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Faïza Guène, de la ZEP de Pantin à celle de Dijon, auteur à succès

3 novembre 2006

Extrait de « L’Express » du 03.11.06 : La banlieue a du style

Le phénomène Faïza Guène, la beurette qui a conquis l’Amérique, gagne l’ensemble de l’édition. Où l’on guette ces talents qui font « kiffer » les lecteurs et offrent leurs lettres de noblesse à la cité.

Une virée à San Francisco, Boston et New York... depuis une semaine, Faïza Guène, plus familière des HLM de Pantin que des gratte-ciel yankees, vit un rêve de ouf. Elle, une beurette de 21 ans, priée de donner, dans plusieurs universités américaines, un cycle de conférences sur le langage contemporain ? Même quand on est l’auteur d’un best-seller (Kiffe Kiffe demain, vendu à plus de 200 000 exemplaires), qu’on est surnommée la Sagan des cités et invitée sur tous les plateaux de télévision, il y a de quoi kiffer ! Le phénomène, surtout, émoustille les éditeurs : de Flammarion à Gallimard, tous convoitent désormais les talents émergents made in banlieue, le nouvel eldorado littéraire.

« Aux Etats-Unis, je suis reçue comme un auteur à part entière, se réjouit Faïza. Je vais enfin pouvoir raconter l’histoire identitaire du langage de banlieue, inventé pour ne pas être compris des autorités, flics, parents et adultes en général. » Impossible, désormais, de réduire ce jargon de la rue, mélange de gitan, d’arabe et d’argot parisien des années 1920, à une fantaisie linguistique. Car Faïza n’est plus la seule à donner de la voix. Dans la brèche gouailleuse qu’elle ouvrit il y a deux ans s’engouffrent aujourd’hui de nombreux romanciers d’origine nord-africaine, âgés de 20 à 30 ans. « La première génération d’immigrés ne parlait pas bien français, mais la deuxième, née sur notre sol, arrive en âge d’écrire, explique Isabelle Séguin, patronne d’Hachette Littératures. Il est donc normal de voir des Blacks et des beurs s’exprimer. »

Délinquance, harcèlement policier, sexualité taboue, nostalgie du bled... les thèmes ne sont pas récents. En revanche, la façon d’en parler a changé. Les auteurs venus des quartiers parlent parfaitement le français, mais sont aussi diplômés et ne portent pas forcément leur jeunesse passée à l’ombre des barres d’immeubles amiantées en bandoulière vestimentaire. « Quand je débarque à Paris, je me sens plus péquenaude provinciale que beurette ! » insiste Houda Rouane. Cette Franco-Marocaine de 29 ans, passionnée par Steinbeck, Hemingway et Céline, titulaire d’une maîtrise d’anglais, est devenue pionne dans une ZEP de Bourgogne « pour [se] mettre en danger socialement ». Son double de papier, Norah la « bourguignoule », chronique la vie des pieds-blancs avec une verve drolatique et n’épargne personne, ni profs ni élèves, ni « darons » (parents) ni conseillers d’orientation (« Un conseil, t’es pas obligé de le suivre quand tu penses à quelque chose de plus ronronnant pour ta gueule »). Elle parle d’amour aussi.

On retrouve le même sens de la dérision, le même optimisme chez Mabrouk Rachedi, « ressortissant » trentenaire d’une cité de l’Essonne, ancien analyste financier, qui signe l’épopée tragi-comique de Lounès, jeune beur pris pour un terroriste. « Une fois, une voiture brûlée est restée dix jours au milieu de la route avant d’être enlevée. J’ai voulu montrer cet aspect absurde de la banlieue, où les talents sont gâchés mais s’agrègent parfois pour le meilleur. » Dans un premier temps, cette histoire virant à l’insurrection populaire n’avait pas convaincu Karina Hocine, éditrice chez Lattès : « Ce climat de haine me semblait relever d’une problématique des années 1990. Or, quand on publie un auteur de la banlieue, on attend de lui une vision sociétale, donc d’actualité. » C’était en novembre 2005. Trois semaines plus tard, les premières émeutes éclataient. Aussitôt, Karina Hocine rappela Mabrouk pour s’excuser... et le signer !

Peu après, de nombreux auteurs prirent la plume à leur tour pour défendre leur bout de bitume, exprimer leur mal-être et leurs espoirs. « Depuis les émeutes, près d’un texte sur cinq que je reçois est l’œuvre d’un jeune de banlieue », constate Jean-Marc Roberts, directeur de Stock. Cette année, il en a publié deux aux titres éloquents : Désintégration, d’Ahmed Djouder, et Cités à comparaître, un « roman politique » de Karim Amellal, dont le héros, petit caïd toxicomane entraîné dans le grand banditisme, a « la racaille dans les veines, le poison dans la chair et de la merde partout ailleurs ». Du vécu ? Pas vraiment. Karim, 28 ans, fils d’une mère française et d’un énarque algérien exilé en 1989, en avait 12 quand il découvrit le bitume de Gonesse. « Mon père, haut fonctionnaire, devint gérant d’un bar PMU. Moi, je ne comprenais pas le verlan. Comme j’étais rebeu et bon élève, les caïds me protégeaient. Mais je suis une exception, explique cet ancien élève de Sciences po et de l’ESCP. En vérité, bien fort et bien malin celui qui peut s’en sortir dans des conditions pareilles. »

Au téléphone, ses intonations pointues contrastent avec la violence rugueuse de sa prose. « On ne peut pas écrire sur ces quartiers autrement que dans la langue parlée par leurs habitants », juge-t-il. Faïza Guène approuve : « Il faut les rendre fiers de cette langue. Ils sont déjà complexés en la parlant, alors l’écrire... » En revanche, ils la lisent. A défaut d’acheter ses livres (sauf en poche), les fans de Faïza s’arrachent les exemplaires mis à disposition dans les CDI et les bibliothèques des quartiers. Trop de la balle...

Anne Berthod

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