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Un entretien avec Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances

28 mars 2006

Extrait de « Yahoo actualités », le 28.03.06 : ’’Les banlieues se font voler leur colère’’

(Bondy) - Dans un climat social plus que tendu depuis 4 mois avec les violences urbaines de novembre puis les manifestations anti-CPE aujourd’hui, nous avons souhaité connaître la position d’Azouz Begag, l’un des premiers concernés par ces deux sujets. Le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances nous a donc reçu avec un journaliste de l’hebdo.

Que pensez-vous des manifestations contre le CPE ?

Je constate que des étudiants descendent dans la rue pour contester une loi votée démocratiquement par le Parlement de leur pays. Mais ils n’ont pas plus de droit que les jeunes de banlieues à qui cette mesure est destinée en tout premier lieu. Et puis ces jeunes anti-CPE ne représentent pas la majorité des jeunes. Attendez six mois, le premier bilan de l’expérimentation du CPE. C’est ça la démocratie ! Essayons ! Qu’est-ce qu’on a à perdre ?
Reste que tout le monde n’a pas l’air convaincu. Les manifs grandissent de jour en jour...

Vous pensez vous que ceux qui manifestent sont les vrais précarisés ?

Pas moi. Je vois les choses ainsi. Les jeunes de banlieues, une fois de plus, se font voler leur colère. Comme nous, à leur âge, comme moi quand j’étais plus jeune et que je vivais encore aux Minguettes à Vénissieux. On avait fait la Marche des Beurs et on se l’est fait récupérer par SOS Racisme et les mouvances socialistes. Le PS, une fois de plus, instrumentalise ces mouvements d’étudiants. Je vous le dis, on vole leur révolte aux jeunes des banlieues ! Mais c’est le p’tit Mohamed de Bondy qui vit vraiment dans la précarité !

Reste la question de la légalité de cette loi. Un recours a été déposé par le PS qui juge le CPE discriminatoire sur l’âge...

Ecoutez, en 1981, quand j’étais dans ma cité à Lyon, Mitterrand et le PS sont arrivés au pouvoir. Ils ont très vite parlé de société "black, blanc, beur". Et vingt-cinq ans plus tard, quel est le résultat ? Pas un députés black ou beur à l’Assemblée dans les rangs socialistes. Aucun, zéro. Pas un député beur, vous vous rendez compte ?

...mais à droite non plus

Sauf que la droite, elle n’a jamais rien promis. Elle n’a pas distillé de faux espoirs dans les cités. Et puis, elle se bouge la droite. Vous savez, en France nous avions ce qu’on appelait "la double peine". En clair, un jeune immigré faisait une bêtise, comme ça arrive dans les cités, il passait devant un juge, était condamné à de la prison et après avoir purgé sa peine, il était expulsé vers le pays d’origine de ses parents. Moi-même, je me suis battu contre cette double peine. La gauche, elle, n’a rien fait. Et vous savez qui l’a abrogée ? Nicolas Sarkozy ! Cela vous montre que la lutte contre la discrimination dépasse les partis. C’est un combat républicain. Aux prochaines législatives, je vous parie que le PS va faire entrer des Noirs et des Arabes à l’Assemblée nationale. Et c’est la droite qui l’y aura poussé !

La droite est-elle plus sincère ou plus opportuniste ?

C’est le résultat qui compte. C’est cela le pragmatisme. Elle a le courage de le faire.

Quelle réponse le gouvernement a-t-il apporté aux violences urbaines de l’automne dernier ?

Pour ces jeunes, un accès à l’emploi est une priorité. C’est précisément la priorité que s’est fixée le gouvernement. Le CPE s’inscrit dans cette logique d’entraînement vers le marché du travail. En France, 23% des moins de 26 ans sont au chômage et le taux grimpe à 40% pour les personnes non qualifiées. Alors je vous laisse estimer le taux que cela peut représenter chez les jeunes de banlieues non qualifiés et qui sont d’origine antillaise, africaine ou maghrébine... Les employeurs ont longtemps montré de la réticence pour une première embauche ? Le CPE c’est la souplesse désirée. Et il permet aux jeunes d’avoir un premier job. Vous savez, quand on a passé trop longtemps sur le banc de touche de l’égalité, à cause de sa gueule ou de son adresse, c’est difficile, on manque de confiance. Donc moi je pars de l’hypothèse que ces jeunes-là ont plus faim que les autres pour réussir. Et ils vont tout donner.

Et au ministère de la promotion de l’égalité des chances qu’avez-vous entrepris ?

Avec mon collègue Gérard Larcher (ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes), nous prenons en charge 6000 jeunes de quartiers diplômés et sans emploi qui bénéficieront d’outplacement et de coaching privé. D’ici quelques semaines, ils devraient avoir intégré le marché du travail. Voilà une mesure concrète contre la discrimination à l’embauche. Par ailleurs, à ce jour, plus de 350 entreprises ont signé la charte de la diversité. Elles s’engagent ainsi à recruter sans discrimination, en prenant en compte la diversité. Et ce n’est pas de la charité ! Ceux qui s’y engagent connaissent leur intérêt ! Embaucher ces jeunes-là, c’est miser sur la rentabilité. Enfin, nous avons aussi promulgué la loi sur l’égalité des chances qui comporte entre autres une extension des pouvoirs de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’Egalité (HALDE). Son pouvoir est renforcé par le droit d’exercer du "testing" désormais à l’entrée des boîtes de nuit, par exemple.

Une vision à l’américaine...

Plutôt à l’anglaise. Les Anglais ont quinze ans d’avance sur nous. Les Suisses et les Belges aussi ont de l’avance. Nous ce que nous voulons, c’est aussi faire entrer de la diversité dans les médias. Et c’est en train de changer depuis quelques mois. Vous avez sûrement entendu que cet été le 20 heures de TF1 sera présenté par Harry Roselmack, un journaliste originaire de La Martinique. En 2004, Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, a eu cette formidable intuition de me commander un rapport sur l’égalité des chances. Je l’ai fait. Et aujourd’hui, l’égalité des chances est au coeur de l’action du gouvernement, dans tous les domaines.

Vous ne pensez pas qu’on en parle surtout depuis les violences urbaines de novembre dernier ?

Nous n’avions pas attendu les émeutes pour agir. Ce ministère a été créé au mois de juin, je vous le rappelle.
Lors des « émeutes » justement, vous avez eu un mot à l’endroit de Nicolas Sarkozy, critiquant sa "sémantique guerrière". Puis, on ne vous a plus entendu. Pourquoi ?
Il n’y avait rien à rajouter. Il fallait ramener l’ordre. Vous vous rendez compte que pendant cette période, 16’000 voitures ont brûlé ?! Il fallait intervenir. C’était le moment de l’action de la police et les pompiers.

Quels sont vos projets pour l’avenir ?

Ce que je veux faire comprendre aux Français, c’est que les banlieues et la diversité sont un plus pour la France. Que les entrepreneurs doivent aller y recruter parce que les jeunes des cités sont motivés. Ces quartiers sont de véritables gisements pour l’avenir du pays. La diversité est une richesse. Il faut que cela devienne une évidence. Aux jeunes de banlieues, je leur dis : quand le patron qui vous recrutera en CPE va vous voir à l’oeuvre, il va vous garder plus de deux ans. Il ne va pas vous former et vous jeter ensuite, ce n’est pas dans son intérêt.

Que pensez-vous du droit de vote des immigrés, aux élections locales par exemple ?

C’est un piège. Il y a 120’000 immigrés qui arrivent en France chaque année. La France a une politique d’accès à la nationalité française. Trop de jeunes dans les quartiers ont le droit de voter et ne votent pas. Je préfère convaincre ceux qui ont ce droit de s’en servir. Et pour les encourager, j’aimerais justement qu’il y ait toujours plus de diversité dans le monde politique et médiatique, que les gens puissent voir des visages semblables au leur, pour leur donner envie de s’impliquer dans la vie de la cité.
Mon père est mort il y a 3 ans, à l’âge de 90 ans. Voter ne l’intéressait pas. Tout ce qu’il voulait, c’était retourner au bled. Ma mère, elle, a 87 ans, elle vit toujours à Lyon et elle ne vote pas non plus. Les Français d’origine étrangère sont des Français à part entière. (Le ministre se lève et de derrière une étagère, face au bureau ministériel, il sort la photocopie de la carte d’ancien combattant de son grand père). Je l’ai retrouvé il n’y a pas très longtemps : mon grand père s’est battu pour la France" c’est impressionnant non !

Azouz Begag en 8 questions express :

Les quotas, pour ou contre ?

 Contre

Plusieurs personnes dont certains militants associatifs, veulent être le candidat des banlieues en 2007. Bien ou pas bien ?

 C’est même excellent !

Les médias prétendent que les Français ne s’intéressent pas aux banlieues. Ils ont raison ou pas ?

 Plus aujourd’hui.

Votre plat préféré ?

 le couscous aux cardons (plante qui ressemble au céleri en branche)

Etes-vous croyant ?

 Pratiquant non croyant (il sourit de son mot). C’est une affaire privée.

Mangez-vous et buvez-vous de tout ou avez-vous des interdits religieux par exemple ?

 Cela relève de ma vie privée

La phrase entendue à votre encontre qui vous a fait le plus mal ?

 Des choses comme "ministre alibi","beur de service"

Avez-vous visité le Bondyblog.fr ?

 Non, mais j’en ai entendu parler. Et c’est vraiment une excellente idée !

Propos recueillis par Michel Beuret et Mohamed Hamidi

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