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Réflexions sur l’ex-classe ZEP d’Henri IV

24 mai 2006

Extrait de « Libération » du 23.05.06 : Priorité aux universités

A l’heure où l’ouverture d’une classe préparatoire aux grandes écoles destinée aux élèves défavorisés fait grand bruit, il est utile de revaloriser l’intérêt des cursus universitaires.

Ces derniers jours, la presse s’est largement fait l’écho de l’initiative du lycée Henri-IV d’ouvrir une classe préparatoire aux grandes écoles spécialement destinée aux élèves issus de milieux défavorisés. Cette décision est en droite ligne avec la volonté exprimée par le président de la République lors de ses voeux, que les classes préparatoires accueillent d’ici trois ans un tiers d’élèves boursiers contre 18 % actuellement, et cela n’est en soi pas contestable.

Mais une classe préparatoire à Henri-IV, ce n’est que 30 élèves. Si l’image a valeur de symbole, celui-ci est plutôt inquiétant quant à la direction qu’il indique au public, à l’ensemble des enseignants, aux élèves qui se préparent à accéder aux études supérieures et à tous ceux qui pourront leur proposer un emploi à l’issue de leurs études. Il y a aujourd’hui en France 75 000 élèves dans les classes préparatoires quand 500 000 nouveaux bacheliers doivent chaque année choisir leur orientation et quand 1,4 million d’étudiants sont engagés dans un cursus universitaire. 75 000 élèves, soit 5 % des étudiants qui poursuivent aujourd’hui des études à l’université.

Au moment où le gouvernement engage un grand débat sur l’université, on ne peut que s’interroger en notant que « le ministère de l’Education ne ménage pas ses efforts pour stimuler les candidatures, plusieurs circulaires ayant été adressées aux recteurs et aux chefs d’établissement pour leur demander de mieux présenter les classes préparatoires et d’encourager les candidatures... La Rue de Grenelle espérant passer en 2006 à 2500 admissions en classes préparatoires par la procédure complémentaire contre un peu moins de 1200 en 2005 » (2). Au moment où le débat sur l’université s’engage, il est nécessaire de rappeler que, pour l’immense majorité de la jeunesse de notre pays, l’université peut et doit être une chance, la seule chance de s’élever intellectuellement et socialement et d’aborder la vie active dans de bonnes conditions.

L’université est en effet une chance offerte à tous, quel que soit le milieu d’origine et sans autre sélection préalable que l’obtention du bac. Elle propose à tous et quasi gratuitement une palette unique de formations, souvent à côté de chez soi, dans chaque région, ce qu’aucune autre filière d’enseignement en France n’est en mesure de faire aussi complètement.
L’université est une chance, compte tenu de sa double vocation d’enseignement et de recherche. Alors que les médias et le public associent le plus souvent la recherche aux seuls organismes nationaux comme le CNRS ou l’Inserm, celle-ci n’existerait pas sans l’université. L’université est le lieu où tous les chercheurs mènent leurs projets en commun, plus de la moitié d’entre eux étant des universitaires qui se consacrent en même temps à l’enseignement. C’est de cette confrontation essentielle de la recherche à l’enseignement que naissent les vocations et la formation de nos chercheurs de demain si nécessaires à notre société et à notre économie. Cette mission de préparation de la relève de notre recherche qui incombe à l’université est essentielle pour notre pays car il ne peut y avoir de croissance dans nos pays développés et, par conséquent, de création de nouveaux emplois sans une forte capacité d’innovation.

Les pays dont l’économie est la plus puissante et en plus forte croissance, au premier rang desquels les Etats-Unis, l’ont bien compris : l’université est chez eux la filière très largement dominante d’enseignement supérieur et l’effort de recherche y est prioritaire. Les Etats-Unis sont d’ailleurs les premiers à reconnaître la valeur des doctorants de l’université française. Au moment où le débat sur l’université s’engage, il ne faudrait donc pas céder à la tentation de résumer l’enjeu de l’université française à la seule professionnalisation de ses filières. La recherche est aussi un enjeu important pour nos emplois de demain.

L’université peut et doit être également une chance pour l’emploi. On a beaucoup stigmatisé, ces derniers temps, le manque d’adéquation entre le monde de l’entreprise et l’université et le besoin d’une plus grande professionnalisation des filières universitaires. Mais cette professionnalisation n’est pas une préoccupation nouvelle de l’université. On a souvent tendance à oublier que de nombreuses filières d’excellence de l’université sont avant tout des filières professionnelles : pharmaciens, médecins, juristes... ont reçu à l’université des formations les préparant à l’exercice d’un métier.
Quant à la récente réforme des cursus LMD, elle met l’accent sur l’acquisition des compétences et va dans le sens d’une professionnalisation des diplômes reconnue en France comme à l’étranger. Cette réforme initialement prévue en huit ans a d’ailleurs été menée de façon exemplaire en quatre ans seulement par l’ensemble du corps enseignant universitaire. Quelle autre administration, quelle entreprise de taille comparable pourrait aujourd’hui en dire autant pour une réforme de cette importance ?

Si l’université doit encore progresser pour être une chance pour chacun, elle ne peut le faire qu’à certaines conditions et avec des moyens suffisants, la presse s’étant à ce titre déjà fait largement l’écho de la disparité flagrante des moyens alloués à chaque étudiant de l’université par rapport à chaque élève du secondaire ou des classes préparatoires.

La première condition pour que l’université soit une chance pour plus de jeunes, c’est de garantir la valeur des diplômes : les universités ne diminueront pas artificiellement les taux d’échec en dévalorisant le niveau des compétences à acquérir. La vocation républicaine de l’université qui est de permettre à tous de mener à bien ses études n’est pas et ne peut pas être une garantie automatique de réussite. Le travail et l’implication des étudiants y sont aussi nécessaires pour réussir que dans d’autres filières d’enseignement ou que dans le cadre d’une carrière professionnelle. Dans un reportage récent du New York Times sur l’université de Nanterre, le journaliste remarquait une banderole à l’entrée du campus sur laquelle était inscrit « Etudier est un droit, pas un privilège ». Pour que l’université soit une chance pour tous, nous pourrions rajouter que les diplômes universitaires sont effectivement un droit, mais pas un dû.

La deuxième condition consiste à remettre au-devant de la scène le rôle fondamental de l’orientation. Le trop grand nombre d’étudiants dans des filières n’ayant à l’évidence pas suffisamment de débouchés professionnels (même s’il faut analyser les chiffres avec précaution) met en relief tout ce que l’université pourrait gagner à une meilleure orientation des étudiants. Le choix d’une filière universitaire doit être fait par l’étudiant en tenant compte de ses capacités personnelles, de ses motivations, mais aussi des réalités du marché de l’emploi. Il est absolument nécessaire de se donner tous les moyens pour informer de la façon la plus claire possible tous les élèves qui vont entrer dans l’enseignement supérieur sur ce que peuvent impliquer leurs choix en matière d’orientation. Il y a également tout un travail d’information, de sensibilisation et de valorisation des filières universitaires à mener auprès des enseignants du second degré pour que ces choix ne soient plus des choix par défaut ou des choix d’espoirs irraisonnés, mais des choix conscients et responsables. Dans le cadre d’un enseignement de masse et à défaut d’une orientation raisonnée, l’université devra pouvoir proposer dans certains cas des systèmes d’orientation guidée. L’excessive valorisation des classes préparatoires aux grandes écoles ne va pas dans ce sens car elle ne peut par nature concerner l’ensemble des étudiants.

La troisième condition, ce sont les moyens humains et financiers alloués, en particulier lors de la première et de la deuxième année d’études, au moment crucial où les étudiants sont les plus nombreux, et les plus divers, au moment où ils ont le plus besoin d’encadrement. Quand on compare les 6 800 euros de budget moyen annuel consacrés à chacun des bacheliers qui intègrent l’université tous les ans avec les 13 000 euros alloués aux élèves des classes préparatoires, on doit s’interroger sur les urgences et sur les priorités, en particulier au moment où vient de démarrer le débat « Université et emploi ». L’université est une chance, quand va-t-on la saisir ?

(2) Le Monde du 17 mai 2006.

Yannick Vallée, Bernard Bosredon et Richard Lioger.

Yannick Vallée, président de l’université de Grenoble-I, Bernard Bosredon, président de Paris-III, Richard Lioger, président de l’université de Metz (Tous trois sont membres du bureau de la Conférence des présidents d’université (CPU).

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