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Témoignage d’un poète des ZEP : Thierry Cazals

1er juillet 2005

Extrait du « Nouvel Observateur » du 30.06.05 : il fait entrer le haïku à l’école

Convaincu, avec Montaigne, qu’éduquer « c’est allumer des feux », Thierry Cazals apprend aux enfants des zones d’éducation prioritaires à exprimer par le poème leurs angoisses et leurs espoirs.

Témoignage

Il faut avoir le cœur bien accroché lorsqu’on visite certaines écoles de quartiers défavorisés. Pour qui a les yeux et les oreilles grands ouverts, le choc est parfois terrible. Enfants battus à coups de ceinturon par leurs parents. Garçon au crâne rasé faisant l’éloge du coma (« là, au moins, plus besoin de penser »). Fillette rachitique (la malnutrition existe encore de nos jours en plein Paris !). Images pornographiques échangées à quelques pas à peine des grilles de l’école. Enfants se jetant au ras des roues des voitures pour défier la mort. Certains penseront que j’exagère. Pourtant tout cela existe bel et bien, de façon plus ou moins visible et concentrée selon les établissements. Le plus révoltant, c’est qu’il s’agit là d’une réalité quotidienne, banale, qui, petit à petit, finit par faire office de normalité. Les structures d’encadrement pédagogique et les règles strictes de discipline tentent d’endiguer ces dérives. Souvent en vain, car elles ne parviennent pas à transformer en profondeur ces zones d’ombre...

Lors du premier contact avec ces enfants, ce qui frappe d’abord, ce n’est pas la violence, la dureté, dont on nous rebat sans cesse les oreilles dans les médias, mais l’inattention, les regards absents. Questionnés sur ce qu’ils ont vu et entendu en venant à l’école, les élèves baissent souvent la tête ou répondent dans une attitude de défi : « Rien. » N’est-ce pas là la première des pauvretés ? Etre coupé de ses sensations. Se laisser envahir par l’indifférence. N’avoir plus rien à découvrir, à partager. Laisser le ronron de la télévision et de la publicité habiter le monde à notre place...

La première mission de la poésie est, je crois, d’inviter les enfants à reprendre racine. Retrouver les joies de la vie en direct. C’est ce que permet notamment la pratique du haïku, ce bref poème de trois vers d’origine japonaise. Les enfants sont d’abord surpris, déroutés par cette forme de poésie à la fois concrète et énigmatique. Le haïku, en effet, ne s’embarrasse pas d’ornementations ou de rimes fleuries, il exprime la vérité et la fulgurance d’un instant vécu. Attention extrême accordée à tout ce qui vit. Un simple caillou, un brin d’herbe, les feuilles encore verdoyantes d’un arbre déraciné...
Je revois une fillette terrorisée à l’idée de caresser quelques centimètres de mousse recouvrant un mur. Elle croyait que cette chose vivante allait lui dévorer la main. Je l’ai invitée à vaincre sa peur et, plus tard, elle écrivit : « La mousse verte/Douce/Ne s’éteint jamais. »
Trois pincées de poésie dans la soupe grise du quotidien et aussitôt tout devient précieux, digne d’écoute et de respect, tout retrouve son juste prix, sa présence première, qui ne se réduira jamais à la valeur économique et marchande. Il est bon de montrer aux enfants que, pour exister et être reconnu, on n’est pas obligé de passer son temps à acheter, consommer, posséder (avec toutes les frustrations inhérentes à cette fuite en avant). Les richesses de la poésie sont accessibles à tous. Tout de suite. Sans limite. Il suffit de puiser dans le torrent toujours neuf de nos cœurs. Un enfant a écrit : « Dans un sac/A côté de mon lit/Les coquillages de la mer pétillent. »
Et un autre : « L’arc-en-ciel/Déteint sur mon visage/Mais toi tu ne sens rien. »

Parfois la réalité revêt un masque plus terrifiant. Je me souviens d’une classe de ZEP du 18e arrondissement de Paris. Dès mon arrivée, je sens que la partie sera dure. Impossible de parler plus de cinq secondes d’affilée. L’écoute des enfants est proche de zéro. L’institutrice s’est mise dans un coin pour corriger des copies, abandonnant le bateau à la dérive. Je suis seul face à la tempête. Inutile de hausser le ton ou de menacer. Cela ne fait souvent que renforcer le chaos. Exclure les plus dissipés de la classe ? Ils n’attendent souvent que ça pour se conforter dans leur rôle d’antihéros ou de victime. Mieux vaut donc ne pas attaquer le dragon frontalement et pratiquer une sorte de judo poétique. Au lieu de nier la violence et les énergies qui se déchaînent, tentons d’entendre ce qu’elles ont à nous dire...

(...)

J’aimerais clore ce petit voyage en ZEP sur une note d’espoir. Ce jour-là, je me trouvais dans une école particulièrement triste et terne. Une sorte de maison de retraite pour enfants. La vie, malgré tout, avait encore envie de gambader et de pétiller. J’invitai une vingtaine d’enfants à me dire qui ils étaient vraiment. J’entends alors un jeune Africain aux yeux de braise me murmurer ce surnom qu’il s’était lui-même donné : « La beauté du froid. »

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