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Expulsions d’élèves : angoisse dans le REP de Paris Xème et ailleurs

27 juin 2006

Extrait de « Libération » du 26.06.06 : L’été de tous les dangers

Malika et Karima Boucherka, 38 ans et 12 ans, algériennes. Sans papiers, elles vivent dans l’angoisse d’être expulsées pendant la trêve estivale, dès la fin de l’année scolaire

Aujourd’hui samedi, c’est l’anniversaire de Karima. Elle a 12 ans, elle passe en cinquième au collège de la Grange-aux-Belles à Paris Xe, et elle n’est pas d’accord. Pas d’accord pour dire qu’à chaque conseil de classe elle a obtenu les félicitations. Pas d’accord pour expliquer qu’étant donné la rapidité de ses acquisitions elle a sauté une classe, le CM2, en primaire. Pas d’accord pour exhiber ses lauriers. Pas d’accord pour délivrer des anecdotes qui feraient un joli effet. Raconter par exemple que la bibliothécaire plaisante parfois en lui disant qu’il lui faudrait une valise pour pouvoir transporter tous les livres qu’elle emprunte. Ou que la première fois qu’elle est partie en colonie de vacances, en juillet 2003, les éducateurs ont accueilli ses parents par ses mots : « Votre fille est une perle. » D’ailleurs, Karima se tait.

Elle s’effondre en larmes. Jusqu’en mai dernier, ses camarades de classe ignoraient que ses parents sont des sans-papiers. C’était son secret, un secret auquel elle évitait de penser et qui ne la regardait pas. Un problème d’adultes. Son goût pour les études et sa curiosité lui appartenaient. C’était sa vie intime, son tissage personnel. Qu’est-il arrivé pour que désormais ses résultats scolaires intéressent la préfecture de police ? « Ça veut dire que si je suis moins bonne élève, mes parents n’auront pas leurs papiers ? En quoi je suis coupable ? Je n’ai plus de force. » Re-crise de larmes.
Ce stress de se sentir responsable de l’avenir de la famille accable peu ou prou les enfants scolarisés dont les parents n’ont pas de titres de séjour. Le 13 juin dernier, Nicolas Sarkozy a rendu publique une circulaire permettant jusqu’au 13 août le réexamen de dossiers à titre exceptionnel de familles sans papiers qui correspondent à six critères. Parmi les critères, est énoncé « le suivi éducatif des enfants et le sérieux de leurs études ». Avoir des enfants qui apprennent vite à parler, écrire et lire le français est un atout. Payer la cantine scolaire à temps, aussi. Pour ne pas prendre les élèves en otage, les équipes enseignantes choisissent parfois de ne délivrer aux familles sans papiers que de simples certificats d’assiduité. Mais puisque l’excellence est un coup de pouce , comment ne pas être tenté d’instrumentaliser les succès ?

Karima se souvient de son effroi lorsqu’elle est arrivée en France, il y a trois ans, sans parler un mot de français . De sa solitude dans la cour. « C’est lorsque je me suis mise à maîtriser la langue grâce à la Clin (classe d’initiation au français) que j’ai commencé à me sentir bien. » Elle se souvient aussi de son excitation plusieurs mois avant le départ de Tizi Ouzou, en Algérie. Non seulement elle allait revoir son père, Amar, mis en danger pendant la guerre civile et parti préparer le terrain en France, mais de plus, chaque soir, elle écoutait sa mère, Malika, lui relater les mystères de la Ville lumière.
Malika connaissait la France grâce aux cartes postales des grands parents, du temps où ceux-ci travaillaient à la mine, en France. Sa tante est française, son beau-frère aussi. Malika sursaute : « Tout de même, on a une histoire avec la France ! » Brusquement, elle est prise d’un vertige : « Comment est-ce possible qu’on soit hors la loi ? » Et de se souvenir de son grand-père, volontaire pour se battre du côté des Français pendant la Seconde Guerre mondiale. Et d’évoquer un personnage mythique, le héros de la famille, le « Lion ailé ». : « Saïd André Mahfouf. Il a été le premier aviateur à survoler Berlin pour prendre des photos des installations militaires allemandes. Il a atterri avec un seul moteur ! »
La famille est hébergée dans un petit studio. Ils sont six : les parents, et quatre enfants, Karima, 12 ans, Amel, 9 ans, Billal, 7 ans, et Juba, 2 ans, né en France. Le soir, tard, Malika surprend souvent Karima en train d’étudier avec une lampe de poche sous les couvertures, pour ne pas empêcher les petits de dormir.
L’information, la prise de conscience et l’angoisse qu’elle a générée sont venues par hasard. Un soir de mai, Amar a ramassé dans le métro un exemplaire du Parisien, avec, en une, « une grosse phrase » sur les enfants scolarisés de parents sans papiers, en danger d’expulsion pendant les vacances. Malika a pensé : « C’est nous. » Elle n’en a pas dormi de la nuit, et les nuits blanches se sont succédé. Quant à Amar, qui avait un job dans un café, il a cessé de travailler, et il reste le plus possible reclus à la maison. Trop de vérifications de papiers dans le quartier. « Eviter Belleville, Stalingrad, République. On ne peut plus sortir. » Pas de travail, pas d’argent. Quant à Malika, elle ne se déplace qu’accompagnée de « Français qui ont une tête de Français », pour éviter les contrôles. C’est tout juste si elle se rend encore à ses cours d’informatique. Elle rit : « Vivre dans un pays occidental sans maîtriser les ordinateurs ? C’est impossible ! » Très vite, Malika prend sa décision. Danger pour danger, autant faire connaître aux parents et à la directrice de l’école Parmentier , où deux de ses enfants sont élèves, une situation qu’elle n’a d’ailleurs jamais dissimulée au moment des inscriptions. D’autant qu’elle est « intégrée » à la vie de l’école et qu’elle a des amis parmi les parents d’élèves. C’est donc la famille Boucherka qui est à l’origine de leur mobilisation et de la création du Comité de soutien pour tous les enfants expulsables des écoles Saint-Maur et Parmentier, Xe, comme il s’en inaugure tous les jours.

Malika a un visage aussi sensible qu’une pellicule argentique. Il vole la lumière et renvoie des émotions mouvantes. Elle pleure, elle rit, elle rougit. Parfois, hiératique, elle se fige dans une rêverie inaccessible. Malika a la douce obstination des personnes qui posent les bonnes questions et obtiennent toujours ce qu’elles veulent à force d’exigence de clarté .

« Vous nous accompagnez à la séance photo ? » C’est une question et c’est un ordre, auquel on obtempère car Malika vit dans la peur, ce que Karima supporte mal. « Je ne veux plus entendre parler de contrôles. » Sur le chemin, on croise des gamines. Elles scandent : « Où vas-tu Karima ? Karima, tu es la plus belle ! » Karima sort de chez le coiffeur, même si elle ne veut pas être reconnaissable sur la photo.

Karima se souvient bien sûr de son enfance à Tizi Ouzou, mais pour l’instant elle rejette le passé. Elle n’y pense jamais. Comme ses frères et soeurs, elle oublie la langue kabyle et ne parle pas arabe. Est-ce correspondre au quatrième point de la circulaire Sarkozy qui stipule que l’enfant ne doit pas avoir « de lien avec le pays dont il a la nationalité » ? Les enfants et les parents ont eu un immense chagrin quand ils ont compris, que faute de papiers, il leur était impossible de retourner au bled assister aux obsèques de leur grand-père et père. Ce chagrin face à la perte de parents restés au pays : est-ce ne pas correspondre ?

Amel, 9 ans, aurait bien aimé être photographiée. Il y a une semaine, elle a été à la fête des pompiers, à toute vitesse et en claquettes, car une inconnue croisée dans la rue venait de lui donner deux tickets à deux euros. « Ne sors pas comme ça », a crié Malika. Mais malgré ses claquettes, Amel a réussi à grimper tout en haut de l’échelle, et elle est revenue à la maison avec un certificat de futur pompier. « On peut avoir nos papiers, maintenant ? » a interrogé l’enfant. Quant à Karima, elle rêve d’être mathématicienne et astronome. « J’ai envie d’étudier les planètes. » Où pour l’instant, il n’y a pas de contrôle.

Anne Diatkine

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Le point sur cette question : Extrait du « Nouvel Obs », le 26.06.06 : La mobilisation s’amplifie pour les enfants sans-papiers

L’appel pour éviter l’expulsion des jeunes scolarisés clandestins, a déjà recueilli plus de 68.000 signatures
La pétition lancée par Réseau Education Sans Frontières (RESF), "Nous les prenons sous notre protection", lancée pour montrer au gouvernement que les Français se mobilisent pour éviter la reconduite à la frontière des jeunes scolarisés sans-papiers, avait atteint lundi 26 juin plus de 68.000 signatures.

Le 1er juillet est la fin du "sursis" accordé par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy aux jeunes sans-papiers scolarisés et à leurs familles pour quitter la France.

En amont de cette date, RESF a déjà multiplié les parrainages samedi 24 juin, partout dans le pays, pour tenter de les protéger d’une expulsion ou même les "cacher".

RESF et le collectif "Uni(e)s contre une immigration jetable" ont aussi prévu le 1er juillet de manifester dans Paris contre les expulsions. La manifestation "partira à 15h00 de la place de la Bastille jusqu’à Bercy, à l’issue de laquelle il y aura une cérémonie d’ouverture de la ’chasse à l’enfant’. On va aussi ajouter un titre au ministre de l’Intérieur en le nommant ’ministre de la chasse à l’enfant’" a annoncé le porte-parole de RESF, Richard Moyon.

Le Réseau éducation sans frontière est constitué notamment d’associations de défense des droits de l’Homme, telles que la Ligue des droits de l’Homme, le MRAP ou la Cimade, de syndicats, et est soutenu par différents partis politiques comme la LCR, le PCF et les Verts.

"Même au Sénat"

"Les parrainages ont commencé en janvier. C’est un mouvement protéiforme, qui prend une ampleur énorme aujourd’hui. Ils peuvent être individuels ou collectifs, sont organisés dans des mairies, des églises, des écoles, des cinémas et même au Sénat. Nous en recensons plusieurs centaines", a fait savoir Richard Moyon.
Ainsi, le maire PS de Paris, Bertrand Delanoë, a remis samedi matin à la mairie du 9ème arrondissement un certificat de parrainage "aux enfants menacés d’expulsion du territoire français" de douze familles, en présence du maire d’arrondissement Jacques Bravo (PS), a annoncé la mairie de Paris.

Le Conseil de Paris a voté en juin un voeu permettant à la Ville de Paris de mettre en ligne plusieurs pétitions de soutien et de proposer aux associations RESF et Droits des Migrants de tenir des permanences sur le parvis de l’Hôtel de Ville pour recueillir des signatures de Parisiens.
Les Parisiens se sont massivement mobilisés en faveur de ces enfants et plusieurs d’entre eux ont souhaité les soutenir en devenant leurs parrains ou marraines.

Libé se mobilise

Le quotidien Libération s’est également mobilisé, lundi 26 juin, en parrainant la petite Mélanie Ortiz, 4 ans. Née en France, Mélanie est aujourd’hui scolarisée à l’école maternelle Henri-Barbusse d’Arcueil dans le Val-de-Marne. Ses parents, d’origine sud-américaine, sont en France depuis 1998 et 1999. Ils se sont rencontrés en France et y ont fondé une"tribu". "Dario, père de Jonathan (le père de Mélanie) et Bryan, son jeune frère, 18 ans, étudiant en deuxième année de BEP, s’y trouve également" précise le journal.

Expulsion d’un thésard à Marseille

A Marseille, entre 700 et 800 personnes, des adultes sans-papiers et leurs enfants, selon une estimation du RESF, ont été "parrainées" samedi à la mairie des 15e et 16e arrondissements, alors qu’un étudiant tunisien était expulsé.

Fathi Toualbi, étudiant en DEA de météorologie à la faculté d’Aix-en-Provence, a été "expulsé par bateau à 14H30 samedi à destination de la Tunisie", a-t-on appris auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône. "Il devait pouvoir finir son diplôme pour s’incrire en thèse et on n’a pas voulu lui laisser le temps de finir les examens qui lui manquaient alors que la faculté avait informé la préfecture que c’était réalisable", a fait savoir Florimond Guimard, un des animateurs de RESF à Marseille. "La préfecture vraisemblablement, dans ce bras de fer, a voulu aller coûte que coûte jusqu’au bout, mais dans quel intérêt ? C’est inexplicable et c’est un scandale", a-t-il ajouté.

Les associations et partis politiques membres de RESF s’était mobilisés pour cet étudiant, notamment jeudi lorsqu’il devait être expulsé par avion, au départ de Marignane.

Veille dans le Bas-Rhin

A Strasbourg, un "pique-nique de la solidarité" a réuni samedi les parents d’élèves d’une maternelle de Strasbourg, venus soutenir une écolière de cinq ans risquant, avec sa famille guinéenne, une expulsion du territoire français.

La mère Fatouma Diakité, arrivée en France en septembre 2000, a fait depuis cinq demandes de régularisation au titre de l’asile politique, puis à titre exceptionnel et humanitaire. Sans papier ni travail, elle vit avec une autre famille dans un studio en attendant une décision de la préfecture.

Une centaine de personnes, dont la députée européenne socialiste Catherine Trautmann et le député PS Armand Jung, étaient venus soutenir la famille.

Elles font partie des 150 premiers signataires d’un appel d’élus et de personnalités du Bas-Rhin, qui s’engagent à parrainer des enfants menacées d’expulsion et à établir une "veille" durant l’été.

Appel à la désobéissance

Enfin, RESF, des syndicats du secteur aérien et des syndicats étudiants et lycéens ont lancé, samedi, dans un communiqué, un appel pour que les personnels au sol et navigants s’opposent aux expulsions des élèves sans papiers.

"Les personnels des plate-formes aéroportuaires ne peuvent fermer les yeux sur ce qu’on leur demande de faire, écrivent-ils dans ce communiqué. Ils ont pour mission de faire voler des avions transportant des passagers ou du fret, pas des hommes et des femmes menottés et scotchés à leur siège".

Plusieurs syndicats du secteur aérien (Sud aérien, CGT Roissy, CFTC Roissy, CFDT Paris Nord et Roissy) et des syndicats étudiants et lycéens (Unef, UNL) ont signé cet appel lancé avec RESF, qui organise des mobilisations pour empêcher des expulsions d’élèves ou de parents d’élèves.

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