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Contribution de Jean-Yves Rochex : Etendre le principe de "Donner plus à ceux qui ont le moins" bien au-delà des ZEP

27 août 2012

Jean-Yves Rochex, Équipe ESCOL-CIRCEFT, Université Paris 8 Saint-Denis
pour le Café pédagogique, 5 mai 2012

L’urgence en matière de politique d’éducation, est à la rupture radicale avec les orientations
libérales basées sur la mise en concurrence des individus et des établissements, sur
l’individualisme et la soumission des missions de l’école aux logiques de marché ; elle est à
l’affirmation – dans les faits, dès aujourd’hui et à plus long terme – des visées de
démocratisation de l’accès aux savoirs et à leur exercice critique, et de réduction des
inégalités, sociales et sexuées, à l’école comme ailleurs. Toutes les études internationales
confirment que notre système éducatif est l’un de ceux où le « déterminisme social » pèse le
plus lourd sur les apprentissages et les performances scolaires, et qu’il souffre non d’un excès
mais d’une insuffisance de démocratisation et de logiques de concurrence et de ségrégation
qui menacent son unité même.

L’un des premiers actes d’une telle rupture devrait à mon sens être de généraliser et de mettre
en oeuvre le principe « donner plus à ceux qui ont le moins » bien au-delà des écoles et
établissements concernés par la politique ZEP (dans lesquels il est d’ailleurs loin d’être
effectif comme l’a montré le récent rapport de la Cour des comptes). La dotation en moyens
budgétaires et humains de toutes les écoles et établissements devrait, selon ce principe, être
différenciée et varier de manière progressive en fonction des caractéristiques sociales et
culturelles des populations qui y sont accueillies, selon des critères élaborés et mis en oeuvre
de manière transparente et démocratique. Une telle mesure aurait pour effet d’inscrire
l’objectif de lutte contre les inégalités dans les principes mêmes de fonctionnement de
l’ensemble de notre système éducatif, et de ne pas l’identifier à la seule politique ZEP, dont
les derniers avatars n’ont d’ailleurs plus grand chose à voir avec cet objectif. Elle permettrait
également de reconfigurer drastiquement cette politique en rompant tant avec les processus de
dérégulation dont le programme Eclair est un véritable cheval de Troie, qu’avec les logiques
méritocratiques individualistes et naturalisantes visant à promouvoir les « bons pauvres » à
« l’excellence » et à « l’élite » (logiques que l’on n’a pas vu à l’oeuvre de la part des seuls
ministères de droite), et assignant la grande majorité des élèves de ZEP à des conditions
d’apprentissage dégradées et à une version édulcorée du socle commun. Il s’agit au contraire
de mettre en oeuvre un plan d’urgence et d’ampleur (une sorte de « plan Marshall » éducatif)
au service de la réussite de tous dans les écoles et établissements les plus fragilisés. La mise
en oeuvre du principe de dotation inégalitaire précédemment évoqué permettrait de cibler et de
concentrer cet effort sur les quartiers et les établissements les plus précarisés plutôt que de
maintenir la situation actuelle, issue d’une extension peu raisonnée de la carte des ZEP et
d’une dilution parallèle des maigres efforts consacrés à cette politique (situation qui, elle non
plus, n’est pas le seul fait des ministères de droite).

Ce principe et cette exigence – en actes – de justice sociale doivent également être principe et
exigence de culture. C’est dire, qu’au-delà des moyens indispensables, il n’y aura pas de
réelle démocratisation sans examen critique rigoureux des modes d’élaboration, de définition
et de transmission de la culture scolaire. On sait aujourd’hui que tous les dispositifs ou toutes
les pratiques d’enseignement ne se valent pas au regard des enjeux de démocratisation, que
des modes de faire qui se veulent innovants et favorables aux enfants de milieux populaires
peuvent aller à l’encontre des objectifs poursuivis et s’avérer aussi inégalitaires que les modes
de faire dont ils visaient à se démarquer. Il y a là un enjeu majeur, que 30 années de politique
ZEP ont contourné, et qu’il convient d’affronter sereinement mais radicalement, à l’encontre
des débats caricaturaux, des postures dogmatiques et des oppositions simplistes entre
« pédagogues » et « républicains », entre « centration sur les enfants » et « centration sur les
savoirs » ; il faut oeuvrer à concilier les acquis des pédagogies visant à ce que les élèves soient
en activité intellectuelle et les exigences des pédagogies explicites et structurées, pour ne pas
laisser à la charge des familles ou du hors l’école la construction de ce qui est nécessaire pour
apprendre et réussir à l’école. Ces questions, professionnelles et politiques, doivent être mises
au centre de la formation, initiale et continue, des enseignants, qu’il faut aujourd’hui repenser
et reconstruire entièrement. À l’encontre aussi bien d’une prescription de résultats dont la
seule régulation serait la carotte financière ou la concurrence entre écoles et établissements,
que de la prescription autoritaire de supposées « bonnes pratiques », ou encore de la diffusion
peu maîtrisée d’idéologies pédagogiques hasardeuses, il s’agit de faire que les enseignants
soient beaucoup mieux outillés, sur les plans conceptuel, technique et réflexif, pour faire face
aux nouvelles exigences de leur travail, individuel et collectif. C’est là un chantier urgent et
d’importance primordiale après le désastre qu’a été la mise en oeuvre de la mastérisation.
Plus largement, c’est le chantier de ce que doit être la culture scolaire qui doit être réouvert,
bien au-delà du débat sur le socle commun et des modalités calamiteuses de sa mise en oeuvre,
pour faire que la culture scolaire et ses modes de définition, de découpage et de transmission
soient culturellement plus pertinents et socialement moins inégalitaires pour les milieux
populaires. La perspective d’un tel chantier a été dressée par Wallon il y a plus de 50 ans,
dans un propos qui demeure d’une actualité criante en un temps de remise en cause du
« collège unique » : si « la triade théorie-technique-pratique paraît bien avoir des applications
en pédagogie », affirmait-il, ce ne doit pas être « comme principe de différenciation scolaire
entre les enfants, (mais) bien au contraire comme une obligation d’organiser pour chacun
d’eux toutes les formes possibles de leur activité », pour aller à l’encontre de « cette
mutilation de l’homme en Homo sapiens et Homo faber qui a longtemps pesé sur
l’organisation de notre enseignement »1. Ce qui requiert non seulement de faire toute leur
place aux « humanités techniques », mais également à la composante opératoire, productrice
et fabricatrice de toute oeuvre, de tout savoir et de toute culture.

Tout cela suppose des orientations politiques fortes, mais aussi un toilettage conceptuel qui
fasse litière des idéologies individualistes naturalisantes visant à la maximisation des talents
ou du potentiel dont serait porteur chaque individu, à lui permettre de découvrir et réaliser son
« excellence propre ». Bien plus que de reconnaître la « diversité » des talents, des aptitudes,
des besoins ou des rythmes supposés propres à chacun pour y « adapter » le fonctionnement et
les objectifs du système éducatif et des établissements, au risque d’entériner et de naturaliser
ainsi les inégalités sociales et d’aller vers une logique accrue d’éclatement du service public,
il s’agit de travailler à élucider, non pour s’y adapter mais pour les transformer, les processus
sociaux et scolaires qui donnent forme et contenus aux caractéristiques et aux conduites des
élèves, aux « besoins spécifiques » qui seraient les leurs, aux « risques » auxquels ils seraient
exposés ou dont ils seraient porteurs, et aux « problèmes » qu’ils poseraient aux formations
sociales et aux systèmes éducatifs. Perspective que ne facilite pas les multiples ambiguïtés qui
fondent, à gauche comme à droite, nombre de discours et de projets sur les rythmes scolaires,
l’individualisation des parcours, la différenciation de la pédagogie ou encore sur l’autonomie
des établissements.

Pour conclure, précisons que tout ce qui précède serait vain sans une politique de défense
d’un service public d’éducation, contre les logiques de concurrence et de ségrégation sociale
entre boutiques de luxe et officines de pauvres. D’où la nécessité d’une politique inventive et
offensive de redéfinition et de régulation de la carte scolaire qui ne pèse pas sur les seuls
acteurs locaux, qui sache mettre en actes les principes d’unité du service public, de solidarité
et de collaboration entre établissements, et les imposer à l’enseignement privé aussi bien qu’à
l’enseignement public.

1. Henri Wallon, « Éducation et psychologie », 1961, repris in H. Wallon, Psychologie et dialectique, Paris,
Messidor, 1990.

Extrait du site refondonlecole du 24.08.12 : Contribution de Jean-Yves Rochex

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1 Message

  • Ce texte est certainement l’un des plus importants parmi les contributions. On devrait y revenir. Il y a là une vision d’ensemble que je ne retrouve pas dans les autres diffusés dans ce cadre.

    Cela dit, je ne comprends pas pour Jean-Yves Rochex reprend à son compte la formule « donner plus à ceux qui ont le moins ». Déjà, selon le compte rendu de l’OZP, dans son intervention début juillet il l’avait fait. Peut-être est-ce pour lui utiliser une formule bien vue dans l’opinion publique. Mais ses propos habituels ne sont pas démagogiques et ce texte à nouveau montre qu’il n’est pas dans les facilités de langage.

    Alors ? Pourquoi utiliser une formule qui parle de « donner » et, surtout, de donner à une catégorie définie par ses manques ? C’est contradictoire avec tout son discours et toutes ses positions.

    D’abord, il ne s’agit pas de « donner ». Cet acte relève de la charité, hautement morale certes, mais en l’occurrence le débat se pose en termes de droit à l’éducation et non de morale. Pour parvenir à l’application de ce droit, une modulation dans l’organisation de l’éducation nationale est nécessaire. Il n’est pas question de dons.

    Ensuite, tout le travail des enseignants de ZEP repose justement sur la considération des potentialités de leurs élèves et leur exploitation. Sur ce point, la meilleure démonstration du monde a été faite justement par… Jean-Yves Rochex. Comment comprendre ? Définir une catégorie d’élèves par un manque c’est retrouver le « handicap social » des années 70.

    Il est bien entendu que ce message n’est pas une mise en cause de l’auteur : s’il y a quelqu’un qui a permis aux enseignants de ZEP d’être plus efficaces grâce à ses résultats de recherche, c’est bien lui et ce texte déposé dans le cadre de la concertation nationale montre à nouveau son attachement au droit à l’éducation pour tous et à la reconnaissance des potentialités de tous pour en profiter. Il ne s’agit donc que d’une interrogation sur l’utilisation d’une formule ambiguë, voire dangereuse. On le comprend de la part d’un journaliste mais difficilement de sa part.

    FC

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