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Les IPS, et après ? : une tribune de Pierre Anselmo [ou comment tricher avec l’IPS ?] (ToutEduc)

18 avril 2023

Les IPS, et après ? (une tribune de Pierre Anselmo)

Pierre Anselmo, chef d’établissement honoraire, nous fait parvenir cette réaction à la publication des IPS de chaque établissement, que nous publions bien volontiers. Selon la formule consacrée, le point de vue qui y est exprimé n’engage que son auteur.

La publication, sur injonction de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), des indices de position sociale (IPS) moyens des établissements secondaires a relancé la polémique sur la ségrégation urbaine voire sur le dualisme scolaire. Peut-on, pour autant, parler de révélations ? Les IPS sont venus remplacer la précédente classification sociale des établissements basée sur les professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) crées par l’INSEE en 1982 et regroupées, par l’Education nationale, en quatre catégories : Famille défavorisée, famille moyenne, famille favorisée et famille très favorisée, au plan scolaire, et qu’elle utilisait déjà pour moduler, à la marge, l’allocation de moyens dans le secondaire ou le classement en éducation prioritaire.

Basés sur des suivis de cohortes scolaires, on aurait pu les appeler "Indice Prévisionnel de Succès" ou encore "Indicateur de Probabilité Scolaire" car bâtis à partir de suivis de cohortes d’élèves, il tente de déterminer le niveau de maîtrise, par les familles, des rouages du système éducatif à partir des seules professions et catégories sociales (PCS) des deux parents. S’il n’y a pas de raison objective de remettre en cause cet indicateur dans le cadre de cette tribune "grand public", on peut néanmoins s’interroger, notamment, sur la non prise en compte des situations de familles monoparentales où la PCS du parent absent, si elle est connue, ne joue que très marginalement sur l’accompagnement de la scolarité de l’élève au quotidien par sa famille.

De même, la lecture du rapport de la direction ministérielle* à l’origine de cet indice indique que 35% des questionnaires familles qui ont permis la construction de ces IPS étaient entachés par au moins une non-réponse. Ces deux éléments, factuels, d’appréciation viennent nous rappeler la prudence avec laquelle ces indices, largement perfectibles, devraient être manipulés car ils n’ont qu’une valeur statistique et perdent tout intérêt dès lors qu’ils sont utilisés sur les populations restreintes comme celles d’une école ou d’un établissement. Pire, en les rendant publics, les médias sont venus remettre en cause leur existence même, à terme, car, tout comme le suivi de cohorte sur lequel ils se fondent, ils reposent essentiellement sur le déclaratif des familles qui ne peut être sincère que s’il est dénué de tout intérêt personnel. Or, ce n’est plus le cas.

Comment tricher avec l’IPS

Préalablement, l’utilisation des PCS puis des IPS pour moduler les dotations en heures d’enseignement, pouvait amener certains établissements secondaires, qui recueillent les déclarations des familles, à dégrader leur situation réelle pour obtenir plus de moyens, souvent par simple passivité. Il leur suffisait de ne pas insister auprès des familles qui n’indiquaient pas leur PCS pour améliorer leur situation dans la mesure où les études sociologiques le montrent, ces non-déclarations sont principalement le fait de familles défavorisées et que l’administration les considère, encore aujourd’hui, comme telles.

Mais cette dérive prend une tout autre ampleur dès lors que cet indicateur est diffusé dans le grand public, voire pour obtenir une affectation plus favorable, notamment dans l’académie de Paris. Cette publication est venue confirmer, de façon quasi scientifique, les inégalités existantes entre les différentes écoles et les différents établissements. Si un tel outil n’était pas nécessaire pour les percevoir, il était nécessaire, même s’il doit encore être amélioré, pour les quantifier, mais hélas aussi, pour les distordre jusqu’à l’absurde. Ainsi, après la publication des taux bruts de réussite au baccalauréat, les journaux se sont trouvé un nouveau "marronnier", la révélation de l’IPS moyen des écoles, des collèges voire des lycées qui va déclencher l’hystérie des familles adeptes de l’entre-soi, toujours en mal d’informations pour construire une scolarité pour leurs enfants qui leur évite la fréquentation, supposée pénalisante, des "pauvres".

Des stratégies de contournement

Je prédis donc, au printemps prochain, une recrudescence des demandes de dérogations pointant telle école ou tel collège à l’IPS flatteur, comme s’il suffisant d’habiter les "beaux quartiers" pour être "riche" ! Déjà certains partis politiques dénoncent cette inégalité, forcément scandaleuse. Déjà le sénateur Ouzoulias vient de déposer une proposition de loi, basée sur les IPS. Déjà, le ministre promet qu’il va résolument agir, sur la base de ces IPS, pour améliorer une mixité scolaire mise à mal par une ségrégation spatiale qui semble ne jamais pouvoir s’inverser tellement le culte de l’entre-soi a repris force et vigueur dans notre pays. Déjà, les parents les mieux informés, comprendront qu’il est "stratégique" de minorer l’IPS de leur enfant, pour :

 dégrader l’IPS moyen de l’établissement et ainsi espérer voir l’école échapper à une révision de la carte scolaire qui verrait des vrais "pauvres" affectés dans "leur école" ;

 espérer aussi que cette dégradation apparente de l’IPS moyen débouche sur une allocation de moyens supplémentaires pour l’école dont ils sauront bien quoi faire en faveur de leurs enfants au sein du conseil d’administration où ils sont forcément élus ;

 espérer enfin obtenir une bonification sociale substantiellelors de l’affectation en lycée, comme actuellement à Paris.

Tel qu’il est actuellement diffusé, cet indicateur ne servira qu’à faciliter le contournement de la carte scolaire et donc à renforcer la ségrégation qu’on entendait réduire. Alors, comment aller plus loin et pourquoi ? En effet, pour quoi, si ce n’est pour réduire, et non conforter comme actuellement, les inégalités scolaires qui minent notre cohésion sociale et notre souveraineté économique en "produisant", à côté d’une élite survalorisée, une multitude de "laissés pour compte" dans l’incapacité cognitive de contribuer à notre redressement économique.

Des moyens en heures ou en masse salariale ?

Une fois cette finalité posée, notre Nation pourrait s’engager dans un mouvement de transparence éducative en deux grandes étapes à l’issue desquelles nous pourrions envisager une réforme de notre système éducatif durable parce que partagée par le plus grand nombre. La première de ces étapes serait la publication, à l’instar de ce qui a été fait pour les IPS, de la masse salariale effective attribuée en euros, et non plus en heures ou en postes, à chaque école et à chaque établissement. Nous aurions, d’un côté, le glissement vieillesse technicité qui, inéluctablement, favorise les écoles et établissements dits "de centre-ville" où les personnels expérimentés aspirent à finir leur carrière et d’autre part, les mesures de discrimination positive d’ores et déjà mises en œuvre au profit des écoles et établissements aux plus faibles IPS. Qui sait, aujourd’hui, si ces mesures viennent compenser le glissement des personnels les plus expérimentés, donc des mieux payés, vers les centres-villes ? Ne faudrait-il pas, a contrario, nous donner les moyens de contrôler qu’une discrimination positive effective est bien opérée au bénéfice des élèves les plus fragiles pour éviter que ne se creusent les inégalités de naissance ?

Le croisement de ces deux données, IPS d’une part et masse salariale effective de l’autre,viendra, peut-être, conforter la pertinence de notre actuel système d’allocation des moyens et il faudra alors chercher ailleurs l’origine de l’accroissement des inégalités sociales tout au long de la scolarité obligatoire que nous renvoient, périodiquement, les comparaisons internationales. Il se pourrait, aussi, que cette mise en relation révèle, enfin, le biais systémique qui préside, peut-être, à cette allocation, malgré les correctifs qualitatifs mis en œuvre, obligeant les pouvoirs publics à en réformer les modalités pour répondre à la légitime indignation du corps électoral.

L’arbitre et le chronomètre

Mais tout n’est-il qu’une affaire de moyens ? Doit-on aller vers une réduction de l’effectif des classes jusqu’au face-à-face pédagogique du préceptorat ? Doit-on tout miser sur le niveau de qualification académique de chaque enseignant jusqu’à élever l’exigence de diplôme jusqu’au doctorat pour tous les futurs professeurs des écoles, après tout, n’en sommes-nous pas, déjà, au niveau master ? Comment évaluer la pertinence d’une méthode pédagogique ? En ne considérant, séparément, que l’enseignement délivré par chaque professeur ou en considérant les résultats obtenus par l’élève à l’issue de chaque cycle ?

Là encore, nous manquons de volonté, de courage et d’outils. La volonté, c’est celle de rendre transparentes les performances de chaque réseau écoles-collège à l’issue de la scolarité obligatoire, le courage, c’est celui d’abandonner la mainmise du politique sur les niveaux de certification et d’accepter les risques de la transparence sur les performances effectives des élèves, notamment en mettant fin à la compensation entre les épreuves lors de ces examens et donc le contrôle continu noté pour lui préférer des validations compétence par compétence, connaissance par connaissance. Les outils, ce sont ces modalités de validation assurées par un organisme, tiers différent des enseignants, ceux-ci étant trop impliqués, à juste titre, dans la réussite de leurs élèves pour être vraiment objectifs quant à leurs performances. Lorsqu’on veut mesurer la performance d’un coureur, on ne confie pas le chronomètre à l’entraîneur mais à l’arbitre...

* voir le site de la DEPP ici

Extrait de touteduc.fr du 16.04.23

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