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Patrick Weil reparle de l’accès aux grandes écoles en France et de l’affirmative action aux Etats-Unis

20 avril 2006

Extrait de « L’Enseignement public » n°106 : Redonner de la mixité sociale

L’accès aux grandes écoles est socialement très hiérarchisé en France. Certains établissements ont récemment lancé des expériences visant à promouvoir une plus grande mixité sociale de leurs étudiants. Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, explique pourquoi elles ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et pourquoi une politique fondée sur des discriminations raciales serait contraire à la tradition politique française.

Comment réduire les inégalités d’accès des élèves de milieux populaires vers les établissements « d’excellence » ?

Quel est le constat ? L’absence d’égalité dans l’accès à ces établissements ne touche pas seulement les élèves de ZEP. Le ministère est avare de statistiques. Mais l’on sait qu’aujourd’hui, ceux qui entrent à l’Ecole Normale Supérieure Ulm ne proviennent que de 19 départements. La grande majorité des lycées, de métropole et d’Outre mer n’envoient aucun élève dans les meilleurs établissements républicains. Il faut renverser la tendance.

On pourrait permettre à 7 ou 8 % des meilleurs élèves de chaque lycée d’accéder sur la base des résultats au baccalauréat aux classes préparatoires ou aux établissements qui sélectionnent à l’entrée en première année, IEP de Paris ou de province par exemple. Certains, parmi ces élèves choisiront d’aller à l’université. Au total ce système permettrait de pourvoir 50% des places disponibles dans ces établissements, les autres élèves pouvant continuer d’être recrutés sur dossiers ou examen d’entrée. On ne pourrait plus considérer qu’être affecté à certains lycées signifie l’échec, l’impossibilité d’accéder à certaines filières. Cela changerait aussi les calculs qui consistent, de la part des familles les plus dotées, à contourner la carte scolaire. Ce nouveau système créerait de la mixité sociale et une dynamique positive dans chaque communauté scolaire. Avec un impact sur tous les élèves, chez ceux qui entreront directement à l’université ou la rejoindront à la fin d’une classe préparatoire, par équivalence, ou d’un diplôme de grande école pour un mastère ou un doctorat.

Quel bilan faites-vous de l’expérience acquise, sur ce terrain, dans quelques Etats des Etats-Unis ?

Après deux siècles d’esclavagisme et de ségrégation légales, les Etats-Unis ont mis en place depuis le milieu des années 1960 des dispositifs d’« affirmative action », un traitement préférentiel, fondé sur des critères d’appartenance à une minorité ethnique, pour l’entrée à l’université. « L’affirmative action » a eu un impact positif sur la présence des Noirs à l’université, mais a conforté la racialisation de la société et le regard dévalorisant que les minorités peuvent porter sur elles-mêmes. Depuis quelques années, il y a dans quatre Etats une autre approche. Les démocrates, au Texas, ont fait adopter un dispositif qui prévoit que les 10% meilleurs élèves de chaque lycée du Texas ont un droit d’accès à l’université du Texas, très sélective. Cela assure une plus grande justice sociale dans l’accès à l’enseignement de tous les milieux, y compris ruraux. C’est le retour au territorial dans le combat pour l’égalité. Ce système remplacera à terme celui de « l’affirmative action » dont la Cour Suprême a rappelé qu’il devait rester temporaire.

« L’affirmative action » a-t-elle un avenir dans notre pays ?

L’adoption d’une politique fondée sur la classification ethnique est contraire à notre tradition politique. Elle stigmatiserait davantage des populations, elle ferait reculer l’égalité. Cette politique est prônée par ceux qui pensent qu’on doit baisser le coût du système scolaire et anéantir sa structure. A droite, certains veulent substituer la question raciale à l’égalité pour tous, introduire l’angle racial dans la question scolaire, favoriser quelques entrées dans l’élite en laissant tomber la masse des pauvres indépendamment de leur couleur. Le racisme intervient après l’obtention du diplôme, pas avant. Les entreprises ont trop souvent pratiqué le racisme direct ou indirect sans être condamnées. Et il ne faut pas qu’elles transfèrent sur le système scolaire ce qui est un problème du marché du travail avant tout. Mais si l’accès aux grandes écoles ne se transforme pas profondément, on n’échapperait plus à sa remise en cause radicale, par exemple par la mise en place de ces dispositifs racialisés. Le système scolaire doit réagir devant l’injustice, et au-delà des petites expérimentations qui ne s’adressent qu’à quelques uns au détriment de tous, montrer sa capacité de changer pour aller vers plus d’égalité.
Patrick Weil

Propos recueillis par Patrick Gonthier

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