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Quelles politiques pour les banlieues ? par Jacques Donzelot (Le Seuil, 2006)

9 avril 2006

Extrait de « Ville Essonne Expression » du 07.04.06 : Quand la ville se défait

Depuis le dernier quart de siècle, la relation entre question sociale et question urbaine a changé de sens. La ville était le théâtre d’un conflit proportionnel à la confrontation qu’elle permettait, de fait, entre les riches et les pauvres, au fur et à mesure que ces derniers affluaient vers les centres. À présent, le problème n’est plus le conflit auquel la ville fournirait une enceinte et une scène, mais la partition de la ville - sa tri-partion même - qui entraîne la désagrégation de la société : relégation, péri-urbanisation, gentrification.

Pour le coup, le problème n’est plus de conjurer le conflit mais de s’employer à rapprocher ces continents urbains à la dérive, de « faire société » avec des manières d’être devenues autosuffisantes, que la logique de réseau de l’économie ne relie plus que de manière bien lâche, bien fluctuante : l’on peut toujours « zapper » pour ne pas prendre en compte la manière d’être et de penser des autres, de ceux que l’on a fini par ne plus voir que sur les écrans et que l’on peut faire disparaître aussi vite qu’apparus. Sauf quand leur « violence d’expression » force l’attention, interdit de rester sur son quant-à-soi et franchit le seuil de la crise politique.

La crise des banlieues exprime ainsi la fureur d’une jeunesse des cités qui se sait privée d’avenir - et le dit à sa manière pour montrer qu’elle n’en est pas dupe - mais n’accepte pas que l’on retourne contre elle la lucidité auto-disqualificatrice dont elle se pare, comme avec le mot de « racaille », pour la rejeter encore plus.

Le malaise des classes moyennes aussi franchit le seuil du « convenable », dans le péri-urbain, où elles vivent de plus en plus accrochées à un modèle de promotion sociale qui fait eau de toutes parts, qui les fait vaciller, prises entre la menace de la mondialisation par le bas et le mépris qu’elles ressentent de la part des bénéficiaires de la mondialisation par le haut. Ce malaise se ressent avec les actuelles mobilisations étudiantes contre le CPE qui rapproche leur condition de celle des « exclus », des « précaires », et les éloigne de l’élite de la classe émergente de la mondialisation. Face à cette logique de séparation, se trouve donc posée la possibilité de maintenir la ville, de garder une continuité entre ces fragments de ville qui se cristallisent et se ferment mutuellement avec la relégation, la péri-urbanisation, la gentrification.

C’est l’idée que la ville soit le lieu d’une communication, d’un devenir possible pour chacun de ceux qui y vivent qui se trouve en cause. Compte tenu de ces ruptures, la ville n’est plus qu’une idée, mais une idée plus que jamais nécessaire pour faire qu’existe une société au lieu qu’elle se disloque.

Jacques Donzelot, maître de conférence à l’Université de Nanterre et conseiller scientifique au Plan urbanisme construction architecture. Dernier livre paru : « Quand la ville se défait. Quelle politique face à la crise des banlieues », éditions du Seuil, mars 2006.

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