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La grande diversité de l’immigration (« Ruptures scolaires, l’école à l’épreuve de la question sociale », par Mathias Millet et Daniel Thin , PUF, 2005, )

20 octobre 2005

Extrait de « L’Humanité » du 19.10.05 : L’école des milieux populaires

Sociologie.

Sous le mot immigration coexistent des parcours familiaux, bagages socio-culturels et rapports à l’institution très différents. Échec et réussite tiennent souvent à peu.

Pourquoi l’école a marché pour Leïla et ne marche pas pour Caroline ? Comment Karim s’est-il retrouvé à Sciences-Po bien avant que l’on ne parle de discrimination positive alors que Rochdi a besoin d’un dispositif spécial pour rester à l’école ? Smaïn Laacher nous présente les premiers, les bons élèves. Mathias Millet et Daniel Thin nous parlent, eux, des derniers de la classe.

Qu’ils abordent la question de l’école sous l’angle de l’échec ou celui de la réussite, les trois chercheurs s’accordent sur bien des points. Échec et réussite sont les deux faces de la même médaille. Ils s’accordent notamment pour défendre les parents des élèves de milieux populaires, si souvent présentés comme les pires ennemis intimes de leurs enfants. Thin et Millet lancent un avertissement : « À ceux qui veulent prévenir les ruptures scolaires, l’étude rappelle qu’il n’existe pas de solutions simples comme celle qui consiste à agiter menaces et sanctions habillées d’un appel à la "responsabilité" des parents. »

Les chercheurs ont regardé très attentivement ce qui se passe pour ces élèves en grande difficulté. Ils ont ainsi repéré comment « tout concourt à montrer que les ruptures scolaires des collégiens se jouent à "peu de chose" et que le changement d’une condition ou d’un événement de leur vie sociale (familiale, scolaire, amicale) aurait pu changer dans le même temps les données et les conditions de leur parcours scolaire. Si la mère de Rochdi n’avait pas perdu son travail, si elle n’avait pas été obligée de déménager si souvent, Rochdi aurait, peut-être, pu s’installer dans une école et y trouver sa place ». Thin et Millet nous font pénétrer dans des familles et nous emmènent aussi à l’école où règne « une sorte d’hostilité partagée » entre les jeunes en échec et le collège. Et là, la condamnation tombe : « Loin de ne faire que subir, l’institution scolaire est un acteur plein et entier des parcours de ruptures scolaires. » Smaïn Laacher observe le regard que cette dernière porte sur l’immigration. Il fait un constat , rarement aussi clair. « Ce sont les parents qui ont mis au monde leurs enfants, mais ce sont ces derniers qui ont fait advenir au monde social l’existence controversée de la famille im- mi- grée. » Laacher revient sur les époques durant lesquelles on ne pensait pas à la vie privée, familiale, affective de ceux que l’on appelait des « travailleurs immigrés ».

Il revient aussi sur l’époque durant laquelle, au nom du droit à la différence, il n’y avait pas grand monde pour se soucier du sort des femmes et des enfants dans les communautés immigrées. Pour conclure, il nous dit que finalement ces enfants déçoivent toujours ceux qui parlent d’eux. Ou d’elles plutôt. Les filles ont été célébrées un temps, car elles utilisaient l’école pour s’en sortir. Ce qui sous-entendait sortir de leur condition, de leur famille, de leur culture. Mais quelques-unes se sont mises à montrer ostensiblement leur appartenance à leur communauté d’origine. Et tous les espoirs placés en elles, pour montrer que l’école allait les rendre bonnes élèves et donc invisibles, se sont écroulés. Avant cette conclusion, Laacher montre que si Leïla et Karim ont réussi à l’école, c’est parce qu’ils ne partaient pas sans bagage pour cette longue course d’obstacles.

Il montre que sous le mot immigration coexistent des histoires familiales très différentes. Si certains sont arrivés avec déjà une longue histoire avec l’école, d’autres non, mais ils peuvent avoir une longue histoire avec le syndicalisme ou la lutte politique, qui seront autant d’atouts pour leurs enfants. Laacher ne voit pas pourquoi il faudrait « s’étonner que l’école échoue là où il n’a jamais été question de lui attribuer un rôle de réussite impérative ». Les deux ouvrages montrent l’école comme une efficace machine à sélectionner. Ils nous donnent aussi et surtout à voir un portrait de groupe des classes populaires loin des caricatures du méchant père-immigré-rétrograde ou de la trop gentille mère-laxiste-cas social. Ils nous montrent des pères, des mères, des frères et des soeurs, des copains, des copines qui se débattent à la fois avec la question scolaire et la question sociale.
Annick Madec, sociologue

« Ruptures scolaires, l’école à l’épreuve de la question sociale », par Mathias Millet et Daniel Thin , PUF, 2005, 24 € et l’Institution scolaire et ses miracles, par Smaïn Laacher, La Dispute, 2005, 15 €.

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