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Séminaire Maternelle de l’OZP le 25 mai 2024.
« Les conditions de réussite de la scolarisation des enfants de moins de trois ans »
Blandine Tissier
Ci-dessous : le texte en version html du commentaire par Blandine Teissier de son diaporama, avec un ajout de Viviane Bouysse, l’animatrice du Séminaire
En bas de cette page :
– le diaporama projeté en séance (8 diapos) ;
– le commentaire de Blandine Teissier en version Word, à la mise en page plus élaborée avec certains éléments en gras ;
– un document "Projet individuel d’accueil"
Diapo 1
En tant qu’IEN mission maternelle dans l’académie de Versailles, j’ai eu à accompagner la scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Nous avons observé les enfants qui étaient dans ces classes, effectué un suivi de cohortes jusqu’au CP, réalisé des entretiens avec des parents, observé et accompagné les enseignants en charge de ces classes. Ce sont sur tous ces éléments recueillis que je m’appuie aujourd’hui pour vous faire part de ce que nous considérons comme des conditions de réussite de cette scolarisation.
J’entends par « les conditions de réussite », « les conditions qui favorisent le développement de la socialisation et du langage afin que ces enfants aient toutes les chances de réussir les apprentissages du cycle 1.
Diapo 2
Un petit rappel de l’histoire récente de cette scolarisation.
Dans le cadre de la refondation de l’école, en 2012, le ministre de l’Éducation nationale décide de relancer cette scolarisation. La circulaire publiée en définit les principes. Il s’agit de scolariser les enfants éloignés de la culture scolaire pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques. Cette scolarisation précoce est principalement développée dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.
Depuis, cette scolarisation n’a pas été remise en question. En juin dernier, le président Emmanuel Macron a d’ailleurs pris la parole pour confirmer la volonté du gouvernement d’élargir encore cette scolarisation. Nous avons confirmation que certains départements ouvriront à la rentrée 2024 de nouvelles classes.
Cette scolarisation n’est pas concernée par la loi de 2019 relative à l’abaissement de l’instruction obligatoire à 3 ans (puisque l’obligation scolaire est effective à la rentrée qui suit la date d’anniversaire de 3 ans des enfants.) Ce qui offre toute la souplesse nécessaire pour la mise en place d’un projet de scolarisation adapté à chaque enfant en termes de période d’adaptation à l’école et de temps quotidien de scolarisation.
La relance de cette scolarisation en 2012 nous a amenés à revisiter les organisations et les pratiques des classes existantes pour qu’elles offrent comme les nouvelles créations des conditions qui répondent aux besoins spécifiques de ces jeunes enfants et aux objectifs assignés à cette scolarisation.
Un groupe de travail national a été constitué en 2012. Copiloté par la DGESCO et l’IGEN représentée à cette période par Viviane Bouysse, il a élaboré des ressources d’accompagnement qui sont toujours d’actualité et en ligne dans l’espace ressources d’accompagnement du cycle 1 sur le site Eduscol.
Enfin dans chaque département, des formations spécifiques destinées aux enseignants, ont été mises en place avec parfois des modules de formation conjointe enseignants-ATSEM.
Diapo 3
On peut regrouper les conditions de réussite de cette solarisation en cinq points.
• Une satisfaction des besoins des jeunes enfants
• Un aménagement bien pensé
• Une rentrée réussie
• Un projet de classe centré sur le développement du langage oral
• Un projet multi-partenarial de qualité
L’ordre est arbitraire car il n’y a pas de conditions qui seraient prioritaires par rapport aux autres. Elles sont toutes aussi essentielles les unes que les autres.
Diapo 4 : une satisfaction des besoins des jeunes enfants
Les enfants de moins de trois ans ont des besoins spécifiques qu’il faut connaitre pour les prendre en compte. On a la chance que les recherches sur leur développement soient aujourd’hui bien diffusées (sous la forme d’ouvrages, d’entretiens ou de conférences) et donc facilement accessibles pour tous les éducateurs, qu’ils soient parents, enseignants, personnels de la petite enfance.
Vous trouverez ici quatre personnalités (trois chercheuses ou ex-chercheuses au CNRS et une pédiatre), toutes les 4 auteures, qui éclairent de manière différente les besoins de ces jeunes enfants.
Sylvie Chokron, toujours en activité (cf. podcasts « Notice de Toudou » de quelques minutes sur le site France inter), offre comme Josette Serre, des éléments de compréhension de l’enfant dans tous ses aspects du développement en lien avec les neurosciences.
Les recherches d’Anne Marie Fontaine sont centrées principalement sur le jeu, l’aménagement de l’espace et l’observation des enfants.
Catherine Gueguen, pédiatre, est la seule personne, à ma connaissance, qui a répertorié et diffusé sous forme d’ouvrages les recherches internationales sur l’impact des émotions sur le cerveau du jeune enfant.
Diapo 5 : un aménagement de la classe bien pensé
Souvent la première chose à laquelle pense un enseignant lorsqu’il prépare l’accueil de ses élèves à la rentrée, c’est l’aménagement de la classe.
Nous nous sommes appuyés sur les travaux de recherche d’Anne Marie Fontaine portant sur l’aménagement dans les structures de petite enfance pour penser l’aménagement des classes. Nous avons pu y observer les mêmes effets positifs.
Les jeunes enfants ont besoin, pour être rassurés, de voir où qu’ils soient dans la classe, un des adultes référents. Anne-Marie Fontaine parle de « phare ». La hauteur des meubles (s’ils sont utilisés pour constituer des petits espaces) doit permettre de maintenir le contact visuel permanent entre les adultes référents et les enfants.
Les recherches ont aussi montré que pour favoriser les interactions positives entre les enfants et l’imitation (modalité d’apprentissage première des jeunes enfants), les enfants doivent avoir à disposition des jouets identiques en plusieurs exemplaires (objets de la même nature, même taille, même couleur...) et des objets moteurs où l’on peut être à plusieurs, comme des balancelles, des porteurs...
Proposer aux enfants du matériel combinable va leur permettre d’inventer à plusieurs une multitude de combinaisons de jeu et de maintenir leur intérêt. Exemple : petites briques en bois ou plastique, animaux, véhicules de transport.
Les jeunes enfants ont un besoin de mouvement important qu’ils doivent pouvoir satisfaire. Il est donc nécessaire qu’ils disposent dans la classe d’un espace moteur et d’objets roulants comme des poussettes, des chariots...
L’acquisition de la propreté (rappel : ce n’est pas un critère d’admission à l’école) nécessite d’avoir un espace de change adapté à ces jeunes enfants. S’ils peuvent être changés debout la plupart du temps en raison de leur âge, il est néanmoins nécessaire d’avoir un espace aménagé de change à proximité et qui permet de préserver l’intimité de l’enfant.
Nous savons que les apprentissages à l’extérieur de la classe permettent d’ancrer un langage spécifique en référence. notamment au monde du vivant, de la matière. Partout où c’est possible, aménager un espace extérieur (qu’on appelle communément un jardin ) va permettre d’ancrer ce langage spécifique ; Cela va aussi donner l’occasion à l’enfant de faire des nouvelles conquêtes motrices (comme par ex monter et descendre d’une butte de terre, transporter des matériaux végétaux dans un brouette...).
Diapo 6 : Une rentrée réussie
Une fois l’aménagement de la classe bien pensé, l’enseignant va se préparer à accueillir ces jeunes enfants, qui vivent souvent une première séparation avec leurs parents. Ils découvrent également un nouvel espace, font connaissance avec des nouvelles personnes et vivent un rythme nouveau. Tout cela nécessite la mise en place d’un véritable projet d’accueil pour permettre d’accompagner cette première séparation.
Dans un premier temps, les parents avec l’enfant sont accueillis en juin par la directrice ou le directeur qui procède à un entretien ayant comme objectif de connaitre au mieux l’enfant et d’établir avec les parents un projet de scolarisation. Ce projet définit précisément les modalités de la période d’adaptation et de suivi avec les parents de cette adaptation. Ce projet a valeur de contrat entre l’école et les parents. Il peut être revu ensemble si nécessaire durant la période d’adaptation pour mieux répondre aux besoins de l’enfant. La mise en place de ce projet est essentielle car c’est la garantie d’offrir des conditions de scolarisation sécurisantes pour tous les enfants.
En juin, après cet entretien, les parents et l’enfant sont invités à découvrir la classe et l’équipe qui l’accueilleront (enseignant, ATSEM, autres personnels de la petite enfance). On peut donner à l’enfant un livret d’accueil qu’il pourra regarder avec ses parents durant l’été pour l’aider à se projeter.
En septembre, les enfants sont accueillis selon les modalités qui ont été définies dans le projet de scolarisation qui peut être ajusté, en fonction des besoins de l’enfant. Il repose sur trois principes : une période de 15 jours d’adaptation, un temps de présence dégressif d’un des parents en classe et un temps de présence progressif de l’enfant.
Un exemple de projet de scolarisation est donné sur le site (voir le "projet individuel d’accueil" en pièce jointe en bas de cette page)
Diapo 7 : un projet de classe centré sur le développement du langage oral
Tout le travail de l’enseignant en charge d’une classe de moins de trois ans au quotidien est de penser, lorsqu’il prépare sa classe et qu’il est avec les enfants, au développement du langage. C’est la priorité d’apprentissage. Il s’agit donc pour lui de concevoir des situations riches dans tous les domaines qu’il va faire vivre aux enfants et sur lesquelles il va ancrer du langage.
Pour conduire les enfants à parler en langue française (des enfants peuvent avoir des acquis dans leur langue maternelle autre que le français), tous les adultes présents sont à mobiliser afin que les interactions langagières avec chaque enfant soient multipliées. L’enfant apprendra plus vite à parler s’il bénéficie d’interactions individuelles nombreuses avec un adulte tuteur de langage, qui met des mots précis sur l’action que fait l’enfant, un autre enfant ou l’adulte lui-même.
Viviane Bouysse, IGEN, dirait : « Quand on entre à n’importe quel moment dans une classe de moins de trois ans, on doit voir l’enseignant parler avec un enfant ». Et il s’agit de parler avec l’enfant et non à l’enfant. On converse avec lui.
Toutes les situations de vie quotidienne sont étayées par le langage (l’habillage, le déshabillage, le lavage des mains, l’accueil le matin...)
Mais cela ne suffit pas. L’enseignant doit concevoir des séquences d’apprentissage du langage prenant appui sur des scénarios sur lesquels il va ancrer le lexique, la syntaxe et qui s’inscrivent dans une situation de communication. Exemple : on met le couvert pour les poupées ; on fait la toilette des poupées ; on couche les poupées ; on habille la mascotte pour sortir dehors ; on prépare la valise de la mascotte qui part chaque soir dormir chez un enfant ; on fait de la cuisine ; on entretient les plantations ; on s’occupe des élevages ; on vide le bac à eau de la classe dans le lavabo ; on fait de la peinture...
On multiplie les moments culturels avec un ou plusieurs enfants : l’enseignant raconte une histoire, lit un album, dit une comptine, chante une chanson... Choisir des albums en lien avec les scénarios (les albums de Tchoupi, Petit Ours brun... sont tout à fait adaptés) va permettre à l’enfant de passer du langage oral au langage écrit. Des histoires plus complexes, extraites d’un album, peuvent être racontées en utilisant des objets comme aide à la compréhension.
On sait que les enfants issus des classes populaires entendent moins parler de nombres et des émotions que les enfants issus de familles socialement plus favorisées. Il convient donc de saisir toutes les occasions pour parler le nombre et les émotions simples (la peur, la tristesse, la colère) et introduire ce langage dans les séquences d’apprentissage.
L’observation de la pratique des enseignants en classe de moins de trois ans nous a montré que la pierre d’achoppement pour développer le langage de chaque enfant scolarisé se situe au niveau de la préparation de tous ces moments langagiers. On a pu constater que lorsque l’enseignant a bien pensé le scénario langagier en termes de syntaxe et lexique et qu’il le connait très bien, il peut ensuite s’adapter au mieux au niveau langagier de l’enfant tout en maintenant le cap de son objectif langagier.
Diapo 8 : un projet multi-partenarial
Je terminerai par une dernière condition de réussite qui, dans le temps, s’installe en premier.
La réussite de la scolarisation de ces jeunes enfants dépend fortement de la qualité du projet multi-partenarial piloté par l’EN qui est garant de toutes les conditions. Le premier engagement de l’EN est la limitation des effectifs, similaires à ceux des structures de la petite enfance accueillant des enfants du même âge.
Il va de soi que le partenariat avec la mairie, la CAF parfois (notamment pour les classes passerelles), la PMI ... est indispensable pour identifier et convaincre les familles éloignées de la culture scolaire pour des raisons linguistiques, culturelles, sociales, qui seraient susceptibles de pouvoir faire bénéficier à leurs enfants de cette scolarisation.
Collaborer avec la collectivité permet de pouvoir voir ensemble comment associer à la classe une ATSEM qui dispose des qualités nécessaires pour répondre aux besoins de ces jeunes enfants et aux objectifs assignés à cette classe notamment en termes de langage. La collectivité accueille souvent favorablement les propositions de formation PE/ATSEM proposé par l’EN (avec ou sans le CNFPT)
Une scolarisation réussie passe également par une collaboration étroite avec les parents. On les invite à venir en classe, on propose des temps d’échanges, selon un programme défini. L’objectif est de leur donner confiance dans l’école et de favoriser la co-éducation (à la propreté et au développement du langage, même en langue maternelle).
Enfin, je voudrais partager avec vous ce que les enseignants en charge des classes de moins de trois ans que j’ai rencontrés récemment expriment. Ils voient disparaitre avec regrets le partage des pratiques et les formations spécifiques avec des collègues du même niveau. Or, c’était un véritable levier d’amélioration de leur pratique notamment en raison des besoins spécifiques des jeunes enfants qu’ils accueillent et des objectifs de cette scolarisation.
Il est parfois nécessaire d’œuvrer pour réhabiliter ce réseau d’enseignants de classes de moins de trois ans au même titre que d’autres conditions. Si vous êtes concernés parce qu’en charge d’une classe d’enfants de moins de trois ans, n’hésitez pas à solliciter un entretien avec l’équipe de circonscription ou l’IEN mission maternelle pour faire un point sur ces conditions de réussite de cette scolarisation et faire part, à qui de droit, de vos besoins.
Si pour l’EN (et donc l’IEN) une priorité en chasse souvent une autre, vous restez la personne qui a toute la légitimité pour être le garant de la réussite de cette scolarisation. Car cette scolarisation est clairement un levier de réduction des inégalités scolaires si les conditions de réussite sont satisfaites.
Bon courage à vous.
*****
AJOUT DE VIVIANE BOUYSSE
Je remercie vivement Blandine Tissier d’avoir précisément réactivé ce que fut la mise en œuvre d’une politique ambitieuse de scolarisation des très jeunes enfants à laquelle elle avait collaboré avec beaucoup de talent et de conviction.
Faut-il rappeler qu’en 2012 l’école maternelle était ouverte de droit depuis sa création en 1881 aux enfants de 2 à 6 ans mais que des priorités liées essentiellement aux effectifs avaient fait de l’accueil des plus jeunes une variable d’ajustement ? La décision ministérielle de 2012 introduisait une rupture, en formalisant un cahier des charges exigeant, en donnant plus aux enfants qui ont moins… moins des ressources de toute nature qui favorisent le développement du langage, des liens avec la culture écrite, des relations avec d’autres enfants du même âge, dans un contexte où prévaut la langue française et où on pense au bien-être des plus petits.
Certes, accueillir des enfants de moins de trois ans dans une classe de petite section « ordinaire » est mieux que de les laisser hors de l’école, mais quels enfants désigner alors comme prioritaires quand les places sont comptées, et pour quel projet ?
Des classes à objectifs et moyens pensés au plus juste des besoins d’enfants qui n’auront que l’école pour activer et épanouir toutes leurs potentialités face aux exigences d’un cursus scolaire aujourd’hui plus exigeant que jamais restent la meilleure solution. Les créer là où c’est nécessaire, les faire vivre avec des personnels formés et dans des conditions matérielles adaptées, des professionnel(le)s sauront le faire si une décision claire prolonge les promesses politiques.
Les moins de 3 ans sur le site OZP
voir les deux sous-rubriques :
Maternelle MOINS DE 3 ANS
Maternelle. Pédag. Moins de 3 ans (Actions locales)