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L’ascenseur social en panne pour les élèves de ZEP

26 avril 2006

Extrait du site « Débat 2007.fr », le 26.04.06 : Panne d’ascenseur ?

Comment se fait-il que nous ne trouvions quasiment plus parmi les élites françaises - en tout cas parmi les élites "institutionnalisées" : grandes écoles, corps de l’Etat, etc. - de personnes issues de milieux défavorisés ?

Plus concrètement, et au-delà des enquêtes ayant montré que, toutes choses égales par ailleurs, il y a proportionnellement moins d’étudiants issus de milieux défavorisés qui intègrent l’Ecole Polytechnique aujourd’hui que dans les années 1950, je souhaiterais citer une petite observation personnelle. D’un côté, j’enseigne dans une grande école scientifique (l’ENS de Lyon) et de l’autre je travaille avec des enseignants de primaire en ZEP pour aider à introduire les sciences en maternelle. D’un côté, j’observe que l’ENS n’accueille quasiment aucun élève issu de milieux défavorisés et de l’autre, je vois évoluer certains enfants ayant de réelles aptitudes pour les sciences. Statistiquement, il devrait y avoir autant d’enfants brillants dans les ZEP que dans les milieux favorisés. Et on devrait raisonnablement pouvoir espérer retrouver une partie de ces enfants brillants dans les filières d’excellence, puis aux plus hautes responsabilités de l’Etat ou des grandes entreprises, par exemple. Ce n’est pourtant pas le cas.

Il y a de multiples raisons à ce phénomène, mais je crois que la principale est la suivante : la France a choisi, probablement avec de bonnes intentions, de sélectionner les éléments les plus talentueux le plus tard possible (ce qui se traduit en particulier par le fameux "collège unique"). L’idée sous-jacente était que le rôle de l’école n’est pas de sélectionner mais de donner une formation générale au plus grand nombre. Ce n’est pourtant pas le seul : elle a aussi celui de repérer, partout dans le pays, les enfants les plus talentueux et de leur donner (pour leur intérêt mais aussi pour l’intérêt collectif) la meilleure formation possible. Malheureusement, plus on sélectionne tard, plus on travaille sur un ensemble d’élèves déjà filtré socialement.

Ce constat est considéré comme évident dès qu’il s’agit d’autre chose que des capacités intellectuelles (ou, pour simplifier et éviter une polémique, des capacités intellectuelles nécessaires pour intégrer les grandes écoles les plus prestigieuses). Par exemple, il ne viendrait à l’idée de personne de limiter les enfants les plus doués pour le football à deux heures de sport par semaine en se disant qu’on repèrera les meilleurs à dix-huit ans et qu’alors on leur fera suivre un entraînement spécifique. Ou encore de limiter l’enseignement de la musique à une heure hebdomadaire, y compris pour les petits virtuoses, avec l’alibi qu’il faut enseigner la même chose à tout le monde.

C’est pourtant ce qu’on fait pour le reste de l’enseignement. Sous prétexte de traitement équitable, on part du principe que tous les enfants doivent apprendre à lire à six ans, à multiplier à sept, etc. Les enfants les plus doués s’ennuient dans ce système et cela a pour conséquence que ceux qui peuvent trouver les stimulations intellectuelles à la maison en souffrent beaucoup moins que ceux qui ne le peuvent pas. Et cela conduit à des situations d’échec scolaire en proportion très importante pour les enfants de milieux défavorisés.
La véritable équité n’est pas de donner la même chose au même moment à tous les élèves, mais de donner à chaque élève ce dont il a besoin au moment où il est capable de l’assimiler. Il ne s’agit pas de fabriquer des bêtes à concours (ce qui serait stupide et dévastateur), mais simplement d’accepter que tous les élèves n’ont pas les mêmes talents, que certains sont particulièrement brillants intellectuellement, et que ceux-ci se trouvent uniformément répartis dans toute la population, y compris dans les couches les plus modestes.

Accepter cet état de fait et y adapter notre enseignement en sortant de schémas préconçus sur les bienfaits de l’hétérogénéité des classes est un des moyens de lutter contre la fameuse fracture sociale. Repérer les éléments les plus brillants dès le plus jeune âge et leur donner une formation adaptée à leurs aptitudes aiderait à gommer les différences sociales et les handicaps culturels. Le jour où les hauts fonctionnaires comme les chefs des plus grandes entreprises seront issus de toutes les parties de la société, il y aura bien des incompréhensions qui disparaîtront. Et la France entière y gagnera en qualité : aurions-nous gagné le Mondial de football en 1998 avec une équipe composée uniquement des enfants d’enseignants et d’ingénieurs - ou même de joueurs de football ?

Michel Morvan

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