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Athlétisme : Ladji Doucouré, de la ZEP de Viry-Châtillon à Göteborg

12 août 2006

Extrait du « Monde » du 12.08.06 : Ladji Doucouré : les pieds sur terre

Ladji Doucouré voulait être footballeur. Une fracture du tibia à l’âge de 12 ans l’en a dissuadé, et l’athlétisme, qu’il considérait comme "un sport de filles", a gagné une star. En tout cas, l’un des favoris, malgré une blessure au mollet droit, de la finale du 110 m haies des championnats d’Europe de Göteborg, en Suède, samedi 12 août.

Lorsqu’il a rencontré le gamin âgé de 13 ans pour l’initier au saut à la perche au club de Viry-Nord-Sud-Essonne, son entraîneur, Renaud Longuèvre, n’aurait pourtant juré de rien. "C’était un gringalet, il est longtemps resté filiforme comme un fondeur kenyan." Ladji Doucouré - 1,86 m pour 83 kg aujourd’hui - est cependant déjà doué. Mais il faut canaliser sa "boulimie d’activités".

Pour ménager sa motivation et favoriser son développement physique, l’entraîneur lui propose de "ne pas choisir". Il l’initie aux épreuves combinées (4 courses, 3 sauts et 3 lancers) : "Comme le bac scientifique, le décathlon est ce qui ferme le moins de portes." Une pubalgie lui en interdira la pratique après 2001. Qu’importe, Ladji Doucouré fait déjà partie des hurdlers (spécialistes des haies) les plus prometteurs de sa génération, et a suivi Renaud Longuèvre à l’Insep, l’Institut national des sports, à Paris.

Un départ du nid observé avec circonspection par son père, malien, et sa mère, sénégalaise. "Ils disaient, le sport c’est bien, mais après ?", raconte Ladji. Les études, importantes à leurs yeux, allaient alors doucement pour leur fils. "Dans mon collège de ZEP, sur les 35 élèves de troisième, le prof principal n’a jamais donné la chance, ni même l’espoir, d’aller en filière générale qu’à cinq d’entre nous. Comme si tout était voté d’avance, on nous parlait "d’un bon BEP de cartonnerie ou de tailleur de pierres"."

Ce printemps, Ladji Doucouré s’est retrouvé face aux élèves de son ancien collège, dans le cadre d’une action de la Fédération d’athlétisme dans les banlieues. "La prof d’anglais se souvenait de moi, de mes notes. Elle a même ressorti le prénom anglais que j’avais pour les cours : Arnold, comme dans la série télévisée Arnold et Willy." Il s’émeut d’être érigé en exemple, lui qui avait raté son brevet des collèges. Le jour de l’épreuve de maths coïncidait avec un déplacement de la MJC pour voir un entraînement du Brésil pendant la Coupe du monde de foot. "J’ai préféré rendre ma copie au bout de cinquante minutes et aller voir Ronaldo."

L’Insep, son régime d’internat, ses horaires aménagés et son enseignement plus personnalisé ont relancé ses études. Bachelier, il vise le professorat de sports après les Jeux olympiques de Pékin en 2008. Le chemin a été chaotique. L’Insep fut d’abord "comme des vacances avec les champions que tu voyais à la télé qui s’entraînent sur le même stade que toi". L’arrivée de l’hiver, sans son frère aîné et ses deux soeurs cadettes avec lesquels il a toujours partagé une seule et même chambre dans le F3 familial du quartier des Buissons, à Viry-Châtillon, dans l’Essonne, a failli tout gâcher. "J’ai toujours été collectif, explique Ladji. Même pour aller acheter un pack de lait pour ma mère, j’appelais trois potes. Alors l’"athlé", juste pour la performance, ce n’était plus drôle." Son entraîneur devra user de toute sa pédagogie pour qu’il comprenne la nécessité de "sortir du schéma ludique".

Le jeune homme se reprend, grâce à la bande : trois copains d’enfance, athlètes eux aussi, pensionnaires de l’Insep. "On s’est serré les coudes", dit-il. L’athlétisme est redevenu "fun". Au point que Ladji s’offre une médaille de bronze mondiale juniors en 2000, tout en faisant signe à ses coéquipiers postés en bord de piste au beau milieu de sa course. "Les copains d’abord", telle pourrait être sa devise. L’an dernier, à Helsinki, où il fut l’un des artisans de la victoire mondiale du 4 × 100 m tricolore, il a catégoriquement refusé de recevoir seul les honneurs : "Un relais, ça se gagne à quatre, et même à six avec les remplaçants."

Il connaît pourtant les bénéfices que rapporte la notoriété. Une semaine après son sacre de champion d’Europe juniors du décathlon, en 2001, sa famille a obtenu le F4 qu’elle briguait depuis des années. Il vient sagement d’acheter un petit appartement à mi-chemin entre l’Insep et le domicile familial, avec ses primes de champion du monde 2005 du 110 m haies et du relais 4 × 100 m. A ce jeune Noir en survêtement, les agents immobiliers "conseillent de louer", et lui s’imagine qu’on prend possession d’un appartement comme d’une voiture. "Ça m’a pris des mois", rigole-t-il.

Ses succès mondiaux, qu’il a dédiés sur RFI "à la France comme à l’Afrique", lui ont valu une invitation personnelle "à la fois bizarre et touchante" du président Amadou Toumani Touré au Mali. " Je ne suis pas malien et je n’étais jamais allé au Mali." S’il ne renie pas ses origines familiales et observe le ramadan, Ladji Doucouré trouve parfois les racines encombrantes. "Quand on me demande d’où je viens, on se contente rarement d’une réponse comme "Viry-Châtillon", plaisante-t-il. Ce n’est pas méchant, mais ça crée un décalage. Sur la carte d’identité, il faudrait peut-être des cases : la A pour les 100 % français, et la A’ pour les gens comme moi."
Des provocations ou du racisme parfois rencontrés sur les pistes, il préfère s’amuser : "Des crachats en Italie et en Russie quand j’étais plus jeune." Mais encore en Espagne l’année dernière, au départ des championnats d’Europe en salle : "Un Autrichien a craché dans mon couloir. Je l’ai regardé en souriant, j’ai pris tout mon temps pour m’installer dans les blocks, et j’ai gagné. Puis j’ai serré la main à tout le monde, mais il était déjà parti, dégoûté."

Ladji Doucouré, lui, ne se formalise pas de ses défaites. Il a gardé les pieds sur terre malgré sa chute sur le dernier obstacle du 110 m haies olympique d’Athènes en 2004, alors qu’une médaille lui semblait promise. "Demain est toujours un autre jour, dit-il, et je vise les JO de Pékin en 2008." Il y retrouvera son rival de toujours, le Chinois Liu Xiang, tenant du titre et recordman du monde de la spécialité. Plus jeune, il le devançait régulièrement.

Patricia Jolly

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