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Finir prof, par Mara Goyet (qui a enseigné longtemps en collège ZEP), Robert Laffont, 5 janvier 2023 (extrait dans Le Monde)

3 janvier 2023

Les extraits de « Finir prof », de Mara Goyet : « Enseigner, ce n’est pas faire un petit tour dans une salle de classe. C’est durer »
Dans un livre à paraître le 5 janvier, l’enseignante publie un essai très personnel dans lequel elle ausculte sa pratique quotidienne au cœur de la classe. Un livre qui donne à voir une professeure heureuse de son métier. En voici quelques extraits.

Enseignante d’histoire-géographie en collège depuis vingt-cinq ans, Mara Goyet poursuit l’écriture de sa grande saga sur le collège. Après Collèges de France (Fayard, 2003), Tombeau pour le collège (Flammarion, 2008) et Collège brutal (Flammarion, 2012), l’enseignante publie un livre beaucoup plus personnel où elle raconte page après page son bonheur d’enseigner. A l’heure où le métier d’enseignant ne fait plus rêver et ne fait même plus le plein, elle ausculte sa pratique quotidienne au cœur de la classe. Dans Finir prof. Peut-on se réconcilier avec le collège ?, qui paraît chez Robert Laffont (234 pages, 19,90 euros) le 5 janvier, elle montre la face cachée du métier, analysant tour à tour comment l’épisode du Covid-19 puis l’assassinat de Samuel Paty ont profondément changé l’école. Au passage, elle aide à comprendre combien les réformes récentes ont éloigné les enseignants du réacteur de l’école, détournant leur regard du lieu où chaque jour se produit le petit miracle de la transmission : la classe. C’est de ce Finir prof… que nous vous proposons les bonnes feuilles.

Dénis
« C’est bien de se mentir. » La phrase tombe comme un couperet. Elle a été prononcée par quelqu’un de mon âge qui, d’un point de vue académique et éditorial, a parfaitement réussi. J’étais en train de lui expliquer à quel point être professeure de collège me comblait, combien j’aimais ce métier et y trouvais ma place.

Il ne me croit pas insincère ni poseuse ; c’est pire que cela : je suis, à ses yeux, dans le déni. Pour lui, j’ai de toute évidence un boulot de merde, un métier que plus personne ou presque ne souhaite faire, et pourtant j’en suis contente. Une sorte de syndrome de Stockholm professionnel m’a sans doute permis de me convaincre que je m’y épanouissais.

Non, non, non, j’adore ce métier. Mais un doute s’insinue dans mon esprit.

Des années plus tard. Lors d’un repas, on me demande ce qui me plaît dans l’enseignement. Je me dispense, un peu étrangement, du passage lyrique obligé sur la transmission, la jeunesse, la culture, les marronniers dans la cour et le son de la cloche. J’évoque l’austérité, la dimension répétitive des années scolaires, une forme d’âpreté, d’humilité et de franchise. A m’entendre, on pourrait croire que je suis guide de haute montagne, moniale dans une abbaye des plus reculées ou membre d’un club SM soft survivaliste. Je regarde mes commensaux et je lis dans leurs yeux de l’incrédulité.

Je les comprends. Mes motifs de satisfaction n’ont rien de probant. En même temps, enseigner, ce n’est pas faire un petit tour dans une salle de classe, s’émouvoir et repartir, riche de moments uniques, magnifiques ou cataclysmiques. C’est durer. Des années. Auprès d’adolescents qui pourraient être vos petits frères et sœurs, puis vos enfants, puis vos petits-enfants. Ce temps long peut mener à l’épuisement, à l’ennui, à l’aigreur ou à l’essoufflement. J’ai tenté de l’aimer. Je ne suis pas certaine de l’avoir apprivoisé mais, du moins, j’ai tenu à l’affronter et à en faire, plutôt qu’une dimension secondaire ou un inconvénient regrettable du métier, une donnée essentielle. (…)

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Extrait de lemonde.fr du 02.01.23

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