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Académie de Paris. Un rapport de l’Igen dénonce les inégalités scolaires à tous les niveaux et la mauvaise répartition des ZEP (Libération)

27 octobre 2004

Extrait du « Libération » du 25.10.04 : inégalités scolaires à Paris

L’enseignement public à Paris, machine à exclure : dans un rapport confidentiel, l’inspection générale de l’Education chiffre pour la première fois les inégalités

Paris, capitale des inégalités scolaires. Ce que chacun pressentait est confirmé par un rapport confidentiel de l’Inspection générale de l’Education nationale, dont Libération a eu connaissance. Intitulé « Evaluation de l’enseignement dans l’académie de Paris », il vient d’être remis au ministre de l’Education, François Fillon, et n’est pas destiné à être rendu public.

En 120 pages, ce rapport désosse méthodiquement une véritable machine à exclure les plus faibles. Paris ne se contente pas d’être incapable de résorber les inégalités sociales de départ : il les creuse. Si « 40 % des effectifs sont issus des classes sociales les plus favorisées », Paris n’est pas épargné par les défis : le taux de chômage ou de bénéficiaires du RMI y est supérieur à la moyenne nationale ; l’académie accueille autant d’élèves non francophones primoarrivants que celle de Créteil. Par ailleurs, aux inégalités qui règnent entre les arrondissements du centre et de l’ouest (Vème, VIème, VIIème, VIIIème, XVIème et XVIIème) et ceux du nord-est (Xème, XIème, XVIIIème, XIXème et XXème) s’ajoutent les inégalités internes à quasiment tous les arrondissements.

Tout commence en maternelle

Avec un taux de scolarisation des moins de 3 ans de 8 %, Paris fait quatre fois moins bien que la moyenne nationale. Faute de place ? Même pas. Les écoles tentent ainsi de préserver des effectifs relativement réduits. Or, pour le rapport, « c’est dès l’école maternelle que se met en place l’approche élitiste » qui mènera aux piètres résultats ultérieurs. Au passage, il épingle un « scandale parisien » : la quasi-absence d’accueil des élèves le samedi matin, et il « regrette d’avoir à rappeler que les maîtres sont rémunérés pour accueillir les élèves ». Quelques visites surprises ont prouvé que les samedis matin sans élèves n’étaient pas toujours consacrés, comme prévu, à la concertation entre enseignants : les inspecteurs ont parfois trouvé porte close.

Ça continue en cours préparatoire

Là, les classes sont plus chargées qu’ailleurs et « fréquemment confiées à des [enseignants] débutants, en contradiction avec les recommandations constantes », alors que la réussite à ce niveau est jugée déterminante pour la suite de la scolarité. Dès lors, un écart s’installe, « qui ne cessera plus ensuite de s’accroître, entre les bons élèves qui deviendront toujours meilleurs et les plus faibles qui n’obtiendront plus que de médiocres résultats ». La faute, entre autres, à une insuffisante prise en charge des élèves en difficulté, pour lesquels il est fait appel « immédiatement et systématiquement à une aide extérieure » pour des problèmes « qui devraient être pris en charge par le maître lui-même ». La faute, aussi, à des emplois du temps « éclatés, dispersés, sans réelle cohérence ». Car les enseignants parisiens reçoivent le soutien d’un corps particulier, celui des professeurs de la ville de Paris (PVP), pour les arts, les langues et l’éducation physique et sportive. Or ce sont les disponibilités de ces derniers qui déterminent les emplois du temps. De plus, un examen attentif a montré que les enseignants effectuent en moyenne 22h20 hebdomadaires devant les élèves, et non les 27 prévues, soit une perte de 14 858 heures annuelles pour l’académie, l’équivalent de 550 emplois ! Enfin, peu de projets d’école et de travail collégial, sauf dans les établissements en difficulté : « Les maîtres parisiens ne sont pas moins compétents, ils sont plutôt moins innovants et moins impliqués. » Ils pratiquent une pédagogie qui ne semble pas produire les effets escomptés sur le niveau des élèves : « Les méthodes d’enseignement, fortement marquées par les modèles magistraux, sont le plus souvent (...) fondées sur la seule parole du maître : celui-ci parle, les élèves écoutent. »

Le collège aggrave les écarts

Le nombre d’élèves affichant deux années de retard double entre le CM2 et la 3e, toujours au détriment des moins favorisés. Ainsi, 11,7 % des élèves du Xème arrondissement ont deux ans de retard à l’entrée en 6e, contre 0,5 % dans le prestigieux Vème. Pour les retards d’un an « seulement », le Xème est rejoint par les XVIIIème, XIXème et XXème (28 %). Au cœur du processus qui amène le collège à conforter ces inégalités : « les procédures d’affectation des élèves ». Le rapport révèle en effet que l’extrapolation proposée voici un an par Libération de 53 % d’élèves de 6e non scolarisés dans le collège public de leur secteur est un plancher et non un plafond (Libération du 8 novembre 2003). Aux 30 % d’élèves qui choisissent le privé, il faut ajouter les 10 % qui obtiennent une dérogation, mais aussi les 5 000 collégiens qui « ne se trouvent pas dans le collège de leur secteur de domiciliation en raison du choix d’une option particulière ». Soit environ 50 % des élèves de 6e, compte non tenu des domiciliations fictives, que le rapport s’avoue incapable de mesurer. En revanche, Paris accueille très officiellement 1 400 collégiens de banlieue, qui ne viennent dans la capitale, « pour la majorité d’entre eux, que pour contourner les règles de sectorisation de leur propre département ». Un apport qui fait du bien aux statistiques parisiennes et déshabille les académies voisines d’autant de « bons » élèves : leur taux de réussite est 9 % plus élevé que celui de résidents parisiens.

Commentaire sans ambages des auteurs du rapport : « Il faudra bien un jour poser clairement la question de savoir pourquoi la sectorisation est à ce point insupportable à certaines familles. » Les inspecteurs ont leur idée : pour rendre plus de collèges attractifs, on pourrait commencer par réviser la carte des options. La « fracture sociale » est en effet redoublée par l’offre des collèges : un sur deux « n’offre aucune option "valorisante" ». Comme par hasard, ils sont plutôt situés dans les arrondissements qui cumulent les handicaps. Côté pédagogique, le collège aurait par ailleurs bien souvent tendance à se comporter en « petit lycée », imposant selon les inspecteurs « des exigences parfois excessives » et une « sévérité souvent exagérée ». « Les annotations sur les copies des élèves sont peu centrées sur la compréhension de l’erreur et/ou la remédiation, voire sont parfois de véritables "couperets". »

Le lycée achève le processus

Avec ses procédures de sélection impitoyables qui permettent à une dizaine d’établissements de faire leur marché ­ le rapport parle carrément de « libre concurrence » ­, le lycée achève ce processus de « marche ou crève » imposé aux élèves dès le primaire. « Les "bons" établissements, comme les "bonnes" classes, deviennent toujours meilleurs. C’est ce système même qui interdit la réussite des autres lycéens, parce qu’à ne mettre ensemble que des élèves "faibles", on se donne peu de chances d’en faire, malgré tous les efforts, d’excellents élèves. » Et là encore, le cercle vicieux est fatal : les établissements que fuient les classes moyennes et supérieures sont les plus soumis aux phénomènes de violence. Pour quels résultats ? Excellentissimes, si l’on ne prend en compte que les élèves les plus favorisés, sinon, « les résultats académiques sont plus faibles que la moyenne nationale ». Et encore, le privé a une part importante dans les bons résultats : « Parmi les 25 lycées dont la "valeur ajoutée" est la plus forte, on trouve dans l’ordre : un lycée public, vingt-deux lycées privés, puis deux autres lycées publics. »

On ne s’étonnera donc pas que « le privé réussisse partout mieux que le public » et affiche une différence de + 20,3 % au niveau du brevet et de + 8,3 % au niveau du bac. Pourtant, les enseignants du public sont plus expérimentés (49,6 % de plus de 50 ans dans le secondaire, soit 13 % de plus que la moyenne) et plus diplômés (25,4 % d’agrégés, contre 11 % de moyenne). Idem pour les chefs d’établissement : 80 % affichent 50 ans ou plus, contre 60 % au niveau national.

Les moyens ne manquent pas

Au primaire, « l’école bénéficie de moyens d’enseignement à nul autre pareils en quantité comme en diversité [qui] devraient faire de l’école de la capitale la meilleure école de France » . De plus « un très fort engagement municipal permet de proposer aux enfants parisiens une palette d’activités péri et extrascolaires de très grande qualité ».
L’éducation prioritaire n’est pas moins choyée : 30 % des élèves de primaire sont en réseau d’éducation prioritaire (REP), soit 2 % de plus que dans l’académie de Créteil dont relève la Seine-Saint-Denis (et 13 % de plus que la moyenne nationale) et 25,6 % des collégiens (20,4 % au plan national). Mais la répartition de ces zones laisse à désirer : certaines accueillent autant d’enfants de familles favorisées que de défavorisées, à tel point qu’ « on pourrait considérer que six REP n’ont plus leur place dans l’enseignement prioritaire ».

Comment rompre cette mécanique ? En mettant en œuvre une carte scolaire « permettant de résorber l’absence de mixité sociale » qui « caractérise » cette académie. En rationalisant l’administration rectorale, où une douzaine d’échelons hiérarchiques s’entrelacent, soit deux fois plus que partout ailleurs. En diffusant les « bonnes pratiques », dont le rapport signale l’existence pour déplorer aussitôt qu’elles demeurent minoritaires ou cantonnées aux établissements en difficulté. Mais il faudrait surtout une solide volonté politique, tant les dysfonctionnements sont ancrés dans les mœurs éducatives parisiennes. En somme, une révolution.

Emmanuel Davidenkoff.

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