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Des enseignants de Clichy-sous-Bois lancent un appel

7 février 2006

Extrait de "Libération", le 06.02.06 : L’appel de Clichy-sous-Bois

Les professeurs s’alarment devant l’inadéquation des remèdes choisis pour les banlieues.

"Aujourd’hui, la gravité de la situation dans les établissements scolaires de Clichy-sous-Bois nous oblige à sortir du silence qui était le nôtre depuis les événements de l’automne dernier. Nous sommes amenés depuis à faire face à des situations exceptionnelles. C’est pourquoi nous attendions du gouvernement des actes forts et constructifs, notamment en matière éducative. Il est vrai que les principes qu’il proclame pour remédier à la situation des quartiers populaires ¬ l’égalité des chances pour tou-te-s et la lutte contre les discriminations ¬ sont généreux et consensuels et la détermination d’agir vite affichée. Et effectivement, il y a urgence pour cette « banlieue » enclavée, aux portes de Paris, abritant des populations particulièrement défavorisées et durablement stigmatisées. Le traumatisme né de ces événements ¬ face auquel nous nous sommes tou-te-s à Clichy retrouvé(e)s bien seul(e)s ¬ n’a fait que rendre la situation un peu plus difficile encore !

Hélas, l’analyse des remèdes proposés aujourd’hui contredit ces intentions : les propositions de Gilles de Robien concernant les ZEP (conférence de presse sur l’Education prioritaire du 13 décembre 2005) sont en totale contradiction avec ce qu’exige la situation.
Certes, les mesures proposées, applicables dès septembre 2006, demeurent encore floues, l’Education nationale restant bien évasive à six mois de la rentrée : quels sont les établissements qui vont sortir de l’Education prioritaire ? Quels sont précisément ceux qui sont classés ? Comment vont-ils concrètement fonctionner l’année prochaine (structure des classes, nature des apprentissages...) ?

Néanmoins dans ce flou, nous distinguons quelques tendances fortes particulièrement inquiétantes :
Le collège devient la seule cible des mesures. En concentrant uniquement le redéploiement maladroit des moyens sur les quelques collèges ambition réussite, le gouvernement semble occulter le rôle central des écoles primaires, chaînon pourtant essentiel dans l’acquisition des savoirs...

Le lycée aussi est menacé. L’élitisme qui gouverne les choix annoncés trouve son expression dans la suppression partielle de la carte scolaire : les élèves dits « méritants » des « collèges ambition réussite » ¬ et tous les collèges de Clichy le seraient ¬ ayant obtenu une mention TB ou B au brevet des collèges pourront déroger à la carte scolaire, c’est-à-dire se diriger vers les établissements des communes voisines, mieux considérés, aux dépens de l’unique lycée de la ville. Ce bouleversement institutionnalisé conduira inévitablement à l’aggravation de la ghettoïsation scolaire déjà particulièrement forte.

N’eût-il pas été préférable de donner aux élèves mieux lotis les meilleures chances de réussite à Clichy plutôt que de les faire fuir ? Quelle motivation pourront avoir les élèves contraints d’étudier dans ce lycée sans têtes de classe ? Quel avenir leur réserve-t-on ? Quelle stigmatisation pour ce lycée et ses élèves ! En ne cherchant qu’à renouveler les élites de ce pays, on ne fera que renforcer le fatalisme social.

Discrimination et ségrégation sont aussi les menaces qui planent au-dessus de « l’apprentissage junior », c’est-à-dire l’apprentissage à 14 ans comme unique alternative pour les élèves qui rencontrent des difficultés scolaires.
Evidemment les élèves concernés sont majoritairement ceux qui cumulent difficultés scolaires et socio-économiques. Par conséquent, ce sont ceux qui ont le plus besoin d’école qui en auront le moins. On sait bien pourtant que l’apprentissage tel qu’il existe aujourd’hui ne répond même plus à la réalité du marché du travail. Exercer un métier dit manuel ne dispense pas d’une solide formation générale ! En outre les discriminations, ethniques ou de genre, y sont criantes et trop souvent encore ce type de formation est synonyme de précarité : 25 % des contrats sont rompus avant terme.

Le socle commun de connaissances apparaît en l’état comme une pierre de plus dans cet édifice ségrégatif. Qu’est-ce au juste que ce socle dispensé aux élèves des collèges « ambition réussite » ? Personne ne le sait vraiment même nos inspecteurs l’ignorent ! ¬ mais pour le moment une seule certitude : l’appauvrissement des enseignements.

Où se trouvent l’ambition et la réussite clamées par ce gouvernement lorsqu’en réalité il s’emploie à :

 Prôner la résignation face à l’échec scolaire en orientant précocement les élèves vers des filières de la relégation.

 Cultiver l’entre-soi scolaire et social en concentrant les élèves qui connaissent des difficultés dans les établissements de Clichy-sous-Bois.

 Réduire le contenu des apprentissages à un savoir minimal pour la majorité des élèves.

Pourquoi ne pas avoir consulté ceux qui habitent, connaissent et travaillent dans ces quartiers ? Car contrairement aux clichés véhiculés, on travaille et on travaille bien à Clichy comme dans beaucoup d’établissements ZEP : les résultats obtenus aux examens nationaux sont supérieurs aux résultats attendus, compte tenu du milieu dont sont issus nos élèves. Les expérimentations sont nombreuses et souvent concluantes.
Pourquoi finance-t-on ces mesures en supprimant dans les 5e et 4e de France une demi-heure consacrée le plus souvent au soutien alors que l’échec scolaire est un véritable fléau national ?

Pourquoi prive-t-on à terme un certain nombre d’établissements des avantages octroyés par l’Education prioritaire au prétexte que certains sont encore plus difficiles ?

Parce que les choix éducatifs sont toujours des choix de société, parce qu’ils reflètent et annoncent l’avenir que nous voulons collectivement construire, et parce que nous sommes ¬ malheureusement ¬ bien conscients de la gravité de la situation, nous, enseignant(e)s de Clichy-sous-Bois, interpellons l’ensemble de la société française : devons-nous nous résigner face à l’échec scolaire et aux inégalités sociales ? Voulons-nous construire une société divisée et fracturée qui cultive toujours un peu plus l’entre-soi en acceptant comme une fatalité l’inégalité des chances et la ségrégation ? Sommes-nous prêts à en accepter collectivement les conséquences ?

Par les enseignant(e)s des collèges Robert-Doisneau, Louise-Michel et Romain-Rolland et du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois, avec le soutien de la FCPE Clichy-sous-Bois.

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