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Deux études sur l’efficacité des inspections. Les enjeux de cette évaluation (Le Café)

13 septembre 2021

Les inspecteurs vont-ils sauver l’Ecole ?
Votre inspecteur va sauver l’éducation nationale. Dans un petit livre qui se lit bien (Trois leçons sur l’école républicaine, Seuil), Eric Maurin, professeur à l’école d’économie de Paris le démontre, preuve à l’appui. Et en plus, ce sauvetage sera pas cher. Selon lui, les inspections ont un effet déterminant sur les résultats des élèves. Pour 100 euros par enseignant et par an, une somme dérisoire, on obtient le même effet qu’une diminution de 20% du nombre d’élèves. Il n’y a pas mieux en terme d’efficacité du système scolaire ! L’effet est très bien démontré avec une argumentation en béton. Reste à trouver comment se produit le miracle de ce ruissellement pédagogique vers le bas. Une heure avec un inspecteur suffit-il à changer un professeur ?

Une démonstration implacable

"Il semble bel et bien possible d’aider les enseignants à mieux faire face aux élèves et ce faisant à les faire progresser". C’est la bonne nouvelle qu’apporte Eric Maurin dans "Trois leçons sur l’école républicaine" (Seuil).

Suivez le raisonnement. Eric Maurin a sorti pour les années 2008 à 2012 d’un fichier ministériel (Depp) les trajectoires des professeurs de français et de maths de collège. On sait pour chacun s’il a été inspecté. Pour chacune des années où ces professeurs ont enseigné en 3ème, nous avons aussi les résultats de leurs élèves au brevet. Au final c’est un échantillon de près de 10 000 professeurs de maths et autant de français qui est retenu pour l’analyse d’E Maurin, un volume bien assez important pour faire autorité.

Environ la moitié de ces professeurs a été inspectée sur ces 4 années. On a donc deux groupes ceux qui ont été inspectés et les autres. Eric Maurin invite à regarder les résultats des élèves des enseignants des deux groupes après inspection ou sans inspection.

Et le résultat est sidérant. "Les inspections des professeurs de mathématiques coïncident avec une amélioration des performances dans cette matière", note E Maurin. Alors que ce n’est pas le cas pour les élèves du groupe de professeurs non inspectés. "Cette figure suggère sans ambiguïté que les performances du groupe inspecté s’améliorent sensiblement par rapport à celles du groupe non inspecté pour les épreuves passées après l’inspection".

Améliorer le système éducatif pour une somme dérisoire

Eric Maurin constate que l’effet est sensible dès la fin de l’année d’inspection et qu’il augmente encore les années suivantes, l’écart entre professeurs inspectés et non inspectés se creusant. Comme le dit E Maurin, "un progrès de 5% peut paraitre faible mais il représente en pratique le même effet que celui d’une réduction de 20% de la taille des classes au collège". Et cela pour un coût bien plus bas : le cout de revient des inspections est évalué à environ 100€ par professeur et par an. Cet effet serait encore plus fort en éducation prioritaire (+8.5%) que hors EP (+3.5%). En français les résultats sont aussi bons en expression écrite mais moins marqués dans les autres compétences.

Allons au bout du raisonnement d’E Maurin. "Il ressort que les inspections sont capables de bonifier les enseignants même quand ils ont accumulé 10 ou 20 ans d’expérience", écrit-il. "L’effet est particulièrement net en début en carrière mais il reste très significatif pour les professeurs expérimentés". Conclusion : "Il semble bel et bien possible d’aider les enseignants à mieux faire face aux élèves et ce faisant à les faire progresser". Et en plus pour pas cher.

Une étude nouvelle qui prend le contre pied des précédentes

Nous nous sommes penchés sur les études concernant les activités des inspecteurs. Seule Bernadette Voisin-Girard, à qui nous donnons la parole dans l’article suivant, s’est vraiment intéressée de très près à ce qui se passe durant une inspection. Elle n’en tire pas de conclusion sur leur efficacité auprès des élèves. Elle montre que l’incompréhension entre l’inspecté et l’inspecteur s’invite souvent pendant l’inspection et l’entretien qui la suit et plus tard à la lecture du rapport. Cette constatation vient affaiblir la conclusion d’E Maurin.

Une seule étude antérieure, celle de JP Jarousse, en 1997, montre un "effet circonscription" dans le premier degré. Mais le rapport des IEN avec les professeurs des écoles est différent de celui des IPR. Les inspections des premiers sont deux fois plus fréquentes. Et ils suivent de près les écoles, organisant des animations ce qui est très rare dans le second degré.

Il existe d’autres évaluations mais dans d’autres pays où l’inspection se passe de façon différente. Rémi Thibert, dans un document de l’IFé, montre que ces inspections influencent peu les résultats des élèves. Et qu’elles entrainent des effets négatifs : la surpréparation aux tests, les fraudes par exemple.

L’institution elle-même n’y croit pas. Un rapport de 2011 souligne que les rapports d’inspection ne se soucient pas des résultats des élèves. Un autre de 2016 montre que les IPR sont partagés sur les effets de carrière des inspections. En 2005, Thierry Dickelé, un inspecteur, dénonce la "langue de bois" des rapports. En 2012, X Albanel parle d’une "impossible évaluation" lors des inspections celles ci étant trop rares, le rapport trop tardif et trop bref. Surtout l’inspection ne donne lieu à aucun accompagnement et aucun suivi.

Mais qui ne nous dit rien sur la fabrication du miracle

On mesure alors la nouveauté de l’approche d’Eric Maurin et en quoi elle renouvelle la question. Pour autant elle nous laisse sur notre faim. Car si l’amélioration des résultats est constatée par Eric Maurin, il ne nous dit pas comment cette procédure administrative transforme les enseignants. Suffit-il d’une heure d’entretien avec un inspecteur pour que tout à coup un enseignant devienne durablement performant ? La lecture d’un rapport administratif de une ou deux pages, accompagnée d’aucun suivi, peut-elle vraiment compter pour une formation ?

Ce n’est évidemment pas le cas. Et ce n’est pas ce que disent les enseignants qui se plaignent à juste titre du rituel infantilisant de l’inspection et de la vacuité des échanges. Rappelons que les enseignants français sont , dans Talis, ceux qui se plaignent le plus de l’injustice de leur évaluation.

Que veut dire l’efficacité en éducation ?

On atteint peut-être avec cette démonstration la limite des approches économistes en éducation. E Maurin prend comme base d’évaluation de l’efficacité des enseignants les résultats au brevet. Ce ne sont certainement pas les résultats chiffrés les plus solides du système éducatif. Mais au delà cela pose la question même de ce qu’est l’efficacité en matière d’éducation.

En quoi la réussite au brevet est-elle un gage d’efficacité ? Qu’évaluent exactement les exercices du brevet ? Apparemment E Maurin s’est aperçu lui-même de la limite de son raisonnement en constatant que ça marche moins bien en français qu’en maths. Par exemple, avoir un meilleur résultat au brevet signifie t-il qu’on aura plus de facilité pour réussir en lycée ? Pas sur. La qualité d’un système éducatif doit-elle être mesurée à la seule mesure de la réussite aux exercices rituels de ce système éducatif, pour le brevet avec des calculs particulièrement alambiqués ? Ne peut-on pas attendre autre chose de ce système en terme de résultat ?

D’autre part, quelle est la part de M Dupont, professeur inspecté, dans le résultat de l’élève Durand ? Tous les travaux sur "l’effet maitre" montrent que, s’il existe, son calcul est très difficile, beaucoup plus que la prise en compte d’une note à un examen. Les pays qui ont essayé de transformer cet effet maitre en prime au mérite s’en sont mordus les doigts devant les effets négatifs de leur décision.

Ecoutons Bruno Suchaud (dans une étude de 2012) : " Même si l’expertise des inspecteurs est pertinente, l’évaluation des compétences pédagogiques des enseignants est, du fait de la faible fréquence des inspections, difficilement apte à rendre compte de la démarche professionnelle de l’enseignement sur une longue période. En second lieu, la dimension formative de l’inspection est aussi limitée. Même si des conseils sont formulés à l’égard des enseignants à l’issue des visites de l’inspecteur lors des entretiens, leur application est rarement soumise à une nouvelle observation (sauf dans certains cas particuliers : enseignants débutants ou en difficulté)... La définition du mérite est donc problématique et il n’est pas aisé de distinguer l’investissement personnel de l’enseignant d’autres composantes de l’acte pédagogique. Dans une logique d’évaluation par les résultats, le principe d’une évaluation au mérite peut paraître attractif pour les décideurs mais il soulève plusieurs interrogations et ne semble pas atteindre les objectifs escomptés quand on analyse les effets de cette mesure dans le cadre d’une expérimentation contrôlée (Springer, Ballou, Hamilton, Le, Lockwood, Mc Caffrey, Pepper, Stecher, 2010)".

Une étude qui tombe à pic...

Parce que c’est bien là que peut nous entrainer une étude comme celle d’Eric Maurin. D’abord nous faire croire qu’on peut évaluer de façon chiffrée l’efficacité d’un système éducatif. Et c’est peut-être le pire.

Ensuite si l’inspection est aussi efficace, alors renforçons le contrôle sur les enseignants. Ne nous fions plus à l’avancement à l’ancienneté. Mais reconnaissons le mérite puisque c’est si facile et si bien démontré. C’est exactement ce que demande le Grenelle de l’éducation. Il y a un sérieux enjeu à la clé. L’avancement à l’ancienneté est lié à un statut dont la suppression semble bien programmée. L’avancement à l’ancienneté, le fameux "GVT", pèse 400 millions par an. Pile poil le "pognon de dingue" qu’on donne pour toutes les revalorisations catégorielles...

François Jarraud

Eric Maurin, Trois leçons sur l’école républicaine, Seuil, ISBN 978.2.02.148621.6

Extrait de cafepedagogique.net du 07.09.21

Extrait de cafepedagogique.net du 07.09.21

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