Voir à gauche les mots-clés liés à cet article
Enseignement explicite : un autre regard
L’enseignement explicite a le vent en poupe. Il se matérialise par l’invitation d’un chercheur québécois, Steve Bissonnette, à des conférences proposées par plusieurs rectorats, par de nombreux articles sur les sites académiques, des manuels pour l’école primaire, ainsi que par la publication d’une note de synthèse du CSEN en juin 2022. Comment expliquer un tel succès de la méthode ? Un autre chercheur québécois, Stéphane Allaire, professeur en pratiques éducatives à l’université du Québec, apporte son éclairage sur cette mode qui a traversé l’Atlantique.
Comment expliquez-vous l’engouement récent, en France, pour l’enseignement explicite ? Le même phénomène existe-t-il au Québec ?
Ce phénomène existe ici aussi depuis un certain nombre d’années. Il s’est intensifié dans le discours public au cours des deux dernières années, avec l’arrivée de la loi 23 de notre actuel ministre de l’Éducation, Bernard Drainville. Rarement aura-t-on vu un ralliement d’autant de personnes de milieux différents en éducation pour dénoncer la non-pertinence d’une loi. Sans entrer dans les détails, qui ont été commentés dans un livre ouvert auquel j’ai contribué, je mentionnerai que ses orientations de centralisation et de prescription pédagogique ont été largement décriées.
Pour en revenir à l’enseignement explicite, la méthode n’est pas problématique en soi. Rappelons-en le principe. Premièrement, l’enseignant exécute une tâche devant les élèves. Cette tâche doit avoir été au préalable décomposée en unités allant du simple au plus compliqué. Deuxièmement, les élèves exécutent la tâche en étant dirigés par l’enseignant. Troisièmement, les élèves répètent de façon autonome. Par la suite, l’enseignant peut passer à une tâche un peu plus compliquée en respectant les trois mêmes étapes.
L’enseignement explicite existe depuis des décennies et est utilisé, parmi d’autres méthodes, par de nombreux enseignants. D’ailleurs, des collègues ont récemment fait paraitre les résultats d’une vaste enquête menée en sol québécois. On y apprend que l’enseignement explicite est la méthode la plus utilisée par les enseignants. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir nous aussi des enjeux scolaires et de réussite à gérer…
Un problème se pose – et se poserait avec n’importe quelle autre méthode – lorsqu’on prétend que l’enseignement explicite est la principale, sinon la seule méthode efficace pour enseigner. Car, au Québec, c’est bien ainsi que l’enseignement explicite est présenté aux milieux scolaires par un groupuscule de chercheurs : l’enseignement efficace.
On rétorquera qu’il y a des données probantes attestant de l’efficacité de l’enseignement explicite et que la preuve est pratiquement irréfutable, compte tenu des travaux accumulés. Sans le nier, plusieurs autres chercheurs rappellent que d’autres méthodes ont mené à des résultats positifs et qu’il est crucial de connaitre le contexte dans lequel les études sont produites pour comprendre leurs résultats et en dégager des implications pédagogiques pertinentes. Voici un exemple pour illustrer cette importance.
Vous avez peut-être entendu parler de la réforme de l’éducation en cours au Maroc. Il s’agit pour l’essentiel d’implanter l’enseignement explicite. Il y a quelques mois, des économistes états-uniens ont fait paraitre les résultats de la première année d’implantation auprès de plus de 200 écoles dites « pionnières ». Les différences entre les résultats de ces dernières et ceux des écoles qui n’étaient pas soumises à l’enseignement explicite intensif impressionnent au premier coup d’œil.
Cependant, lorsqu’on consulte le rapport de recherche dans son entièreté, on ne retrouve aucune information à propos de ce sur quoi les élèves ont été questionnés. Quels contenus, quels savoirs, quelles compétences ont été sollicités ? On l’ignore ! Les enfants de l’enseignement explicite sont désignés comme étant meilleurs que les autres, mais on ignore pourquoi et pour quoi.
Ce que j’essaie d’expliquer avec cet exemple, c’est que la réflexion et le choix d’une méthode ne peuvent être faits en ignorant les finalités qu’on poursuit comme éducateur. En ingénierie pédagogique, on se réfère à un principe de base nommé l’alignement pédagogique. [...]