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Mouvements sociaux en Inde contre la discrimination positive

7 juin 2006

Extrait du site « lobservateur.ma », le 07.06.06 : Discrimination positive

C’est un vrai débat de société qui agite l’Inde. Faut-il aider ceux qui sont moins favorisés en leur réservant des places dans les administrations ou dans les universités ? Doit-on au contraire ne prendre en compte que le seul mérite ? La discrimination positive, en faveur des castes inférieures, existe en Inde depuis l’indépendance. Près du quart des postes administratifs, mandats électifs et places dans les établissements d’enseignement supérieur sont, depuis fort longtemps, réservés aux « intouchables » ou « dalits » ainsi qu’aux populations tribales. Ce système a incontestablement permis à l’ascenseur social de mieux fonctionner dans ce pays qu’ailleurs. Mais les quotas n’étaient attribués qu’à ces deux catégories de citoyens. Un rapport il y a quelques années avait attiré l’attention des autorités sur le sort des « autres castes arriérées » - other backward castes, OBC- qui constituent entre le tiers et la moitié de la population indienne selon les estimations.

En 1990 de nouveaux quotas avaient été mis en place pour les postes de fonctionnaires au bénéfice des OBC. Aujourd’hui, les autorités veulent poursuivre sur cette voie en instaurant également de nouveaux quotas dans les universités. Il y aurait, selon cette réforme dont la mise en place est prévue à la rentrée 2007, 27% des places réservées pour les OBC dans les établissements d’enseignement supérieur fédéraux du pays. Ce qui veut dire qu’avec les quotas déjà en place près de la moitié des places seraient attribuées à ces groupes les plus défavorisés.

Le projet a provoqué un tollé dans les facultés. Des milliers d’étudiants des castes supérieures, dans tout le pays, sont descendus dans la rue pour dénoncer ce qu’ils considèrent comme une « injustice ». Les médecins ont suivi et de très nombreux hôpitaux ont dû fermer, « par solidarité », pendant plusieurs semaines. Ceux qui s’opposent à ces nouveaux quotas prônent une sélection exclusivement au mérite. Le débat, très vif, pourrait rebondir un peu plus encore si, comme on lui en prête l’attention, le gouvernement passe à la vitesse supérieure en encourageant les entreprises du secteur privé à pratiquer elles aussi une discrimination positive en faveur des basses castes. Cela n’est pas pour aujourd’hui mais les entreprises montent d’ores et déjà au créneau pour dire tout le mal qu’elles pensent de ce projet.

Les choses, en réalité, ne sont pas simples. D’autant plus que les prises de position des autorités ne sont pas dénuées d’arrière-pensées électorales : les OBC pèsent lourd dans l’électorat du Parti du congrès au pouvoir et les élections régionales ne sont pas loin... Les résultats de la discrimination positive sont indiscutables en Inde. Sans elle l’écart entre riches et pauvres seraient plus béant encore et l’unité nationale sans doute beaucoup plus fragile dans ce pays grand comme un continent. Reste que beaucoup des postes ou des places réservées aux citoyens des basses castes restent vacantes. Selon l’Institut indien des technologies, l’une des grandes écoles du pays, la moitié des places réservées aux intouchables et membres des populations tribales dans les universités seraient vides et le quart seulement des étudiants appartenant à ces castes parviendrait à terminer ses études. Sans doute parce que c’est avant que tout se joue, au lycée et à l’école primaire. Mais en même temps les états du sud qui ont appliqué des politiques de discrimination positive en faveur des OBC sans attendre cette réforme de portée nationale s’en félicitent. Et c’est précisément le sud qui se développe le plus rapidement.

Le débat est certes propre à l’Inde et à son système de castes assez particulier. Mais il pose plus largement le problème de l’intégration des populations les plus défavorisées, voire du renouvellement des élites. Et cette question là existe pratiquement dans tous les pays, même sans intouchables. En France, cette année, les premiers étudiants de l’institut d’études politiques de Paris recrutés dans les banlieues défavorisées - les ZEP, zones d’éducation prioritaire- sortiront, leur diplôme en poche, de la prestigieuse école. Modeste car il porte sur de très petits nombre d’étudiants, le système inventé par Didier Decoin, le patron de l’institut, et imité par une poignée d’autres écoles avait suscité à l’époque de sa mise en place de sévères critiques. Comme en Inde, ses détracteurs lui reprochaient de prendre en compte d’autres critères de sélection que le seul mérite. Mais comment, sans ce coup de pouce, faire en sorte que les élites ne sortent plus toutes du même moule parisien ? La discrimination positive est peut-être après tout un mal nécessaire, le temps de passer un cap.

Dominique Lagarde

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