Mixité sociale difficile à mettre en place

17 décembre 2005

Extrait de « Libération » du 16.12.05 : « La mixité sociale ne peut être imposée »

Johanna Dagorn vient de présenter sa thèse sur les phénomènes d’exclusion dans les collèges favorisés, fondée sur l’étude ethnographique, pendant trois ans, de trois établissements publics des beaux quartiers aquitains. Après avoir travaillé sur 222 enfants de milieux populaires scolarisés dans ces collèges, elle souligne les limites de la mixité sociale.

Qu’avez-vous découvert dans ces trois collèges ?

Dans chacun de ces établissements, il y a une « culture maison », quelque chose qui relève de l’implicite, alors que dans les ZEP, la forte rotation des équipes induit une faible culture d’établissement. Ici, tout est tourné vers la norme d’excellence. Mais 10 % des enfants environ sont issus de milieux populaires. Leur taux de passage en seconde générale est bien inférieur à celui observé en ZEP. N’appartenant pas à cette norme d’excellence, ils sont rejetés. Géographiquement, ils n’occupent pas le centre de la cour de récréation. Le midi, ils ne participent pas aux jeux des autres ou aux ateliers comme la chorale. Certains deviennent même des boucs émissaires. Pour l’établissement, ils permettent simplement de se conformer à la mixité sociale.

Ces élèves ne tirent pas bénéfice de cette mixité ?

Ils n’ont pas les mêmes codes. Ceux qui sont conformes à la norme d’excellence peuvent chahuter, uriner dans les couloirs, mettre la pagaille dans les cours : on les traitera de chenapans. Leur comportement n’apparaît pas comme déviant. C’est le contraire avec les élèves issus des milieux populaires. Leur façon de parler passe pour de l’insolence alors qu’ils pensent n’avoir rien dit de plus qu’un autre.

Il y a bien des exceptions ?

Oui, ce sont les élèves caméléons. Eux aussi issus de milieux populaires, ils ont adopté les codes des dominants. Ils parlent et s’habillent de la même façon, mentent même parfois sur la profession de leurs parents et ignorent complètement les autres dominés. Mais on s’aperçoit que ceux-là fréquentent les dominants depuis l’école primaire, à la différence des dominés. Ces derniers ne comprennent pas : ils étaient parfois bons en CM2, et se retrouvent soudainement en posture de derniers de la classe, avec moins de chances de progresser. Au lieu de créer du lien social, d’inclure, la culture d’établissement exclut donc. En créant un entre-soi, les classes dominantes préservent leurs privilèges tout en excluant les éléments indésirables : la mixité sociale ne peut être décrétée, imposée. Elle doit être acceptée par tous

Michaël Hajdenberg

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Extrait de « Libération » du 16.12.05 : Classes prépas : la bataille Paris-banlieue

Le débat fait rage entre les partisans d’intégrer les bons élèves de ZEP dans des lycées d’« excellence » et ceux qui défendent les établissements de ce type implantés sur place.

Si l’excellence scolaire issue des quartiers ne va pas à la Montagne-Sainte-Geneviève (le quartier parisien qui héberge les lycées les plus cotés), la Montagne doit-elle venir dans les quartiers, en essayant de diffuser l’excellence partout ? La question est au coeur d’une bataille idéologique interne à la droite comme à la gauche sur la meilleure façon d’instiller un peu d’« égalité des chances » dans le système éducatif. Le gouvernement a choisi une voie, en annonçant la création d’une « classe préparatoire aux classes prépas » au lycée Henri-IV pour des élèves de ZEP, et en soutenant l’idée de Richard Descoings, patron de Sciences-Po, de créer un « lycée d’excellence » dans le 93... également défendue par le maire PCF de Saint-Denis, Patrick Braouezec. La réplique est portée par un front hétéroclite, qui va des syndicats enseignants à Nicolas Sarkozy (lire Libération d’hier), pour qui l’excellence doit être partout. Le débat n’est pas moins vif sur le terrain où les deux modèles s’affrontent...

Le « modèle » Henri-IV

La « classe palier » pour intégrer

Ouvrir à une trentaine d’élèves de ZEP une classe préparatoire à la prestigieuse prépa à l’Ecole normale supérieure d’Henri-IV, qu’on appellerait « propédeutique », c’est faire du neuf avec de l’ancien, mais, pour cet établissement, une façon d’innover. « Le constat, c’est qu’il n’est plus possible d’entrer à Normale sup sans être CSP +. Les prérequis culturels sont tels qu’ils disqualifient les élèves de milieux modestes », expliquent les enseignants à l’origine du projet. Leur idée : dispenser une année d’enseignement supplémentaire après le bac, à la façon d’une « classe palier » truffée de « suppléments culturels », avant d’entrer en hypokhâgne (préparation à Normale sup). Repérés par leurs professeurs de lycée (province et banlieue parisienne), des élèves « à fort potentiel » seraient logés à l’internat et soutenus par des « tuteurs », un peu plus âgés. « Il ne s’agit pas de charité mais de pragmatisme », explique un enseignant. Pour justifier une année de scolarité de plus, la direction avance : « En réalité, il faut trois années pour avoir un bon concours : les élèves redoublent souvent leur khâgne. Avec notre propédeutique, nous allons inverser la tendance. » Et aspirer les meilleurs éléments des prépas de banlieues ? « Cet argument freine notre projet depuis 2001. Cette fois, la volonté politique nous soutient. »

Le « modèle » Auguste-Blanqui

Tout un lycée tiré vers l’excellence

Créée en 2000, la prépa littéraire du lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) scolarise quarante-cinq élèves dont trente en khâgne. Pas de miracle : ici, on se félicite des « sous-admissibles » à Normale sup (ceux qui frôlent le droit de passer les oraux), là où Henri-IV truste jusqu’à la moitié des places d’admis. Mais on est fier d’égrener les réussites : « Parmi nos anciens, certains sont devenus enseignants ou ont intégré des écoles de commerce, ou des instituts d’études politiques de province », rapporte Jean-Philippe Millet, professeur de philosophie.

Le projet ? « Faire vivre une prépa de proximité et d’excellence », et jouer la mixité sociale : certains élèves viennent de Paris, où la concurrence est trop rugueuse. Isabelle Moulin (professeure d’anglais) : « Ici, nous attachons un soin extrême au suivi des élèves, et l’équipe enseignante travaille en étroite symbiose. » La prépa a une autre vertu, tirer tout le lycée vers l’excellence. « Sans prépa, pas de latin dès la classe de seconde », souligne Dominique Brouchon (professeur de lettres classiques).

Une politique qui s’incarne aussi par l’existence d’une convention avec Sciences-Po. Les trois enseignants ont en travers de la gorge la création d’une prépa à Henri-IV. Révolte de classe du 9-3 ? Jean-Philippe Millet promet que non : « Je n’ai aucune hostilité envers Henri-IV. On ne joue pas dans la même cour. Mais nous avons les mêmes ambitions pour nos élèves. » Il aimerait qu’elles soient reconnues et encouragées
Emmanuel Davidenkoff et Marie-Joëlle Gros

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