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« Il est faux de laisser croire que les inégalités territoriales s’accroissent de plus en plus depuis quarante ans »
TRIBUNE
Aurélien Delpirou
géographe, maître de conférences à l’Ecole d’urbanisme de Paris
Martin Vanier
géographe, professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris
Les géographes Aurélien Delpirou et Martin Vanier réfutent, dans une tribune au « Monde », les arguments d’une chronique de Thomas Piketty sur les inégalités entre les communes françaises.
Comme on pouvait s’y attendre, la flambée de violences en réaction à la mort tragique du jeune Nahel a donné lieu à de nouvelles expressions médiatiques d’une thèse bien connue : la France serait coupée en deux, entre centres métropolitains et périphéries (urbaines et/ou rurales, au gré de l’actualité du moment), cette « fracture spatiale » s’aggravant depuis les années 1980, en raison notamment d’une action publique impuissante.
L’instrumentalisation de supposés clivages territoriaux à des fins politiques est devenue une véritable spécialité nationale, à droite comme à gauche, au gré de la parution d’essais pourtant largement contredits par les sciences sociales. Il faut redire inlassablement combien cette approche repose sur des bases empiriques fragiles, sinon erronées, et combien elle est délétère pour le débat public.
En premier lieu, il est faux de laisser croire que les inégalités territoriales s’accroissent de plus en plus depuis quarante ans. Dans une chronique parue le 8 juillet dans Le Monde, l’économiste Thomas Piketty mobilise trois indicateurs à l’appui de cette affirmation : le produit intérieur brut (PIB) par habitant à l’échelle des départements ; la valeur immobilière moyenne des logements mis sur le marché à l’échelle des communes ; le revenu moyen des habitants par commune.
[...] Les « territoires défavorisés » ne sont pas une catégorie homogène
[...] Dans certains départements, comme la Seine-Saint-Denis ou le Nord, les inégalités sont divisées par deux lorsque l’on passe du revenu fiscal au revenu disponible. On peut juger que cet effort n’est pas suffisant, on doit être vigilant quant à sa pérennité. Mais, pour montrer que ces circulations ne compteraient pour rien face aux politiques « néolibérales » ou qu’elles ne sont qu’un vaste mécanisme paradoxal d’accentuation des inégalités, il faudra beaucoup plus qu’une lecture superficielle des finances publiques locales et de leur supposée congruence avec les revenus des ménages.