Débat sur l’apprentissage à 14 ans ?

16 novembre 2005

Extrait de « La Croix » du 15.11.05 : Réserves sur l’apprentissage dès 14 ans

Pour éteindre l’incendie des cités, le chef du gouvernement prend le risque de déclencher une tempête scolaire. À la surprise générale, Dominique de Villepin a fait la semaine dernière de l’apprentissage à 14 ans la mesure phare de sa politique éducative. Les réactions, depuis, se multiplient.

L’annonce a été plutôt bien accueillie dans le monde professionnel. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) ou l’Assemblée des chambres des métiers soutiennent l’apprentissage à 14 ans. André Daguin, président de l’Union des métiers de l’hôtellerie (environ 60 000 apprentis), y voit même « une mesure de salut public ».

En revanche, le monde scolaire a dans l’ensemble violemment réagi. À l’exception du Snalc (Syndicat national des lycées et collèges), classé à droite, tous les syndicats enseignants ont fermement rejeté une mesure qui leur apparaît comme une remise en cause du collège unique de 1975.

« Dès 14 ans, on pratique la ségrégation scolaire ! » s’emporte Patrick Gonthier, secrétaire général de la fédération Unsa. Pour le sociologue François Dubet, ancien membre de la commission Thélot sur l’avenir de l’école, c’est « trente ans d’histoire de la scolarité en faveur d’une culture commune qui sont balayés ».

Que faut-il vraiment mettre derrière ce terme d’apprentissage ?

Le pédagogue Philippe Meirieu n’est pas en reste. « L’apprentissage, ça veut dire, dans le système actuel, treize semaines de cours seulement par an. Et treize semaines de cours, pour des élèves qui sont en échec dans les apprentissages fondamentaux, c’est la condamnation à perpétuité à des tâches de pure exécution », écrit Philippe Meirieu

L’annonce du premier ministre a pris tout le monde de vitesse, y compris les membres de son propre gouvernement. Au lendemain du discours de Dominique de Villepin à l’Assemblée nationale, le ministre de l’éducation, Gilles de Robien, et le ministre délégué au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher, ont tenu une séance explicative, sans parvenir à dissimuler un certain embarras.

Car au-delà de l’effet d’annonce, que faut-il vraiment mettre derrière ce terme d’apprentissage ? Première hypothèse de travail : l’abaissement pur et simple de l’âge légal pour signer un contrat d’apprenti. Aujourd’hui, le code du travail dispose que « nul ne peut engager (quelqu’un) en qualité d’apprenti s’il n’est âgé de 16 ans au moins ».

Le recours à la loi est une voie politiquement délicate, mais la réforme, contrairement à ce qui a pu être dit, ne semble pas techniquement insurmontable. Le code du travail prévoit déjà des dérogations pour les jeunes âgés de 15 ans. La Commission européenne a précisé par ailleurs que la décision du gouvernement « n’est pas contraire à la législation européenne ».

« Plus aisé de remettre dans une dynamique positive à 14 ans »

L’apprentissage dès 14 ans risque en revanche de se heurter au principe de réalité. Car bien des jeunes issus de l’immigration qui préparent un CAP, un bac professionnel ou même un BTS éprouvent les plus grandes difficultés à trouver des stages en entreprise. Pour des jeunes en échec scolaire, cela sera plus difficile encore. Alain Vervaeke est proviseur d’un lycée professionnel de 750 élèves à Mulhouse et d’un centre de formation en apprentissage (CFA) de 900 élèves. Du CAP au bac pro, les élèves s’y forment notamment aux métiers de bouche.

Or, le constat d’Alain Vervaeke est sans appel : au lycée, environ la moitié des élèves sont issus de familles d’origine étrangère. En revanche, ceux-ci sont une petite minorité au CFA. La raison en est simple : « Ces jeunes ont beaucoup plus de mal que les autres à trouver un employeur. On a beau travailler à ce problème, il y a toujours de très bonnes raisons pour ne pas embaucher un jeune issu de l’immigration. »

Membre du principal syndicat des chefs d’établissement, le SNPDEN (Unsa), Alain Vervaeke juge donc irréaliste l’apprentissage dès 14 ans. L’accès au travail des jeunes adolescents laisse par ailleurs perplexes certains professionnels en raison des contraintes importantes sur les horaires, les normes de sécurité ou les conditions de travail. « Pour des enfants de 14 ans, j’imagine que les problèmes administratifs vont être multipliés par dix ! », redoute Dominique Métayer, patron d’une petite entreprise de maçonnerie des Yvelines.

À côté de cette première voie lourde de l’apprentissage, l’annonce de Dominique de Villepin préserve une seconde hypothèse de travail. Il s’agirait en fait de développer une formation, en alternance avec le collège, pour les élèves à partir de la classe de quatrième. Dans le secteur de l’enseignement agricole, les Maisons familiales rurales (MFR) accueillent chaque année 49 000 jeunes sous statut scolaire.

« Il est plus aisé de remettre un jeune dans une dynamique positive à 14 ans qu’à 18 ou 20 », affirme Patrick Gues, responsable de la communication des MFR, qui insiste toutefois sur la phase de préparation. « On ne peut pas demander à un jeune de s’intégrer en quelques jours dans un emploi salarié. Il faut une période suffisamment longue, d’un ou deux ans, pendant lesquels il va expérimenter, tâtonner pour enfin choisir sa voie. » Dans cet esprit, l’éducation nationale dispose depuis trent-cinq ans de classes de préapprentissage

Dès qu’on ouvre une filière, on crée une voie de relégation »

Pourtant, l’État « ne s’y intéresse pas et les a reléguées en marge du système scolaire », dénonce Patrick Guès. Les statistiques du ministère entretiennent le plus grand flou sur ces classes qui sont répertoriées, pêle-mêle, avec les structures pour enfants handicapés ou encore les dispositifs « relais » qui accueillent provisoirement des jeunes décrocheurs.

« Il est indéniable que l’alternance constitue un outil efficace pour permettre à des élèves en difficulté de reprendre confiance en eux », concluait pourtant en juin dernier un rapport de l’inspection générale. Le gouvernement se prépare-t-il à ressortir de l’ombre une filière de préapprentissage qui repose sur l’alternance entre le collège et le monde du travail ?

Gilles de Robien a annoncé mercredi dernier sans plus de précisions : « C’est une nouvelle formule d’ “apprenti junior” qu’il nous faut imaginer. » Cette voie d’apprentissage permettrait, en maintenant l’élève sous statut scolaire, de préserver un cursus d’enseignement lui permettant d’acquérir le futur « socle commun » des enseignements fondamentaux sur lequel travaille le Haut Conseil de l’école.

Le nouveau dispositif ne serait pas un « simple décalque » de l’apprentissage classique, assure Gérard Larcher. Ce système devrait garantir à tout « junior apprenti » des possibilités de retour vers l’enseignement général, avec la création de passerelles.

Depuis des années, l’enseignement catholique réclame l’ouverture de voies parallèles au sein du collège (lire ci-dessous). Mais les oppositions à toute remise en cause déguisée du collège unique sont encore très fortes.

« Dès qu’on ouvre une filière, on crée une voie de relégation qu’on se dépêche de remplir, prévient François Dubet. On l’a vu dans le passé avec les classes de quatrième et troisième technologiques. Le système a refusé toutes les réformes pour enseigner autrement aux élèves en difficulté. Il s’apprête maintenant à s’en débarrasser », pronostique sobrement le sociologue.

Bernard Gorce

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