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Extrait des « Echos » du 27.01.06 : Fracture éducative : l’heure du choix économique
La France réserve à sa jeunesse des lendemains difficiles. Les inégalités de formation constituent un mal social endémique, et cette fracture éducative mène notre pays droit vers son déclin économique.
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Face à ces enjeux, la rationalité économique commande de résorber la fracture éducative française : il est urgent d’engager la révolution du temps périscolaire et de lancer une politique ambitieuse de « seconde chance scolaire ».
Certes, pour atteindre une « masse critique » de travailleurs formés, notre pays devrait avant tout rénover son Education nationale, et notamment achever le volet qualitatif de la massification scolaire en accroissant les dépenses consacrées à un meilleur suivi personnalisé de l’élève (développement des tutorats et du soutien individuel, réduction du nombre d’élèves par classe, en priorité). Mais cette augmentation des crédits à l’éducation n’a aujourd’hui presque aucune chance de faire l’objet d’un quelconque consensus politique, surtout dans un contexte de contrainte durable de nos finances publiques. Ainsi, les zones d’éducation prioritaires (ZEP) ont été récemment présentées comme un échec, sans qu’on précise qu’elles ne reçoivent que 10 % de moyens supplémentaires par rapport aux autres zones, contre 100 % de moyens supplémentaires dans les dispositifs équivalents de certains pays du nord de l’Europe. Or, les travaux de Thomas Piketty ont montré que passer de classes de 22 à 18 élèves en ZEP réduirait de 40 % l’écart de résultats au CE2 entre écoles en ZEP et hors ZEP.
Par conséquent, il convient désormais d’agir sur le temps périscolaire et postscolaire. Pour une heure passée sur les bancs de l’école, un élève français en passe quatre hors de la classe. A cet égard, l’environnement socio-culturel est un déterminant trop discriminant pour être négligé davantage par la puissance publique. La défiscalisation partielle du soutien scolaire privé ne permet pas à elle seule d’agir massivement en direction des familles modestes. Il faut envisager de développer un corps de professeurs volontaires spécialisés dans le soutien scolaire, encourager des associations d’aide aux devoirs ou de parrainage (notamment parmi les seniors et les étudiants), mieux coordonner les activités des centres de loisirs avec le corps enseignant, multiplier les sorties culturelles hors temps de classe, étendre les heures d’« études » après l’école, ou même augmenter les capacités d’internat pour aider les familles les plus en difficulté. Enfin, pour les jeunes sortis de l’école sans diplôme, il est nécessaire de créer de véritables écoles de la deuxième chance permettant de concilier vie active et préparation de diplômes (CAP, BEP, bac pro ou général), améliorer l’information sur les droits à la formation du salarié dans les entreprises ou les préparations aux concours internes dans les administrations, mais surtout populariser la validation des acquis de l’expérience. La formation initiale ne doit plus rester la pierre de touche de la valeur des travailleurs, au détriment de l’expérience et de la formation continue.
Il n’y a aucune fatalité à ce que l’élève en difficulté devienne un travailleur mésestimé, il s’agit donc de valoriser la volonté de mieux se former, et d’offrir à chacun cette possibilité tout au long de son parcours professionnel. De toute évidence, l’adoption urgente de mesures en faveur d’une meilleure formation des jeunes ne traduirait pas seulement le choix de l’équité face à celui de la fracture éducative, mais également le choix de la performance face à celui de l’impréparation aux défis économiques à venir.
Mehdi Ouraoui et Nicolas Serrie (polytechnicien) animent la Conférence Périclès, cercle de réflexion sur la diversité sociale dans l’enseignement supérieur