la concentration des ménages en situation de pauvreté met en effet en évidence
que la pauvreté est concentrée dans les territoires éloignés des services publics et des emplois : les
frontières des départements, loin des préfectures, sont notamment des zones de localisation de la
pauvreté dans tout le grand Sud-Ouest.
Source : ANRU (JDL – FORS – Cf. Géo) – données INSEE, FILOSOFI 2019, 2024

Depuis une vingtaine d’années, si la ségrégation s’intensifie dans la plupart des territoires
urbanisés 108 , avec un phénomène de villes à deux vitesses évoqué ci-avant, ceux-ci sont
inégalement concernés par le phénomène. Ces degrés de ségrégation urbaine variables ne sont pas
liés à la taille ou à la densité de la population des villes et de leur périphérie mais davantage à l’histoire
de leur développement urbain et des politiques publiques mises en œuvre ainsi qu’à une pluralité de
facteurs, adressés à différentes politiques sectorielles (dessertes en transports, offre scolaire, sécurité, localisation des emplois et des équipements, politique du logement…).

[...] Le rééquilibrage, un enjeu de cohésion nationale
Il en découle qu’avec des degrés d’intensité variables, plus les différents quartiers d’un territoire sont inégalement desservis, inégalement équipés, inégalement dotés en offre de logement à bas loyers, inégalement aménagés, inégalement rénovés, inégalement sécurisés, inégalement adaptés aux effets du dérèglement climatique, plus leur occupation sociale se polarise, fragilisant de manière désormais avérée, la cohésion nationale 109.
A l’heure où « les territoires pilotent leur propre destinée, il n’y a plus d’aménagement du territoire en France depuis 40 ans » 110, une politique publique dont la réactivation constitue un enjeu majeur 111.
Un enjeu majeur d’intérêt national dans ses dimensions les plus structurantes et engageant l’ensemble des collectivités locales compétentes, qui appelle la puissance publique à organiser le rééquilibrage des territoires,
otamment par l’accompagnement de leur adaptation, le développement de transports publics structurants 112, l’amélioration du maillage de services publics, le renforcement des solidarités et la garantie de l’équité dans la mobilisation du droit commun.

La politique du logement au service du rééquilibrage territorial
Cette politique nationale de rééquilibrage peut d’ores et déjà s’appuyer sur un corpus législatif efficace, à commencer par l’article 55 de la loi SRU 113 qui vise à rééquilibrer l’offre de logement social et abordable sur l’ensemble du territoire, en organisant la répartition du parc à bas loyer, garante de la mixité sociale et de la solidarité territoriale. Depuis la promulgation de la loi, la mise en œuvre de l’article 55 avait donné lieu à des résultats quantitatifs atteignant voire dépassant les objectifs fixés aux communes déficitaires en logement social 114 . Cette dynamique s’est désormais inversée, à la faveur d’une crise majeure de la production de logement sur l’ensemble du territoire national et plus particulièrement de la production de logement social qui, chaque année depuis 2020, se situe sous le seuil de 100 000 logements sociaux financés.
Les quartiers prioritaires de la politique de la ville au cœur de la lutte contre la ségrégation urbaine En complément de la politique du logement dont un des principaux objectifs est le renforcement de la mixité sociale par le développement d’une offre de logement à bas loyer dans les secteurs où se concentrent les ménages les plus aisés, la politique de la ville se focalise quant à elle sur la géographie de la concentration des ménages les plus pauvres et vise à « réduire les écarts de développement au sein des villes pour restaurer l’égalité républicaine » 115.
En 2024, 5,9 millions de personnes vivent dans plus de 1 500 QPV, situés dans l’Hexagone et l’Outremer 116. Si les QPV sont déterminés, depuis 2014, par un unique critère de revenu, ils concernent néanmoins des tissus urbains de natures très différentes (grands ensembles de logements sociaux et de copropriétés, centres-anciens à dominante d’habitat privé...) et sont situés dans les centres, les banlieues, les périphéries d’aires d’attractions de métropoles mais également de villes moyennes et petites voire de pôles secondaires, notamment du fait de la paupérisation des centres anciens.
Du fait de la méthodologie qui prévaut à leur définition, les QPV excluent, du fait de leur taille ou leur
densité, certains quartiers cumulant des dysfonctionnements sociaux, urbains et environnementaux 117. Cela concerne des centres-bourgs ou tissus pavillonnaires mais également de grands territoires, à l’image du bassin minier qui est marqués par des « problématiques sociales majeures » 118.Au-delà de ces quartiers exclus par « effet de seuil », les QPV documentent la grande diversité des visages des quartiers populaires en 2024.
Différents par leur configuration urbaine, le statut des logements qu’ils accueillent et la diversité des dysfonctionnements urbains qu’ils présentent, les QPV ont toutefois en commun un écart majeur à la moyenne nationale en matière de pauvreté (plus de 55% des enfants y sont en situation de pauvreté, contre 20% sur l’ensemble du territoire), d’emploi (le taux de chômage est 2,5 fois plus élevé en QPV que sur l’ensemble du territoire), d’éducation (46% des lycéens sont en 1ere professionnelle en QPV
contre 28% sur l’ensemble du territoire) 119.
113 La loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) du 13 décembre 2000 qui impose aux communes

En complément, l’analyse de la vague d’émeutes urbaines de l’été 2023 mise en perspective avec celle de 2005, permet de mettre en lumière, outre la représentation plus importante de villes petites et moyennes, un lien clair entre ségrégation urbaine – traduite par la présence d’au moins un QPV – et émeutes urbaines. En effet « à taux équivalent d’immigrés ou de logements sociaux, la probabilité de connaître une émeute est nettement plus élevée dans les villes avec un QPV. À titre d’exemple, pour une ville avec 15% d’immigrés sans QPV, la probabilité de connaître une émeute est de 11%, elle monte à 42% lorsqu’elle en a un. De même, une commune avec 25% de logements sociaux sans QPV a une probabilité de 11% de connaître une émeute contre près du triple (34%) si elle en compte un » 120.
Sources : OBERTI, Marco, GUILLAUME LE GALL, Maela. Les territoires des émeutes, la ségrégation urbaine au cœur des violences, La vie des idées, avril 2024. Base « Émeute 2023 » des auteurs. Données scolaires : MEN-DEPP. Données QPV 2014 : Agence nationale de la cohésion des territoires.
Cette ségrégation urbaine – et ce qu’elle traduit de la spatialisation des inégalités déjà sensibles dans les années 80 – constitue désormais le « meilleur prédicteur de la probabilité d’émeute » 121. Les villes avec un QPV ont en effet « 15 fois plus de chance de connaître une émeute plutôt que de ne pas en connaître par rapport à celles n’en ayant pas » et ces violences seront plus intenses si la ségrégation scolaire est importante 122.
Il y a donc derrière la lutte contre la ségrégation urbaine, un enjeu de cohésion nationale qui justifie la mobilisation générale de la puissance publique à tous ses échelons territoriaux et l’expression de la solidarité nationale pour restaurer partout le droit à la ville et l’égalité républicaine.

 

Voir le mot-clé Rénovation urbaine [Gén.] (gr 5)/

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