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Le rapport Armand-Gille (2006) des inspections générales sur les ZEP : un "rapport magistral", par Alain Bourgarel

10 novembre 2006

Le rapport de l’inspection générale sur les ZEP : un rapport magistral

Alain Bourgarel, membre du bureau de l’OZP

Si la contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves n’a pas été celle qui était attendue, cette contribution des Inspections générales à la réflexion sur l’éducation prioritaire est magistrale.

Certes, dans une situation politique générale incertaine, au début d’une campagne électorale où, à gauche, on rivalise de promesses de moyens supplémentaires pour les ZEP et, à droite, on en annonce la suppression pure et simple, et alors que le ministre se fourvoie dans des débats pédagogiques douteux, voire nauséeux... il est facile de mépriser cet épais rapport puisqu’il ne hurle pas aux moyens comme il le faudrait, puisqu’il souligne les défauts des pratiques pédagogiques constatées comme il ne le faudrait pas, puisqu’il préconise l’extinction progressive d’une grande partie des ZEP actuelles, même si les observateurs s’accordent sur leur caractère absurde.

Les rapports des IG se bonifient : après la détestable étude de 1987, dont le ministère n’a jamais publié l’intégralité, ce qui était probablement le mieux à faire, les inspections générales ont abordé à 3 reprises l’éducation prioritaire : en 1992 avec le rapport dirigé par Francine Best qui innovait en analysant de façon qualitative une trentaine de ZEP, zones alors totalement méconnues de ce point de vue.
Puis ce fut en septembre 1997 le fameux rapport « Moisan-Simon » qui, le premier, présentait une analyse complète des 558 ZEP du moment et, surtout, s’appuyant à la fois sur la recherche pédagogique et sur une conception politique affirmée d’égalité réelle, permettait une relance vigoureuse et intelligente du dispositif prioritaire.
Dégageant les « déterminants de la réussite scolaire en ZEP », il a marqué l’éducation prioritaire, notamment en amenant les acteurs de ZEP à se référer aux résultats attendus plutôt qu’aux désespérantes moyennes nationales.

Et voici le rapport de Béatrice Gille, Anne Armand et huit de leurs collègues : c’est une somme considérable dont la liberté de ton, la quantité d’informations et, surtout, la pertinence des analyses conduisent à des propositions hautement intéressantes, même si elles ne rencontreront pas toutes, à l’OZP non plus, un accord total. Ce travail mené pendant 14 mois servira bien au-delà de ce ministère et bien au-delà des territoires prioritaires : l’Education nationale et la politique de la Ville devraient en profiter longtemps.

Quelques observations sur la première partie

Le rapport reprend l’histoire de l’éducation prioritaire. On pourrait, ici ou là, discuter de détails, mais l’essentiel est rapporté de façon réaliste : il ne s’agit pas d’une épopée, mais d’un lourd fardeau pour le service public qui, selon les moments, a voulu agir pour l’égalité ou s’est résigné au fatalisme. Il était bon que cela soit écrit de façon officielle.

Dans cette partie, un effort de clarification a été fait. Nous en relèverons ces lignes à propos de la construction du modèle français :

« Pour répondre aux objectifs qui viennent d’être rappelés d’égalité des chances des élèves, on a jusqu’alors imaginé une forme de discrimination positive collective, ou plutôt d’« action positive », dont le modèle français était le suivant :

« - concentrer des moyens supplémentaires, humains et financiers, dans des territoires définis localement, là où les inégalités socio-économiques sont les plus accusées ;

« - mutualiser ces moyens entre tous les intervenants par le partenariat, en estimant que ces inégalités ne sont pas la seule affaire de l’école ;

« - déconcentrer les décisions de délimitation des zones, de répartition des moyens, d’élaboration des projets d’action, en estimant que ce sont les acteurs de proximité qui sont les mieux à même de savoir ce qui convient ;

« - faire confiance à l’imagination des enseignants, à « la liberté pédagogique » pour concevoir les actions éducatives et pédagogiques les plus appropriées (c’est en somme l’esprit de décentralisation au niveau de la classe), en préservant le même niveau d’exigence scolaire et les mêmes programmes ;

« - trouver un remède à l’évitement induit par ces mesures, en développant des pôles d’excellence.

« En agissant ainsi, on espérait réduire, sinon supprimer les inégalités constatées. Sur le plan scolaire, cela signifie notamment que tous les élèves auraient dès lors la possibilité de suivre l’enseignement tel qu’il est défini par les programmes nationaux. »

Cet effort de pédagogie se retrouve tout au long du rapport : il y a volonté d’explications. Celles-ci seront peut-être parfois rejetées, mais elles sont étayées par des extraits des réponses à l’enquête faite auprès des rectorats.
Ces réponses sont attendues, souvent, surprennent parfois (quand on connaît le décalage entre la réalité académique et les déclarations des responsables locaux) et amusent dans quelques cas. Cependant, globalement, elles donnent des indications sur un dispositif dont on parle sur le plan national alors qu’il s’agit d’une politique académique hétérogène, dès le départ soulignent les auteurs.

La description de la situation actuelle, menée par un fil historique, est d’une étonnante lucidité : la carte des ZEP n’a plus de signification depuis 1999. Cette analyse, la même que celle de l’OZP depuis l’an 2000, n’avait jamais été faite dans un document officiel de la rue de Grenelle. Les commentaires de la presse s’en empareront sans doute, mais on devra ajouter que la réforme de Robien a, pour une part, redonné un sens avec la création des « RAR ».

Pourtant, c’est la situation en ce qui concerne « les moyens » qui est, de loin, la plus développée. Il est fini le temps où l’on se bat sur le chiffrage des moyens attribués aux ZEP, sur leur nature, sur leurs non-dits. Ce que la Cour des Comptes avait commencé, sans convaincre vraiment, en décembre 2004 est ici achevé : tout est passé en revue et la méthode elle-même est mise à la question. On sait maintenant, avec quelles marges d’erreur ou avec quelles données inconnues (surtout la participation locale pour le 1er degré), quels sont les moyens attribués.

Conclusion éclairante de l’analyse des coûts concernant le personnel : « Tous ces systèmes sont totalement déconnectés d’une véritable évaluation des enseignants ».

Conclusion éclairante également pour ce chapitre :
« - En conclusion, le contenu de la politique d’éducation prioritaire s’est peu à peu éloigné du discours d’intention et des objectifs initiaux :

« - la carte est devenue inflationniste et très hétérogène au point de ne plus être considérée comme juste et efficace par les acteurs locaux ;

« - les moyens, importants, n’ont plus, dès lors, été concentrés sur des territoires restreints, mais ont été dispersés sur 15 à 20 % des établissements scolaires, et ont servi plus à afficher des mesures gestionnaires quantitatives (taux d’encadrement et mesures indemnitaires) qu’à résoudre des difficultés repérées.

« Plus fondamentalement, comme bien souvent en France pour d’autres politiques publiques, le contenu de la politique d’éducation prioritaire a privilégié fortement l’organisation et les personnels et non la mission de service public. »

 

A cette lecture, l’OZP se trouve conforté dans ses analyses et positions. Les travaux en cours depuis septembre pour la rédaction d’un « Manifeste pour l’éducation prioritaire », qui sera publié en décembre 2006, en seront facilités.

L’analyse du pilotage qui est menée ensuite est celle où les réponses des rectorats sont les plus curieuses, dira-t-on, sous forme de litote. Les inspecteurs généraux ne les mettent pas en doute. Ils n’en disent pas moins que « sur le terrain, la réalité est très diversifiée. Soit la zone ou le réseau est vivant et actif, grâce en général à la conjonction de volontés individuelles fortes, celles de l’IEN, du principal et du coordonnateur ZEP ou REP, soit elles manquent et le dispositif ne suffit pas à créer cette volonté. »
Cette qualité ou cette absence de pilotage local se retrouve, tout le monde le sait, au niveau académique. De nombreuses académies, depuis 1998, souffrent d’un grave défaut de pilotage que les mesures de Gilles de Robien n’ont fait qu’atténuer ici ou là. Le rapport reste discret sur cette question et sur celle du fonctionnement des CAREP, outils dynamiques ou coquille vide selon les académies et les années.

En revanche, le rapport analyse la mise en œuvre des contrats de réussite qui sont, heureusement, remis à leur place : « plutôt une vague de projets que de contrats. En effet, très peu de place a été donnée à une véritable démarche contractuelle qui aurait débouché sur des engagements précis des parties ». Il aurait donc mieux valu s’abstenir de révoquer les projets de zone, ou alors jouer franchement la contractualisation.

L’évaluation est ensuite abordée. Le rapport, logiquement, s’y attarde longuement et propose ainsi un grand nombre d’informations et une vaste réflexion. Les acteurs de ZEP qui suivent ces questions quotidiennement retiendront sans doute en particulier les indications apportées sur les grilles d’analyse internationales de l’équité des systèmes éducatifs ».
L’OZP, à l’instar du « Café pédagogique », des « Cahiers pédagogiques » et d’autres vecteurs d’informations à destination des enseignants de ZEP, a mis en valeur depuis quelques années ces études qui permettent une réflexion décentrée sur nos pratiques françaises : il est tout à fait heureux que ce rapport - qu’on espère largement lu dans les ZEP - explique et détaille ces analyses.

Les rapporteurs posent alors une série de questions sur les objectifs, l’efficacité, l’efficience et la pertinence de l’éducation prioritaire, une liste à lire intégralement (p. 44). C’est là que le rapport bascule de l’analyse - passionnante - de l’existant à la prise de positions.
Ce texte, en effet, est celui d’auteurs engagés et le ton des rapports de 1992 et 1997 reparaît : les enjeux sont tels qu’il est indispensable de devenir plus efficace. S’entendre sur les objectifs, faire la part du pédagogique et de l’éducatif, faire la part du rôle de l’Education nationale et de celui des partenaires. Voilà le programme de la suite. Les inspecteurs généraux « pédagogiques » prennent la suite des « administratifs ».

Sur la seconde partie

« Un équilibre difficile à trouver entre exigences et adaptation aux publics » : c’est ainsi que débute cette seconde partie et c’est bien là le premier défi que connaissent les enseignants de ZEP, de la maternelle à la terminale.

Cette longue partie du rapport (55 pages) est essentielle car, au bout du compte, à quoi servent les dispositifs les plus élaborés, les formations professionnelles les plus pointues et, même, les volontés et engagements politiques les plus volontaristes, si ce n’est pour aboutir à l’amélioration de cette rencontre entre les élèves et leurs professeurs, entre chaque élève et son groupe de pairs, entre les parents d’élèves et l’institution scolaire ?

Les conditions de vie, certes, pèsent, mais, pour ce qui concerne l’Education nationale, la pédagogie est bien ce par quoi l’école amplifiera et légitimera les inégalités de départ ou bien permettra de les atténuer. L’enjeu est immense car, contrairement aux enfants de milieux ordinaires ou favorisés, la part de l’école dans la reproduction de l’exclusion sociale de génération en génération est ici primordiale.
Or, souligne le rapport (c’est même en gras, méthode rarement utilisée dans ce rapport) « il n’y a pas de fatalité de l’échec ». Le fatalisme, « gangrène des ZEP » est pointé.

« Il y a des spécificités contextuelles qui pèsent sur l’acte pédagogique » souligne le rapport. « Ici, c’est pas pareil » entend-t-on ou « On ne peut comprendre à l’extérieur ce qu’on vit ». Les IG explicitent alors ce sourd ressentiment de salle de profs. : difficultés sociales, répercussion en milieu scolaire, conséquences pédagogiques, répercussion sur les exigences... On pourra ne pas les suivre en tout point mais il y a là un effort de clarification (qui se poursuit tout au long de cette deuxième partie) qu’on appréciera.

Le profil des enseignants de ZEP est étudié : les documents publiés ces dernières années par le ministère nous avaient déjà donné les statistiques. Ici, on y ajoute des conséquences sur les modalités d’accompagnement nécessaires, de formation initiale et continue. Notons l’observation d’une faible prise en compte des spécificités des ZEP par les IEN et les IPR : voilà qui fait plaisir à voir écrit quand le dire soulève habituellement l’indignation.
Les IG auraient pu monter dans la hiérarchie et dénoncer ceux parmi les recteurs qui, de 2000 à 2005 n’ont pas dit un seul mot de l’éducation prioritaire dans leurs discours de rentrée (recensant pourtant, pendant plusieurs heures, tous les aspects de leur politique académique). Si les IEN et IPR se sont désintéressés de l’éducation prioritaire c’est aussi pour cela et si les recteurs, pour la plupart, sont restés silencieux, c’est que les ministres successifs du 6 juin 1998 (« A vous de jouer » leur a dit la ministre, à Rouen, se lavant les mains de cette question) jusqu’à l’été 2005, n’ont plus rien dit et fait dans ce domaine.

Le rapport poursuit alors une large analyse de la situation pédagogique, remettant, de suite, les classes de ZEP à leur place réelle : ni une originalité crainte (provoquant un service public cassé en deux), ni une originalité souhaitée (les ZEP, laboratoires de pédagogie).
Aussi, cette analyse qui relève de graves défaillances ne porte-t-elle pas seulement sur les classes de ZEP mais aussi sans doute sur l’ensemble du système scolaire français. On y voit que les clarifications apportées dans les années 90 par Elisabeth Bautier sur le langage, par Jean-Yves Rochex sur le sens des enjeux scolaires... et bien d’autres ont porté leurs fruits.
La description des manques est acérée. La forme de cette dénonciation permet de mettre en accusation l’ensemble du système et non les enseignants individuellement : la lecture du rapport par ceux-ci devrait donc être apaisée et constructive. Les pratiques pédagogiques doivent évoluer et cela ne sera le résultat que de changements à tous les niveaux.

A noter dans ce chapitre une faille rarement relevée : la densité insuffisante du travail écrit. Dans les ZEP, bien souvent, on est convaincu de l’effort à faire sur le langage et sur la lecture (de 2 à 16 ans) mais peu sur l’écrit. Ici, c’est dit. Les IG auraient pu, dans la foulée, souligner la probable sous exigence en matière de leçons à l’école élémentaire, mais il faudrait, pour l’affirmer de manière globale, en avoir des preuves.

A noter aussi l’absence de prise de position sur la scolarité à deux ans en ZEP : c’est heureux car il est difficile de faire comprendre à quel point, pour des enfants vivant dans la précarité, l’entassement et la pauvreté, à quel point l’école est un pôle fondamental de stabilité et d’éveil, même si les conditions d’accueil ne sont pas satisfaisantes, voire insupportables pour des enfants ordinaires. L’insupportable n’est pas seulement là où on le pense.

Pour l’évaluation, ce qui est dit des ZEP est probablement vrai partout. Là aussi, les conséquences des faiblesses de l’école sont plus importantes en ZEP qu’ailleurs. La solution est donc de leur offrir « le meilleur de l’Education nationale » selon la formule de François-Régis Guillaume.

Des directives sont alors proposées pour une relance pédagogique de l’éducation prioritaire : « Au travail ! » a-t-on envie de dire. Et « tout de suite », vu les enjeux. Ces quatre pages (96 à 100) sont bienvenues et ne manquent pas d’inviter les inspections, elles aussi, à changer leurs pratiques.

Sur la troisième partie

La méthode de travail des IG a sans doute réservé cette question à un groupe - ou à moment - particulier : il apparaît en effet comme un sous rapport inclus dans le rapport général. Ce tour d’horizon est intéressant. Les citations de réponses académiques semblent plus réalistes ici, comme si les rectorats osaient dire toute la vérité dans ce domaine alors que pour le cœur du métier c’était plus difficile.

On notera la clarification faite sur les différents types de partenariat :

- les professionnels de rééducation ;

- les professionnels des arts et des sports qui, dans ces domaines, apportent une compétence complémentaire à celle des enseignants (...)

- les professionnels médico-sociaux qui peuvent intervenir favorablement sur les conditions de vie des enfants ;

- les professionnels de la police et de la justice qui aident à prévenir les conduites de violence ;

- les partenaires associatifs, plus nombreux et plus divers, qui peuvent suppléer au rôle des parents, par exemple dans l’aide aux devoirs ou dans l’ouverture culturelle, ou favoriser les liens entre les parents et l’école, notamment par leur meilleure connaissance des milieux populaires.

Alors que les PPRE et les PRE se développent, de telles typologies sont utiles. Les coordonnateurs de ZEP en savent quelque chose.

Relevons aussi la citation bienvenue ici de Claude Pair : « Le partenariat repose sur trois piliers, la connaissance, la reconnaissance, la rencontre ». Et « ces trois piliers sont solidaires, sans qu’aucun d’eux puisse précéder les autres. Il n’y a pas de connaissance ni de reconnaissance sans rencontre ; mais sans connaissance et sans reconnaissance, une rencontre ne permet aucune écoute réelle et ne conduit donc à aucun résultat. Pour reconnaître il faut connaître ; mais on n’apprend à connaître vraiment que quelqu’un dont on reconnaît la valeur... Ces trois composantes du partenariat sont donc inséparables. » (L’école devant la grande pauvreté, Hachette Éducation, 1998),

Notons enfin cet avertissement : « Beaucoup d’enseignants et de cadres de l’Education nationale redoutent la dispersion qui en résulte et dénoncent le fait que les « activités » proposées aux élèves le soient au détriment des acquisitions fondamentales (voir à ce sujet la partie 2 du rapport). Il ne faudrait pas que ces questions légitimes conduisent les acteurs de l’éducation à se replier sur leur « pré carré » et à refuser d’autres formes utiles de partenariat. »

Il est bon de l’écrire car on a vu déjà par deux fois, en 1990 et en 1998, les IEN et IPR s’emparer de circulaires ministérielles rappelant la nécessité de se centrer sur les apprentissages et en tirer la conclusion que les partenaires devaient être ignorés, voire boutés hors de l’école. La position modérée des IG, en 2006, semble plus juste.

Ajoutons encore un mot : puisque les IG ont relu de nombreux textes dont ils citent opportunément des passages (ainsi du rapport Joutard de 1991), ils auraient pu indiquer l’exigence légale qui s’impose aux équipes éducatives depuis juillet 1998 et qui n’est presque jamais appliquée (elle n’a même pas été reprise dans le Code de l’éducation alors que, renseignement pris, elle aurait dû s’y trouver) : selon l’article 142 de la Loi d’orientation pour la lutte contre les exclusions, les équipes éducatives des écoles, collèges et lycées doivent indiquer dans leur projet d’école ou d’établissement « les moyens par lesquels l’école, le collège ou le lycée entend lutter contre les exclusions ».
L’expérience montre que là où les équipes éducatives ont voulu l’appliquer, des débats passionnants et des actions extrêmement variées ont été entreprises. Dans un rapport aussi large et ouvert, c’était une occasion de faire ce rappel à la loi.

Quelques observations sur la quatrième partie

Alors, que faire ? Après ce tour d’horizon le rapport ne manque pas de propositions et il justifie leur existence car « l’essentiel n’étant pas touché - la qualité du diagnostic externe et interne et l’adaptation des pratiques pédagogiques - l’efficacité et l’efficience » de l’éducation prioritaire ne pouvait « être à la hauteur des moyens octroyés. »

Il faut donc « redéfinir l’objectif d’équité » et le statut de l’éducation prioritaire. Des modifications radicales sont proposées : des « territoires prioritaires, qui devraient être uniquement économiques et sociaux, en cohérence avec les travaux actuels de la géographie prioritaire des contrats urbains de cohésion sociale, et en n’hésitant pas à rendre plus pertinents nos indicateurs de publics les plus défavorisés : codage des PCS, facteurs économiques (taux de chômage), culturels (ségrégation ethniques, handicaps de langage) et sociaux (logement, grande pauvreté), niveaux de violence. »

Une parenthèse dans cette citation : la circulaire du 28 décembre 1981 instituant les ZEP comportait deux pages de critères, celle du 1er février 1990, deux lignes. Sans doute y a-t-il un équilibre à trouver, mais ne retombons pas dans une suite de critères dont la redondance apparaîtra vite. L’existence de l’Observatoire des ZUS sera utile dans l’avenir. Revenons à le citation :

« Les moyens délégués seraient des moyens nationaux qui seraient redéployés au plan national, bien que gérés par les recteurs. Il serait simultanément judicieux de supprimer toutes les autres étiquettes (sensibles, violence ....) ».

Ils poursuivent : « Les autres établissements ou zones (EP2) dès lors, seraient gérés académiquement en différenciant l’enseignement et les moyens, comme cela se fait déjà, compte tenu des caractéristiques des publics prioritaires, sans étiquette « éducation prioritaire ».

La convergence avec les propositions de l’OZP élaborées dès l’extension absurde de la carte des ZEP (1999) et formulées publiquement dès 2000, est frappante. Mais le chemin pour y parvenir, associatif et pour une part impulsif à l’Observatoire, est dans ce rapport étayé par d’amples analyses. De même pour les conditions de mise en œuvre : les IG développent les conséquences et les modalités possibles.

Ce développement sur la nouvelle catégorie « territoire prioritaire » commence par l’évocation de fermetures de collèges ou d’écoles. Ce qui était resté juste annoncé dans le rapport Thélot est ici imaginé dans la pratique. La méthode est solide. Les conditions sont telles qu’à part quelques rares cas on a du mal à identifier, en France métropolitaine tout du moins, quelles écoles et quels collèges seraient concernés. Le rapport va jusqu’à préciser qui paiera : l’ANRU ici a bon dos, mais c’est de bonne guerre et les cas étant si rares, sinon théoriques, que l’agence en question pourrait jouer le jeu.

L’insertion de l’enseignement privé dans la résolution des problèmes de carte scolaire laissera rêveur : le grand service public d’éducation d’Alain Savary ayant réuni contre lui tous les sectarismes sociaux, politiques, religieux et laïcs, on voit mal comment remettre cela aujourd’hui sur le tapis.

La définition des « publics prioritaires » reste à faire. Il n’est pas fait mention de l’existence au ministère de l’Education nationale, entre 1998 et 2003 puis en 2004 et 2005, du groupe de travail sur la grande pauvreté et l’école, animé, pourtant, par des inspecteurs généraux. Il est vrai que ce groupe n’a jamais défini précisément son public mais, pour l’avenir, il pourrait être associé aux travaux souhaités dans le rapport des IG.

Les propositions continuent dans le domaine du pilotage : un suivi national / académique / local est souhaité (ce qui amène le rapport, enfin ! à citer l’existence d’un délégué ministériel) est souhaité. Ce n’est pas dans le sens de l’histoire (l’éducation prioritaire a toujours été décentralisée) et du mouvement de déconcentration qui progresse. Pourtant, les IG l’estiment nécessaire et, plus loin, en prévoient les conséquences sur le fonctionnement budgétaire.
Là, on applaudira : ceux qui ont créé l’OZP avaient réclamé, en 1982, alors qu’on discutait des lois de décentralisation, que les ZEP soient inscrites dans les « Programmes d’intérêts généraux » pour en souligner l’aspect politique et national, sachant que dans toute démocratie les mécanismes de solidarité doivent être éloignés des groupes de pression locaux.
On a vu la suite : l’implantation des prisons, par exemple, fut « d’intérêt général » mais les ZEP furent remises entre les mains des recteurs qui, à de notables exceptions près, n’ont pas brillé par leur courage (surtout en 1999) pour en faire un dispositif efficace.

A noter que dans ce chapitre sur le pilotage l’accent est mis sur la cohérence entre premier et second degrés. Il était nécessaire de l’écrire après la grave erreur qui vient d’être faite en 2006 pour le fonctionnement des RAR. On parle ici d’un « binôme IPR IEN » pour « la réflexion, l’impulsion, le suivi ». Voilà qui est réjouissant au moment où les IEN sont exclus de la réforme en cours (ce qui provoque chez certains un désengagement désastreux).

Le problème du repérage statistique par PCS et celui des données ethniques sont ensuite posés. Cette dernière question évolue ces jours-ci puisque, depuis la rédaction du rapport, la CNIL a engagé une série d’auditions à ce sujet. On sait également que la DEPP travaille à l’affinement des catégories : le « paysage statistique » devrait donc se modifier dans le sens souhaité par les IG dans un avenir proche.
Pour la scolarisation des élèves nouveaux arrivants en France, le rapport, curieusement, n’indique pas l’existence des CASNAV, mais il reprend les catégories utilisés par eux : les enfants non francophones ; les enfants non scolarisés dans leur pays d’origine ; les enfants de la seconde génération d’immigration dont les parents ont connu des difficultés scolaires et n’ont plus une confiance suffisante dans le système éducatif.
Ce dernier membre de phrase laisse songeur (on sait que la confiance en l’école est bien plus grande dans l’immigration qu’ailleurs) mais c’est la mode (constante chez les ministres de Royal à de Robien).

Les quatre pages de propositions concernant les moyens remettent ceux-ci à leur place (ils sont au service du changement des pratiques et il s’agit de voir ce que ça donne). On s’étonne, dès lors, de la prudence sur le sujet des effectifs d’élèves par classe.
Les corrélations de Thomas Piketty, prétendant qu’une diminution de 5 élèves par classe diminuerait l’échec scolaire en ZEP de 40 %, continue d’être cité dans ce rapport comme une base sérieuse. Les questions à Thomas Piketty, sur le site de l’OZP ramènent pourtant cet éventuel progrès à des proportions plus marginales.

Mais, beaucoup plus important, les IG proposent une priorité au premier degré et ils la justifient : « C’est là, en effet, que se creusent les écarts les plus importants, c’est aussi à ce stade que les remèdes sont les plus efficaces. »

Le rapport ne développe pas les incidences pratiques de cette priorité, la question suivante sur les « temps des projets » et les « calendriers de gestion » étant essentiellement traitée pour le second degré.
Mais on y revient, et comment ! par la proposition de création d’EPLE du 1er degré, des « EPPD » établissements publics du premier degré. Ceux-ci existeront-ils un jour ? Les IG l’estiment nécessaire pour toute contractualisation future et, à la fin du rapport, veulent en faire « le centre de gravité des réseaux ambition réussite ».
Curieusement, les commentaires de la presse ne l’ont pas relevé. L’éducation prioritaire serait, dans le cas de cette création, l’avant-garde de cette réforme dont on parle depuis tant d’années sans rien bouger.

Mais ce n’est pas fini ! Le rapport aborde le nœud qui fâche : « Il est proposé d’agir dorénavant prioritairement sur les affectations et les mutations, l’adaptation des services et la formation ». Méthode choisie : le travail avec les partenaires syndicaux sur les territoires prioritaires. Enfin ! L’expérience, en effet, montre que là où l’administration a discuté et négocié en CAPD et CAPA les efforts à faire pour les territoires que chacun voyait dépérir, les organisations syndicales ont pris leurs responsabilités.
Pas toujours, certes, mais souvent et depuis longtemps (avant même la création des ZEP, ce qui a permis leur mise en place de façon « naturelle » là où des pratiques locales de traitement inégal entre les territoires avaient été mises en place).
Pédagogues dans l’analyse des pratiques, nos IG sont aussi pédagogues vis-à-vis de leur ministre et des recteurs. « Analysez l’attractivité » des établissements et écoles, conseillent-ils. Voilà un domaine où les commissaires paritaires sont experts et les fondements des organisations syndicales représentatives étant pour la réussite des élèves défavorisés, on devrait parvenir à des accords.

Puisqu’on aborde ce qui fait mal, le rapport va jusqu’au bout : le service des enseignants. « Le travail de projet nécessite de dégager de véritables marges de manœuvre dans l’organisation pédagogique. C’est pourquoi, dans les territoires prioritaires, il paraît raisonnable d’accepter, au vu de projets collectifs évaluables, et sur contrat, comme cela se fait déjà, des adaptations expérimentales dans l’organisation des services des enseignants. »
Raisonnable, en effet, et bien délimité : que va faire le ministre de cette proposition ? Sans doute l’actuel ministre n’est-il plus en mesure de donner suite en raison des échéances politiques et des pièges pédagogiques dans lesquels il s’est enfermé. Mais son successeur trouvera opportunément ce rapport sur son bureau en mai prochain. Le « coup » de Catherine Moisan et Jacky Simon, en 1997, se renouvelle.

Aurons-nous un CEP ? C’est-à-dire un Comité de l’éducation prioritaire. Les IG souhaitent sa création et en détaillent la composition (p.132). Peu importe le sigle, mais l’installation de ce CEP serait le signe d’un tournant majeur de l’éducation prioritaire qui aurait ainsi un pilotage national.

Les deux pages de conclusion qui terminent ce texte montrent des inspecteurs généraux convaincus de l’importance de l’éducation prioritaire et de sa nécessaire réforme. Les auteurs se sont engagés : sur un tel sujet il eut été plus aisé d’en rester à des considérations générales et consensuelles. Remercions-les.

Ce rapport doit être lu entièrement : ces quelques observations ne sont qu’anecdotes sans importance devant la somme ici présentée.

Puissent les décideurs s’en emparer !

Mais, quoiqu’il en soit, puissent les enseignants de ZEP, les coordonnateurs, les équipes éducatives, l’administration locale, académique et nationale en tirer dès aujourd’hui le meilleur. Les élèves de ZEP doivent mieux tirer profit de l’école, il y a urgence, et ce rapport permet d’avancer.

Alain Bourgarel

Voir le texte complet du rapport de l’IGEN

Voir une synthèse du rapport présentée par ses deux principaux auteurs

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1 Message

  • Une réaction rapide quant à un commentaire déplacé ( "un rapport magistral" 2e partie).
    .....A noter dans ce chapitre une faille rarement relevée : la densité insuffisante du travail écrit. Dans les ZEP, bien souvent, on est convaincu de l’effort à faire sur le langage et sur la lecture (de 2 à 16 ans) mais peu sur l’écrit. Ici, c’est dit. Les IG auraient pu, dans la foulée, souligner la probable sous exigence en matière de leçons à l’école élémentaire, mais il faudrait, pour l’affirmer de manière globale, en avoir des preuves.....
    De quelles leçons parlez-vous ?
    De celles qui , même proscrites depuis des décénies, creusent encore les inégalités ?
    Pensez-vous sincèrement, après la lecture des programmes de 2002, qu’un élève doit apprendre des leçons pour réussir ?
    La démarche inductive nécessaire à l’ORL, la construction du savoir ne serait-ce que dans le plan de rénovation des sciences, la recherche systématique de sens donné aux apprentissages, la méta-cognition enfin suggérée officiellement...tout cela ne s’accomode guère de leçons à apprendre !!!
    Ou alors, pour mardi vous m’apprendrez l’accord du participe passé avec l’auxiliaire etc etc...et à vous la réussite.Il n’y aura plus de sous-exigence en matière de leçons.On pourrait même commencer les leçons plus tôt en ZEP qu’ailleurs...
    La densité insuffisante du travail écrit est réelle.Mais la lecture détaillée et approfondie des programmes nationaux et des documents d’accompagnement reste une étape nécessaire pour tous, étape souvent bâclée...
    La plupart du temps l’enseignant reproduit le modèle scolaire qu’il a connu en tant qu’élève.En secteur d’éducation prioritaire, encore plus qu’ailleurs, l’effort pour s’en écarter doit être réel, et encouragé.
    Tanguy Saler
    Directeur/coordonateur REP Cluses-Scionzier 1er degré

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