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François Jarraud a rencontré Bruno Descroix, auteur de "Demain les profs" (Le Café pédagogique)

20 novembre 2004

Extrait du « Café pédagogique » du 20.11.04 : François Jarraud a rencontré Bruno Descroix

Bruno Descroix : L’immobilisme vient de l’organisation du système,
certainement pas des acteurs eux-mêmes". Professeur de mathématiques, Bruno Descroix vient de publier un ouvrage sur l’Ecole. Son analyse s’appuie sur un trajet professionnel peu ordinaire : il est passé de Louis-le-Grand à un lycée de Seine-Saint-Denis. Parmi les multiples ouvrages sur l’Ecole, Bruno Descroix donne à entendre la voix d’un enseignant de terrain.

FJ - De nombreux livres, écrits par des enseignants, sont déjà parus sur l’Ecole. Souvent ils en proposent une vision catastrophique, celle des "sauvageons" ou prétendent détenir La solution à tous les problèmes. Qu’est ce qui peut pousser un "simple" prof, comme vous, à écrire un énième livre sur ce sujet ? Quelles sont vos motivations ? En quoi votre parole, celle d’un prof, peut-elle faire poids ?

BD - J’espère avoir évité les deux écueils du " tout va mal " et de la solution miracle. Aux lecteurs d’en juger. Mais c’est justement ce sentiment de vivre une expérience d’enseignement insuffisamment représentée dans le débat public, d’assister à un débat souvent tronqué, qui m’a poussé à écrire. Les médias sont friands d’ouvrages catastrophistes qui annoncent la fin de l’école ou portent un regard très dur sur les élèves. Or le milieu scolaire, comme le milieu enseignant, est, pour ce que j’en ai vu, plus riche et plus complexe que ne le laisse penser ces témoignages qui occupent le devant de la scène et semblent avoir convaincu les plus hautes autorités au sein du ministère de l’éducation nationale.

Sur chacun des thèmes abordés dans mon livre (l’autorité, les réformes, la lettre de Luc Ferry, la question du voile et celle de l’école " ascenseur social ") j’ai tenté de raconter ce métier, de confronter les travaux des sociologues ou des spécialistes du système éducatif à ma propre expérience. L’ambition, modeste, a été d’aborder ce débat sur l’école à partir d’un témoignage et de tenter d’en tirer quelques réflexions et propositions.

FJ - Les statistiques établissent que l’Ecole piétine depuis le milieu des années 1990. Par exemple, le pourcentage de reçus au bac stagne voire régresse. Le taux d’exclusion est important. Pourtant vous parlez de "fable de l’immobilisme". Le "mammouth" serait-il "valeureux" et alerte ?

BD - Il est clair que l’institution, qui a su répondre au formidable défi de la massification (de 250 000 bacheliers en 1984, on est passé à 500 000 en 2004), peine aujourd’hui à faire face aux défis posés par les nouveaux publics d’élèves. Il me semble toutefois qu’une énergie immense est dépensée localement, au sein des établissements, pour adapter les méthodes d’enseignement, proposer des réponses cohérentes face aux problèmes de discipline ou utiliser au mieux les dispositifs de soutien scolaire. Mais cette dépense d’énergie, à force de ne pas être relayée, s’effectue trop souvent en vain. L’immobilisme vient de l’organisation du système, certainement pas des acteurs eux-mêmes comme on essaye de nous le faire croire à travers cette histoire de " mammouth ".

FJ - Pensez-vous qu’on puisse réformer l’Ecole ?

BD - Cela me parait une évidence tant l’énergie dépensée au niveau local constitue en elle-même ce que j’ai appelé une réforme en morceaux. Mais peut-être pas à coups de lois. Il est en effet grand temps de tenir compte de ces efforts faits par les équipes. Plutôt que de vouloir imposer des normes depuis le sommet de la pyramide, pourquoi ne pas tenter d’appuyer ce qui se fait déjà ? Aider à la création de partenariats avec les institutions culturelles ou scientifiques, permettre des rencontres entre des équipes enseignantes qui auraient des projets proches, entrer finalement dans une logique de service et d’animation au niveau des établissements.

La proposition de supprimer les travaux personnels encadrés (TPE) en terminale annoncé récemment, sans bilan ni concertation, est à ce titre inquiétante. Certes la mise en place de cette réforme a été difficile, mais chacun n’a-t-il pas été laissé trop seul dans son coin face aux difficultés alors que tout était à inventer, de la façon de " gérer " les groupes d’élèves et l’avancée de leurs travaux aux relations entre collègues de disciplines différentes ? Il est alors plus facile d’abandonner le projet, qui était ambitieux et riche par sa dimension interdisciplinaire, plutôt que de se donner les moyens de le réaliser de manière efficace.

FJ - Au cinéma, dans les discours du ministre, les représentations de l’école se crispent sur le retour de l’autorité et des sanctions. Pensez-vous que celles-ci aient disparu de l’école. D’ailleurs qu’est-ce que l’autorité du professeur ?

BD - C’est le thème à la mode de cette rentrée. Toutefois, plutôt que d’aborder les questions du travail en équipe dans les établissements dits sensibles, du nouveau rôle des chefs d’établissement ou de l’évolution des modes de sanctions (mesure de réparation ou exclusion mais au sein de l’établissement avec du travail), ce sont les punitions collectives ou la nostalgie de l’école des années 1950 qui resurgissent. La confusion entre autoritarisme et autorité est inquiétante.

S’il y a une forme d’autorité à reconstruire, c’est en effet celle qui découlera du respect des élèves pour l’institution. Une école qui soit capable d’offrir des soutiens scolaires à ceux qui en ont besoin, qui sache s’adapter, proposer des heures d’études là où c’est nécessaire ou créer des réseaux d’anciens élèves pour compenser le manque d’information des familles qui, attachées à l’école, en sont aussi parfois éloignées culturellement pour ne pas y avoir suivi d’études. La question de la présence adulte dans les établissements est donc posée, tout comme celle des zones urbaines sensibles dans lesquelles sont de plus en plus concentrés les problèmes sociaux et scolaires. De la volonté politique et des moyens (et oui !) sont nécessaires pour reconstruire cette confiance indispensable.

FJ - Vous défendez l’idée de la discrimination positive. Mais n’est ce pas de façon d’officialiser et donc de maintenir les inégalités ?

BD - Il est simplement temps d’admettre qu’être scolarisé dans tel ou tel établissement peut constituer en soi une inégalité. Cette réflexion est née après avoir vu certains des mes anciens élèves rencontrer des difficultés importantes dans l’enseignement supérieur. Ces jeunes brillants et motivés, qui ont souvent construits seuls leur parcours dans des conditions pas toujours faciles, n’étaient peut-être pas suffisamment préparés à la suite. Et c’est là que ce situe à mon avis la différence. Les ambiances de classes tournées vers la réussite, où règne une certaine émulation, sont plus rares dans les établissements de la périphérie, le niveau moyen n’est souvent pas le même non plus.

On assiste à un véritable gâchis et le taux d’accès des jeunes des milieux populaires aux très grandes écoles (ENA, X, ENS), s’il ne résume pas la montée des inégalités, en donne tout de même une image inquiétante : de 21% dans la première moitié des années 1950, on est passé à 7% au milieu des années1990. Il me semble donc que le mode de recrutement lancé par Sciences-Po, s’il peut avoir quelques défauts, a avant tout l’immense mérite de pouvoir susciter des mobilisations aux seins des établissements bénéficiant d’une " convention éducation prioritaire ".

Il s’agit d’une discrimination positive fondée sur le lieu de résidence, donc de scolarisation, et pas sur l’origine ethnique. Arrêtons là aussi d’inverser les problèmes. La question est avant tout sociale.

Entretien : François Jarraud
Bruno Descroix est l’auteur de "Demain les profs", Bourin éditeur.

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