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François Fillon veut renforcer la maîtrise du français à l’école primaire et au collège "en multipliant les exercices personnels : dictée, rédaction, récitation ».}

1er septembre 2004

Extrait de « Libération » du 01.09.04 : la dictée de François Fillon en ZEP

Les évidences de Fillon agacent les enseignants : dictées, rédactions, récitations : ces mesures phares sont déjà pratiquées au quotidien dans les collèges.

François Fillon devait réciter hier à l’occasion d’une conférence de presse la liste des priorités qu’il a fixées pour la rentrée 2004. Mais le sort des otages français en Irak l’a contraint au silence. Comme le ministre de l’Education avait accordé un entretien la veille à Libération, le contenu de son antisèche (Libération d’hier) est connu : en tête de ses priorités, le ministre veut « renforcer la maîtrise du français à l’école primaire et au collège en multipliant les exercices personnels : dictée, rédaction, récitation ».

« Merci Fillon ! »

Une invitation que les enseignants apprécient peu : « Merci Fillon ! » grince Charles, professeur de français dans un collège de Rungis. « Récitation, dictée et rédaction sont des exercices que nous pratiquons au quotidien.

Visiblement, le ministre l’ignore. » Cindy, professeure des écoles à Vittel, s’agace elle aussi : « Ça revient à nous dire : travaillez ! Mais c’est ce que nous faisons ! » Julie, professeure de français dans un collège de Vitry, rappelle que la dictée est l’une des épreuves du brevet, l’examen de fin de troisième. « On espère autre chose d’un ministre. L’école a d’énormes attentes, et ce qu’il propose n’a rien de novateur. » Ces enseignants répondent de concert que « le nombre d’heures d’enseignement du français a diminué au collège, qu’il est de plus en plus difficile d’organiser des classes de soutien, faute de moyens, et que les rentrées des classes se font dans des conditions de travail de plus en plus difficiles ».

François Fillon confie s’être inspiré de lectures sur l’état de l’enseignement. Il cite notamment Marc Le Bris ­ l’auteur de Et vos enfants ne sauront pas lire ni compter ­ qui déclarait hier dans le Parisien : « Je connais des collègues qui bravent les consignes et continuent de faire des dictées en sixième ! » « Quelles consignes ? » bondissent les enseignants. Pour eux, se passer des dictées relèverait plutôt de la faute professionnelle. Mais, précisent-ils, il faut distinguer dictée et dictée. « Cet exercice peut être très mal vécu par des élèves. Certains se bloquent », raconte Hélène, professeure de français en ZEP. Elle privilégie des dictées « en application d’une règle de grammaire ou de conjugaison que l’on vient d’étudier. Ce n’est pas la dictée des années 50, mais un exercice qui prend du sens ».Ces enseignants soulignent aussi l’intérêt de la poésie et des récitations : « Elles permettent bien sûr un travail de mémorisation, mais aussi l’expression orale devant le groupe, le langage du corps. La récitation apprend à se confronter aux autres. C’est utile lors d’un entretien d’embauche. »

Vigilance.

Si les enseignants se méfient des « bonnes idées » de François Fillon, les chercheurs n’en remarquent pas moins que, lentement mais sûrement, la qualité de l’orthographe baisse dans les écoles. Et partout ailleurs aussi, note Anne-Marie Chatrier, spécialiste de l’histoire de la scolarisation de l’écrit : « Le monde social dans lequel nous vivons ne connaît plus la même vigilance orthographique qu’autrefois. La tolérance à la faute existe à tous les niveaux de la société. Les cadres font des fautes dans leurs e-mails, les énarques aussi. On demande aujourd’hui à l’école d’instaurer quelque chose de spécifique et de différent de la vie sociale, de créer en fait un fonctionnement particulier. »

Pour enrayer le phénomène, la chercheuse interroge la pédagogie. Pour elle, maîtriser l’orthographe prouve que « des réflexes d’autocorrection et d’autovigilance sont acquis ». Et ces « compétences mécaniques » passent par une série d’exercices. « Pour gagner un marathon, on ne court pas 42 kilomètres tous les jours, explique la chercheuse. Mais on s’entraîne quotidiennement. » Sans donner raison au ministre, elle poursuit : « Aujourd’hui, faute de temps, on accepte beaucoup plus facilement un premier jet, on ne recopie plus un brouillon au propre. » De même, les photocopies distribuées aux élèves les dispensent d’écrire eux-mêmes les énoncés. Or ces temps routiniers ont, selon la chercheuse, une valeur pédagogique. « A condition d’être valorisés, et d’avoir du temps pour cela », précise-t-elle. Pour son confrère Michel Fayol, du laboratoire de psychologie sociale et cognitive (CNRS), lutter contre la détérioration de l’orthographe est un véritable choix politique, qui implique « un assentiment de toute la société ». Une idée de référendum pour François Fillon ?

Textos.

Charles, professeur de français à Rungis, insiste : « Oui, une vraie réforme est nécessaire. Mais ce n’est pas celle de Fillon. Il faut répondre aux questions d’aujourd’hui, posées par l’influence croissante des images dans la vie des élèves et du peu de goût qu’ils montrent pour la lecture, de l’usage de la phonétique dans les textos, etc. » Sur la lecture, pourtant, les études scientifiques sont optimistes : les élèves de l’an 2000 lisent beaucoup mieux que ceux de 1980.

Marie-Joëlle Gros.

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